“Connaissez-vous la différence entre Dieu et un médecin? Dieu ne se prend pas pour un médecin ! Un médecin n’est pas non plus un juge, un ministre ou un officier de police. C’est un professionnel qui est censé délivrer des soins à un patient en fonction de ce que celui-ci considère être des soins. Désormais, les médecins ne sont plus ceux qui décident ce qui est bon ou ce qui ne l’est pas pour leurs patients, mais assistent ces derniers -ils ne sont pas obligés de le faire- quand ceux-ci veulent prendre des décisions capitales concernant leur vie ou leur mort, en respectant leur liberté. C’est aujourd’hui le principal enjeu de la bioéthique.”
Médecin et écrivain réputé -il est l’auteur du roman autobiographique La maladie de Sachs, best-seller adapté au cinéma-, le Dr Marc Zaffran -son pseudonyme d’auteur est Martin Winckler- a une position des plus catégoriques sur l’épineuse question de l’aide médicale à mourir. Il a consacré un très beau livre à cette problématique d’une brûlante actualité, En souvenir d’André (Éditions P.O.L., 2012).
LIRE AUSSI: LE CENTRE DE RECHERCHES EN BIOLOGIE HUMAINE DE JÉRUSALEM
“Je suis Juif moi aussi. Et bien que je sois complètement athée, j’ai beaucoup de respect pour la position exprimée par les personnes religieuses sur la douloureuse question du suicide assisté ou euthanasie. Mais les lois des hommes, c’est une chose, et les lois divines, c’est une autre chose. Quand on est médecin, peu importe qu’on soit Juif, Musulman ou Catholique, on est aussi amené à soigner des patients qui ne sont pas Juifs, ni Catholiques, ni Musulmans, ni croyants. Il n’y a pas 50000 façons de pratiquer l’éthique médicale. La seule façon équitable de la pratiquer, c’est de dire: “je n’imposerai pas mes valeurs à mes patients”.”
Le Dr Marc Zaffran a étayé ses réflexions sur l’aide médicale à mourir dans le cadre d’un panel consacré à cette question controversée, qui avait pour thème: “Éthique, santé et mourir dans la dignité au regard de la Loi 52 du Québec. Regards croisés”, qui a eu lieu lors du dernier Festival Séfarad de Montréal.
Ce panel a été organisé par la Dr Sonia Sarah Lipsyc, directrice du Centre d’études juives francophones contemporaines ALEPH.
Défenseur invétéré de l’aide médicale à mourir, le Dr Marc Zaffran “pense profondément” que toute personne apte à exprimer son désir de mourir devrait pouvoir le faire. Par ailleurs, ajouta-t-il, si cette personne est capable d’exprimer son désir de mourir, mais inapte par elle-même à mettre fin à ses jours d’une manière qui soit non violente, non traumatisante, “en un mot, digne”, elle devrait pouvoir le faire avec l’aide d’un médecin ou d’une autre personne habilitée à l’aider.
Les deux autres conférenciers invités à ce panel, le Dr Michael Bouhadana, médecin généraliste à l’Hôpital général juif de Montréal, où il dirige l’unité des soins hospitaliers en médecine familiale, et consultant en soins palliatifs et soins de la douleur, et le Dr Mohammed Zaari Jabiri, médecin, résident en psychiatrie à l’Université de Laval et auteur d’un livre sur ses expériences médicales au Maroc, Les chroniques d’un neurochirurgien schizophrène, défendirent au cours de leurs brillants exposés respectifs une autre perspective de la problématique de l’aide médicale à mourir, diamétralement opposée à celle prônée par le Dr Marc Zaffran.
Le Dr Michael Bouhadana présenta les grandes lignes et les principaux objectif de la Loi 52 sur l’aide médicale à mourir adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en juin dernier et qui vient d’entrer en vigueur.
Spécialiste reconnu des questions relatives à l’éthique médicale juive, le Dr Michael Bouhadana explicita la position de la tradition juive orthodoxe sur la question de l’aide médicale à mourir.
Tous les principes de base de l’éthique médicale juive valorisent la sainteté de la vie, rappela-t-il.
“Le judaïsme confère une valeur infinie à la vie humaine. L’homme a un devoir impératif de préserver la vie.”
Dans le judaïsme, la vie d’une personne malade est précieuse même s’il n’y a aucun espoir de guérison.
“La Loi 52 adoptée par le gouvernement du Québec nous dicte clairement qu’il est absolument défendu d’accélérer le décès d’une personne même lorsque celle-ci est en phase terminale. On ne peut pas poser une action qui entraînerait la mort d’un patient car un tel acte s’appellerait “tuer””, souligna le Dr Michael Bouhadana.
Dans certaines situations extrêmes, la tradition juive orthodoxe préconise l’“euthanasie passif” -“Chez velota asse”-, c’est-à-dire permettre que le patient mourant s’éteigne lentement sans aucune aide médicale, précisa le Dr Michael Bouhadana.
LIRE AUSSI: UNE STAGIAIRE DE L’IRCM BOURSIÈRE À JÉRUSALEM
Le Dr Mohammed Zaari Jabiri fit part de la posture difficile des médecins psychiatres dans la mise en pratique de l’aide médicale à mourir.
“Les psychiatres sont de plus en plus sollicités pour savoir si un patient malade est apte psychologiquement à prendre ou non une décision ayant trait au droit de s’enlever la vie. Les psychiatres sont devenus des boucs émissaires dans nos sociétés. Dans les années 40 et 50, des dictateurs, tels qu’Hitler et Staline, utilisaient les psychiatres pour justifier leurs exactions criminelles.”
D’après le Dr Mohammed Zaari Jabiri, il existe une autre alternative à l’aide médicale à mourir qui devrait être valorisée et mise de l’avant.
“Aujourd’hui, au Québec, il y a un manque énorme de lits dans les services prodiguant des soins palliatifs. Pourtant, ces soins fondamentaux sont une alternative très importante à l’aide médicale à mourir qui, à mon humble avis, doit être rediscutée et cadrée avec des balises plus précises. La seule solution n’est pas l’euthanasie. J’étais contre l’aide médicale à mourir. Et, depuis que j’ai lu le libellé de la Loi 52, je suis encore plus opposé à cette option radicale.”
Ce panel a été modéré par la Dr Sonia Sarah Lipsyc.