Une Chaire d’Études juives à l’Université de Montréal?

Un projet de création d’une Chaire ­d’Études juives est actuellement à l’étude à l’Université de Montréal. Si cet ambitieux projet académique se concrétisait, ce serait une première dans les annales du monde universitaire francophone québécois.

Jean Duhaime, Doyen de la Faculté de Théologie et de Sciences des religions de l’Université de Montréal

L’un des principaux initiateurs de ce projet, le professeur Jean Duhaime, Doyen de la Faculté de Théologie et de Sciences des religions de l’Université de Montréal, nous a expliqué au cours d’une entrevue les grandes lignes et orientations de ce projet universitaire.

Canadian Jewish News: Y a-t-il actuellement un Programme d’Études juives de premier ou deuxième cycle à l’Université de Montréal?

Jean Duhaime: De la fin des années 70 jusqu’au début des années 80, il y a eu à l’Université de Montréal un Programme de Certificat en Études juives, dirigé successivement par les professeurs Esther Benaïm-Ouaknine et Jean Ouellette. Ce Programme, interrompu au début des années 80, n’a pas été totalement aboli. Nous souhaitons le ré­acti­ver sous une forme plus adaptée. Techniquement, c’est un Programme qui n’est plus offert, mais quelques cours de celui-ci sont toujours offerts occasionnellement.

Depuis deux ans, j’essaye d’identi­fier des partenaires potentiels pour réactiver ce Programme dans le cadre d’un projet académique visant à créer une Chaire d’Études juives à l’Uni­versi­té de Montréal.  C’est un grand défi. Notre entente avec le Centre ­d’Études juives contemporaines Aleph de la Communauté sépharade unifiée du Québec, fondé et dirigé par Sonia Sarah Lypsic, un Programme d’Université d’été abordant des thèmes juifs, arrive à point nommé ­parce que nous sommes dans une période de réflexion pour ré­acti­ver d’une façon plus dynamique les Études juives à l’Université de Montréal.

C.J.N.: Quand est-ce qu’a germé l’idée de créer une Chaire d’Études juives à l’Université de Montréal?

Jean Duhaime: Ce projet a pris naissance au tournant des années 2000, dans le contexte de la dernière grande Campagne de financement lancée par l’Université de Montréal. On a demandé aux différentes Facultés d’élaborer de nouveaux projets. La Faculté de Théologie et de Sciences des religions a soumis plusieurs projets de Chaires d’Études, dont un projet de Chaire d’Études sur le dialogue entre Juifs et Chrétiens. Mais, nous nous sommes vite rendu compte, après une évaluation du contexte de l’époque et du degré de faisabilité de ce projet, qu’il était préférable d’envisager plutôt la création d’une Chaire d’Études juives pour qu’il y ait une réelle présence des Études juives à l’Université de Mont­réal. Et, dans ce projet de Chaire ­d’Études juives, on pourrait intégrer la dimension du dialogue interreligieux. Depuis, ce projet a évolué dans cette direction.

C.J.N.: Qui seront les principaux partenaires de l’Université de Montréal dans ce projet académique?Avez-vous sol­li­ci­té l’appui d’institutions de la Communauté juive de Montréal?

Jean Duhaime: L’Université de Mont­réal a approché quelques organismes susceptibles d’appuyer financièrement ce projet, notamment une Fondation philanthropique d’une famille juive, que vous me permettrez de ne pas nommer pour l’instant, qui s’est montrée in­té­res­sée par ce projet et avec laquelle nous sommes présentement en discussion. Les dirigeants de cette Fondation nous ont indiqué qu’ils souhaitaient que cette Chaire d’Études juives ne soit pas uniquement une Chaire de recherches au niveau des Études supérieures sur des thématiques pointues et parfois peu accessibles au grand public, mais que tout en revêtant cette dimension-là, qui est un aspect essentiel d’une Chaire ­d’Études universitaire, qu’on intègre dans cette nouvelle Chaire ­d’Études juives des enseignements, de niveau de premier cycle, pour faire connaître la culture juive aux étudiants de l’Université de Montréal.

Mais comme ce projet a été initié dans une Faculté de Théologie et de Sciences des religions, ça demande des démarches exploratoires et des discussions avec d’autres partenaires dans l’Université parce que la culture juive déborde largement la dimension religieuse ou théologique.

C.J.N.: Cette Chaire d’Études juives relèvera-t-elle directement de la Faculté de Théologie et de Sciences des religions de l’Université de Mont­réal?

Jean Duhaime: Cette Chaire d’Études juives prendrait la forme d’un partenariat étroit entre la Faculté de Théologie et de Sciences des religions et la Faculté des Arts et des Sciences de l’Université de Montréal, qui abrite les Départements d’Histoire, de Littérature, de Sociologie, d’Anthropologie… Ce partenariat pourrait aussi inclure le Centre d’Études Allemandes de l’Université de Mont­réal, où il y a des étudiants et des chercheurs qui s’intéressent particulièrement à l’Histoire du Judaïsme contemporain. Il y aura plusieurs partenaires et intervenants.

On n’a pas encore arrêté de façon précise la localisation de cette future Chaire d’Études juives. Cet ancrage dépendra de celui ou celle qui sera la ti­tu­laire responsable de cette Chaire ­d’Études. Si il, ou elle, est un(e) spécialiste de l’Histoire du Judaïsme, cette Chaire ­d’Études juives sera alors rattachée au Département d’Histoire, qui relève de la Faculté des Arts et des Sciences. Si c’est un(e) universitaire qui travaille plutôt sur la dimension religieuse du Judaïsme, cette Chaire d’Études sera alors rattachée à la Faculté de Théologie et de Sciences des religions…

C.J.N.: Quel sera le budget de cette future Chaire d’Études juives?

Jean Duhaime: Environ 2 millions de dollars. C’est le budget de base de fonctionnement d’une Chaire d’Études à l’Uni­versi­té de Montréal dans le domaine des Sciences humaines. Avec un fonds de 2 millions de dollars, on est capable de générer dans une année normale, évidemment pas dans une période de crise financière comme celle qu’on vient de connaître, un rendement adéquat: environ 100000$ de revenu annuel. Une Chaire d’Études qui fonctionne bien génère des activités de recherche qui peuvent aller chercher un financement étalé sur 3 à 5 ans.

C.J.N.: Quels seront les principaux objectifs et orientations de cette Chaire ­d’Études juives?

Jean Duhaime: Le principal objectif de cette Chaire ­d’Études juives sera de faire découvrir la culture juive aux étudiants de l’Université de Montréal. On mettra particulièrement l’accent sur trois volets importants.

1-Une connaissance de base de la culture juive, qu’on pourra dispenser à travers les enseignements et certaines activités de cette Chaire d’Études -conférences, colloques, publications…

2-Promouvoir la culture juive dans la la Francophonie. On bénéficie à Mont­réal d’une grande Université de niveau international, l’Université de Mont­réal, qui joue rôle important dans la Francophonie. Or, aujourd’hui, la Francophonie, c’est la France, le Québec, la Suisse, la Belgique… et bien sûr aussi Israël, dont une partie de la population est francophone. Bien qu’Israël ne soit pas encore un membre officiel de la Francophonie, les institutions universitaires israéliennes peuvent contribuer à des échanges universitaires dans le cadre de la Francophonie. On veut que cette Chaire d’Études juives soit une sorte de plaque tournante complémentaire, en partenariat avec des institutions de la Communauté juive, pour que lorsqu’un chercheur francophone juif ou israélien arrive a Montréal, il trouve une assise académique bien établie par le biais de laquelle il pourra faire connaître ses travaux, donner des conférences publiques et avoir une présence ostensible dans le milieu universitaire québécois.

3ème volet de cette Chaire d’Études juives: la contribution de la Communauté juive à la société québécoise. Il existe à l’Université Concordia, en partenariat avec l’Université York de Toronto, un Programme d’Études juives canadiennes, offert seulement en anglais, qui a comme objectif de faire connaître  l’“expérience juive” au Canada. Le volet québécois francophone est inexistant dans ce projet universitaire.

C.J.N.: Faire découvrir la culture juive aux étudiants de l’Université de Mont­réal sera donc un objectif prioritaire?

Jean Duhaime: Oui. Nous pensons que dans la société québécoise la contribution de la Communauté juive n’est pas suffisamment connue sur le plan historique. Un des objectifs de cette Chaire ­d’Études sera d’oeuvrer à faire mieux connaître et à mieux identifier les contributions importantes de la Communauté juive à la société québécoise. On favorisera ainsi de meilleures relations entre les Juifs et les non-Juifs dans la société québécoise.

Comme Faculté de Théologie et de Sciences des religions promouvant la rencontre des traditions religieuses, nous avons intérêt à ce que la Communauté juive et sa culture soient mieux connues dans la société québécoise. Nous croyons que cette approche interculturelle aidera à mettre en perspective certaines tensions qu’on observe au Québec dès qu’il y a des conflits au Proche-Orient.

C.J.N.: La connaissance d’Israël et de sa culture occupera-t-elle une place importante dans les Programmes aca­dé­miques de cette future Chaire ­d’Études juives?

Jean Duhaime: Israël n’est pas uniquement une question politique. Israël occupe une place de premier plan dans l’histoire, la religion et la culture juives. Dans cette Chaire d’Études juives, Israël sera abordé sous un angle culturel, historique, sociologique… Dans le Programme d’Études juives de l’Université de Montréal des années 80, les étudiants inscrits participaient à un voyage d’étude en Israël, qui per­met­tait à ces derniers de découvrir ce pays et de mieux saisir la diversité et la complexité de la société israélienne ainsi que les enjeux du conflit israélo-arabe. Ce type de voyage devrait faire partie des objectifs d’une Chaire d’Études juives.

In an interview, Prof. Jean Duhaime, dean of the Faculty of Theology and Religious Sciences at the Université de Montréal, talks about a chair of Jewish studies being proposed for the university.