Quand Laurent Laplante fustige Israël

L’écrivain Laurent Laplante est l’un des critiques littéraires les plus réputés et respectés du Québec.

L’écrivain Laurent Laplante est l’un des critiques littéraires les plus réputés et respectés du Québec.

Il signe un Billet dans chaque numéro du magazine littéraire bimestriel Le Libraire, référence incontournable dans le monde littéraire et de l’édition québécois. Publié par l’Association des Librairies indépendantes du Québec, Le Libraire a une très large diffusion, ce périodique étant distribué gratuitement dans toutes les librairies, bibliothèques, Maisons de la Culture, Associations culturelles établies dans les cégeps et les universités… du Québec. Le Libraire est lu par des milliers de Québécois amateurs de littérature.

Dans la dernière livraison du Libraire -septembre-octobre 2009, No. 54-, Laurent Laplante a signé un Billet intitulé “Livre, sexe et liberté”.

La première partie de cet article est un réquisitoire vindicatif contre Israël. Le critique littéraire nous livre sa vision, des plus réductrices, de la politique de l’État hébreu en s’appuyant sur les réflexions sur Israël que l’écrivain juif italien, survivant de la Shoah, Primo Levi, égrena dans le cadre d’une entrevue qu’il a accordée en 1982 au grand quotidien italien La Stampa, alors que la première Guerre du Liban faisait rage.

“La société qui brûle des livres, et plus d’une l’a fait, entend asphyxier la liberté. Celle qui menace les maisons d’édition pratique aussi l’obscurantisme. Mais la société qui se dispense de lire fait à peine mieux, car le devoir de s’informer existe et il exige la lecture. Qui ne lit pas vote en légume. Forcément, puisque sa raison obéit au mensonge et au commerce. Livre et liberté: même combat”, écrit Laurent Laplante dans l’introduction de son Billet littéraire.

Ensuite, le critique s’empresse d’attirer notre attention sur un remarquable et imposant ouvrage -1138 pages- que l’excellente Collection “Bouquins” des Éditions Robert Laffont a consacré à l’oeuvre de Primo Levi. Ce livre recèle, rigoureusement annotées et présentées, les oeuvres maîtresses de ce survivant de la Shoah né à Turin en 1919 et mort en 1987 -il s’est suicidé-, qui fut le témoin de cette hécatombe effroyable qui décima 6 millions de Juifs Européens durant la Deuxième Guerre mondiale.

“Ce superbe ouvrage sur Primo Levi insufflera du courage à ceux que scandalise le comportement d’Israël, mais qui se taisent par peur d’être taxés d’antisémitisme. Levi est Juif. Il a vécu Auschwitz. Difficile d’en faire un antisémite. Que pense-t-il des dirigeants d’Israël? “Begin, Sharon, bref, tout le groupe qui dirige aujourd’hui Israël s’apparente beaucoup aux classes dirigeantes des autres pays du Moyen-Orient. Paradoxalement, Begin et ses hommes sont en train de réaliser un vieux rêve sioniste: devenir un pays du Moyen-Orient. Mais ils le réalisent de la pire des façons: ils prennent exemple sur la démagogie, sur l’instabilité, sur le manque de respect des promesses et des traités, qui distinguent trop de dirigeants du Moyen-Orient. J’ai un seul message à leur transmettre: qu’ils démissionnent”.

“Comme Israël fait actuellement pire qu’en 1987, le Primo Levi de 2009 serait encore plus tranchant”, renchérit Laurent Laplante.

Avec ses réflexions cinglantes sur les dirigeants d’Israël, Primo Levi “balaie les paresses et les clichés”, ajoute Laurent Laplante.

“Malgré Auschwitz, Levi nie l’existence des monstres: “Des monstres, moi, je n’en ai jamais vu aucun. C’étaient des gens comme nous, et, s’ils agissaient de la sorte, c’est parce que le fascisme et le nazisme régnaient en Allemagne. Si le fascisme ou le nazisme revenaient, on trouverait partout des gens, comme nous, qui agiraient comme eux…””

Laurent Laplante lance cette remarque interpellatrice aux Israéliens: “Gare à ceux qui se disent persécutés dès qu’on les contredit et à ceux qui dénoncent les barbares. Comment parvient-on à une telle liberté de pensée? En fréquentant très tôt les livres peuplés de personnages autonomes, curieux, rebelles. En choisissant dans le titillement littéraire déferlant sur les jeunes, les auteurs dont la lecture est à la fois un effort et un plaisir…”

On a l’impression que pour Laurent Laplante, les Israéliens ne sont que des crasses lecteurs n’ayant aucun raffinement littéraire. Des quasi-illettrés niais et patentés! Qu’il se détrompe! Il devrait visiter Israël pour réaliser à quel point dans ce petit pays les livres et la littérature occupent une place cardinale. Chose certaine, la littérature à saveur stalinienne formatrice d’esprits obtus n’a jamais été la tasse de thé des Israéliens!

Primo Levi était-il un détracteur véhément de l’État d’Israël?, comme le laisse entendre Laurent Laplante dans son Billet. Dans la dernière partie du livre que les Éditions Robert Laffont ont dédié à l’oeuvre de l’écrivain Turinois, on a reproduit une cinquantaine d’entrevues, qu’il a accordées à des journaux transalpins, et de conversations -presque toutes inédites-, qu’il a eues avec des grands intellectuels italiens, depuis la fin des années 70 jusqu’à sa mort au printemps de 1987.

Primo Levi parle longuement de sa Judaïté, de sa relation avec la culture juive, de son expérience concentrationnaire à Auschwitz, de ses rapports avec l’État d’Israël, qui ont toujours été très francs mais jamais acrimonieux, du statut des Juifs dans l’Italie de l’après-Guerre… Comme beaucoup d’Israéliens, et de Juifs de la Diaspora, il a sévèrement critiqué l’expédition militaire désastreuse dans laquelle le gouvernement de droite de Menahem Begin a fourvoyé en 1982 les Israéliens pour évincer l’O.L.P. de Beyrouth. Force est de rappeler, que cette guerre, dont les objectifs étaient plus politiques que militaires, provoqua une profonde fracture au sein de la société israélienne, dont des séquelles perdurent encore. Il n’y a qu’à lire la très sérieuse biographie que Myriam Anissimov a consacrée en 1996 à Primo Levi -Primo Levi ou la tragédie d’un optimiste (Éditions JC Lattès)- pour se rendre à l’évidence que ce Juif turinois ne fut jamais un anti-Sioniste invétéré mais plutôt un Sioniste lucide.

Laurent Laplante a préféré se cantonner dans une lecture tronquée et très sélective d’un pan de l’oeuvre de Primo Levi pour stigmatiser Israël et forger, à partir de quelques propos tenus par l’écrivain déporté, qu’il faut absolument restituer dans le contexte politique de l’époque, une vision lacunaire et globalisante de l’État juif et du Sionisme, à laquelle, indéniablement, Primo Levi n’aurait jamais adhéré.

Dans le brillant essai qu’il vient de consacrer à la littérature, Un Coeur intelligent (Éditions Stock/Flammarion), le philosophe Alain Finkielkraut nous rappelle que recourir à la littérature pour crédibiliser des opinions politiques et idéologiques, c’est “un exercice incongru qui affadit la littérature”.

Au cours de l’entrevue qu’il nous accordée récemment à l’occasion de la parution d’Un Coeur intelligent, nous avons questionné Alain Finkielkraut sur l’épineuse question des rapports entre le militantisme politique et la littérature. Voici sa réponse:

“L’engagement politique n’est pas la vocation de la littérature. La littérature ne se soumet pas à une cause. S’engager politiquement, c’est se mettre au service d’une vérité, qui est en quelque sorte antérieure à l’oeuvre et que l’heure a chargé d’illustrer. Se battre pour une vérité ou une cause politique, c’est essayer de faire pencher la balance en faveur d’un camp. La littérature, c’est autre chose. La littérature, c’est une découverte dont la seule cause est la vérité de l’existence alors que l’engagement politique est une forme d’asservissement.”

Laurent Laplante vient de nous donner un exemple patent de l’instrumentalisation d’une oeuvre littéraire à des fins politiques. C’est consternant!

CJN reporter Elias Levy responds to an article by Quebec literary critic Laurent Laplante that appeared in the September-October, No. 54 edition of the magazine Le Libraire.

Author

Support Our Mission: Make a Difference!

The Canadian Jewish News is now a Registered Journalism Organization (RJO) as defined by the Canada Revenue Agency. To keep our newsletter and quarterly magazine free of charge, we’re asking for individual monthly donations of $10 or more. As our thanks, you’ll receive tax receipts and our gratitude for helping continue our mission. If you have any questions about the donation process, please write to [email protected].

Support the Media that Speaks to You

Jewish Canadians deserve more than social media rumours, adversarial action alerts, and reporting with biases that are often undisclosed. The Canadian Jewish News proudly offers independent national coverage on issues that matter, sparking conversations that bridge generations. 

It’s an outlet you can count on—but we’re also counting on you.

Please support Jewish journalism that’s creative, innovative, and dedicated to breaking new ground to serve your community, while building on media traditions of the past 65 years. As a Registered Journalism Organization, contributions of any size are eligible for a charitable tax receipt.