Un éminent pathologiste et oncologue français, le Dr Alan Spatz, vient de se joindre à l’équipe médicale de l’Hôpital Général Juif de Montréal (H.G.J.).
Il assumera les fonctions de chef du Service de pathologie de l’H.G.J.
Le Dr Alan Spatz a été, pendant douze ans, directeur de la dermato-pathologie et chef des unités d’immuno-pathologie et de biopsie au Service de bio-pathologie de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, en France.
Il est détenteur d’un Doctorat et d’une Maîtrise en sciences, en pathologie et en oncologie moléculaire de l’Université Paris VI. Il a aussi reçu à Paris une formation en pathologie anatomique.
Le Dr Alan Spatz dirige un groupe de recherche international sur la progression des mélanomes. Sa recherche actuelle est une étude appliquée portant sur le mélanome cutané et le rôle du chromosome X dans le potentiel métastatique.
Président sortant du groupe de pathologie du European Organization for Research and Treatment of Cancer (E.O.R.T.C.), le Dr Alan Spatz est actuellement président de plusieurs organismes médicaux de renommée internationale, dont Melanoma Group et l’Académie internationale de pathologie, Division française.
Il est membre de plusieurs Conseils d’administration d’organismes internationaux, dont l’E.O.R.T.C., l’International Melanoma Research Society et l’International Sentinel Node Society. Il est aussi pathologiste en chef de plusieurs essais cliniques internationaux présentement en cours aux États-Unis et en Europe.
Le Dr Alan Spatz a signé plus de 170 documents de recherche, rapports, exposés de synthèse, livres et articles scientifiques.
“La vaste expérience du Dr Alan Spatz en onco-pathologie aura une portée certaine sur l’orientation future du Centre du cancer Segal. Il est un ajout précieux à l’équipe de l’H.G.J.”, a déclaré le Dr Hartley Stern, directeur général de l’H.G.J.
Canadian Jewish News: Qu’est-ce qui vous a motivé a poursuivre votre carrière médicale à l’H.G.J.?
Dr Alan Spatz: Avant d’accepter le poste de chef du Département de pathologie de l’H.G.J., j’ai visité cette institution médicale réputée. Deux aspects m’ont beaucoup frappé lors de cette visite. Le premier aspect est le niveau d’implication de tous les acteurs de l’H.G.J.: des patients, des médecins, des chercheurs, des chercheurs cliniciens et de l’ensemble du personnel. C’est quelque chose qui m’a très positivement touché. Le deuxième point, qui est très important pour moi, est que l’H.G.J. et l’Université McGill, à laquelle il est affilié, ont un très fort potentiel d’intégration de l’approche clinique et humaine et de la recherche. C’est exactement ce que je recherchais. Je n’ai jamais vu en Europe un potentiel d’intégration aussi développé. Ça a été pour moi un facteur décisif qui m’a fortement encouragé à venir au Québec.
C.J.N.: Le Département de pathologie de l’H.G.J. est une entité à la fine pointe de la recherche médicale.
Dr A. Spatz: Oui. Le Département de pathologie est axé à la fois sur la pathologie chirurgicale, c’est-à-dire le fait de rendre des diagnostics à partir de tissus prélevés chez les patients, et sur l’utilisation d’une plateforme de pathologie moléculaire. C’est dans la plateforme de pathologie moléculaire de l’H.G.J., l’une des plus réputées au monde, qu’a été identifiée une mutation du gène MSH2, appelée la “mutation ashkénaze”, qui permet de déceler plus précisemment des patients à risque susceptibles d’avoir un cancer du côlon. Le gène MSH2 est un gène dont la mutation est précisément associée à un risque de cancer du côlon survenant sans polype. En faisant un dépistage plus précoce, on augmente considérablement les capacités de guérison et de traitement. L’identification de ces mutations permet de sauver chaque année des milliers de vies. La plateforme de pathologie moléculaire de l’H.G.J., qui est très performante, est totalement intégrée au Département de pathologie. Cette communication entre la pathologie moléculaire et les examens classiques de pathologie chirurgicale est un grand atout qui permet d’améliorer le diagnostic.
C.J.N.: Vous êtes pathologiste et oncologue. Comment allez-vous concilier ces deux spécialités médicales dans votre nouvelle fonction?
Dr A. Spatz: Le fait que je sois professeur de pathologie et d’oncologie, ce qui est une grande particularité, souligne la volonté d’intégration des responsables de l’H.G.J., du Centre du cancer Segal et de l’Université McGill de la pathologie et de l’oncologie. L’intégration de ces deux disciplines médicales fondamentales est de plus en plus nécessaire puisque aujourd’hui ce n’est pas seulement le diagnostic mais aussi le traitement d’un patient atteint d’un cancer qui dépendent directement des examens effectués sur les tissus. Pour qu’un traitement soit optimal, ces examens doivent également être optimaux. Par exemple, les traitements du cancer du poumon avec des médicaments inhibant la molécule appelée “EGFR” apportent un bénéfice surtout aux patients porteurs d’une tumeur qui a une mutation du gène EGFR. Cette mutation est donc systématiquement recherchée. Lorsque la mutation est absente d’autres traitements sont proposés. De la même façon, les patientes ayant un cancer du sein avec une surexpression de la protéine HER2 identifiée par le pathologiste seront préférentiellement traitées avec un anticorps dirigé contre HER2, le trastuzumab.
C.J.N.: Quelles sont vos impressions sur le Centre du cancer Segal de l’H.G.J.?
Dr A. Spatz: Ce qui me paraît évident, c’est que l’H.G.J. et le Centre Segal partagent la même volonté de transcender les frontières entre le progrès et l’humanisme. Ce dialogue permanent entre progrès et humanisme est d’ailleurs une des caractéristiques importantes de l’H.G.J. et du Centre Segal. Ce que je trouve également enthousiasmant dans le Centre Segal, c’est la très grande fluidité des relations entre ses acteurs. Dans le Centre Segal tout a été fait dès sa conception par le Dr Gerald Batist pour qu’il y ait des échanges permanents d’idées et d’expertises. Le Dr Batist et moi-même sommes totalement en phase avec cela. Cette façon de concevoir la cancérologie et la pathologie est le seul moyen de pouvoir progresser vite et de façon efficace.
C.J.N.: Le cancer est un grand fléau qui tue des millions de personnes chaque année. La recherche médicale progresse, mais plutôt lentement.
Dr A. Spatz: Il faut quand même réaliser qu’en trente-cinq ans des progrès majeurs ont été obtenus dans plusieurs domaines de la lutte contre le cancer. C’est le cas du cancer du testicule, des sarcomes et des leucémies de l’enfant, des lymphomes. De plus, ces cinq dernières années, nous avons fait des progrès considérables pour une meilleure compréhension des mécanismes biologiques de développement des cancers et de leurs métastases. Cette compréhension est une étape indispensable pour le développement de nouveaux médicaments. Le fait d’avoir mieux compris ces mécanismes de progression est donc une avancée considérable. C’est sur ces nouvelles connaissances que nous devons maintenant capitaliser.
C.J.N.: Mais la recherche médicale est toujours impuissante face à certains types de cancers très fulgurants.
Dr A. Spatz: C’est vrai que dans certains cas, malheureusement, nous n’avons pas encore de molécules efficaces. On peut se demander pourquoi au cours des deux dernières décennies nous n’avons pas fait des progrès plus substantiels dans la lutte contre ces cancers. Un des facteurs est certainement le fait que l’expertise aboutit souvent à un morcellement de la connaissance et que la recherche de l’excellence s’est parfois faite au détriment de son partage. Les progrès en cancérologie passent par l’établissement d’un cercle vertueux entre le patient, la recherche clinique et la recherche fondamentale. Par nature, parce qu’il est à la croisée du diagnostic, du traitement et de la recherche, le pathologiste est un intégrateur dont une des missions principales est de favoriser ce cercle vertueux.
C.J.N.: Quel est l’état de la recherche en ce qui a trait aux mélanomes?
Dr A. Spatz: Aujourd’hui, environ 80% des mélanomes qui sont enlevés sont guéris. Mais le mélanome est un cancer pour lequel il nous reste à faire des progrès à la fois en situation “adjuvante”, c’est-à-dire pour diminuer le risque d’évolution lorsque le mélanome qui est enlevé est à haut risque, et en situation “thérapeutique”, c’est-à-dire quand le patient a une métastase. Dans aucune de ces situations nous n’avons un médicament qui a clairement démontré son efficacité. C’est dire l’importance de la recherche dans le domaine du mélanome. Dans le cadre du groupe de recherche international sur le mélanome que je dirige, un de nos objectifs principaux a été de créer un centre de recherche décentralisé pour partager rapidement et efficacement les expertises et les plateformes technologiques. Grâce à cette collaboration internationale nous avons obtenu des résultats extrêmement prometteurs en identifiant des voies clés dans la progression du mélanome. C’est sur ces voies-là que notre recherche s’oriente désormais au Centre du cancer Segal pour essayer d’indentifier des molécules efficaces.
C.J.N.: Les longues listes d’attente sont indéniablement l’une des grandes incongruités du système de santé québécois. Le médecin européen que vous êtes est-il surpris par ces longs délais dans la prise en charge des patients?
Dr A. Spatz: La qualité de la médecine au Québec est très élevée. Pourtant, le délai de prise en charge des patients et de réponse des examens est trop grand. Les patients sont anxieux et ont légitimement le droit d’avoir des réponses médicales rapides. Au Québec, ces délais sont liés à plusieurs facteurs. Mais, le facteur principal est certainement l’insuffisance de médecins et la difficulté de recrutement. Ceci est particulièrement crucial en ce qui concerne la pathologie. Il y a une compétition très importante avec les autres provinces canadiennes, surtout avec l’Ontario, et les États-Unis. Il y a donc un flux négatif de pathologistes vers les autres provinces du Canada et les États-Unis.
Il faut absolument revenir à une situation pragmatique et mettre en adéquation les salaires des pathologistes québécois avec ceux de leurs confrères travaillant dans les autres provinces canadiennes. Il s’agit d’un problème de santé publique. S’il n’y a pas assez de pathologistes, le système de santé québécois est bloqué. Par exemple, le standard de réponse pour les frotti cervico-vaginaux -un examen de dépistage des lésions pré-cancéreuses du col utérin- est aux alentours de dix jours dans les pays européens. Au Québec, il est parfois de plusieurs mois. C’est bien trop long.
French pathologist-oncologist Dr. Alan Spatz, who recently became chief of pathological services at the Jewish General Hospital, is known for his expertise on pathology and on cancer, and for his work in cancer research.