Les très épineuses questions des mariages mixtes et des conversions au Judaïsme ont été abordées dans le cadre d’un panel-discussion organisé par le Centre d’Études juives contemporaines Aleph de la Communauté sépharade unifiée du Québec.
Fondé et dirigé par une spécialiste reconnue des Études juives, l’universitaire Sonia Sarah Lipsyc, le Centre Aleph s’est fixé pour mandat de traiter sous divers angles des thèmes juifs dans un esprit de grande ouverture, en conviant à ses Journées d’étude et de réflexion des représentants des différents courants du Judaïsme.
Ainsi, cette table ronde a réuni un Rabbin orthodoxe, Moïse Ohana, leader spirituel de la Congrégation sépharade Or Hahayim de Côte Saint-Luc; un agnostique, qui se définit comme un “Juif accidentel”, Léon Oukanine, consultant et ex-directeur général du CLSC René-Cassin; une Catholique convertie au Judaïsme, par choix personnel, par le mouvement reconstructionniste de Montréal, Yolande Martel; et une professionnelle de l’Agence Ometz de la FÉDÉRATION CJA, chargée d’aider dans leur processus d’intégration à Montréal des immigrants d’origine russe dont la judéité n’est pas reconnue du point de vue halakhique, Ruth Najman.
Le nouveau directeur général de la FÉDÉRATION CJA, Andres Spokoiny, devait aussi participer à ce panel, mais pour une raison involontaire -un déplacement à l’extérieur de la ville de dernière minute-, il n’a pu être présent. Sonia Sarah Lipsyc a lu l’allocution qu’il avait préparée à l’occasion de cette rencontre-discussion.
Andres Spokoiny brossa un tableau très éloquent de la situation des mariages mixtes en Amérique du Nord, au Canada et dans d’autres continents et de ses répercussions sur l’identité juive.
“Les différences d’opinion sur la conversion risquent de fracturer le peuple juif. Si un consensus n’est pas trouvé, des groupes différents établiront des processus de conversion radicalement différents et il y aura des Juifs qui ne seront pas reconnus comme tel par des parties du peuple juif”, constate-t-il.
À Montréal, les statistiques sur les mariages mixtes sont à première vue rassurantes: nous avons l’indice de mariages mixtes le plus bas en Amérique du Nord. Cela est du à une série de facteurs: l’importance de l’Éducation juive -près de 50% des enfants juifs montréalais sont scolarisés dans les écoles juives-; linguistiques, sociaux et aussi géographiques -les Juifs vivent concentrés dans certains secteurs de Montréal-, précisa Andres Spokoiny.
Pourtant, ajouta-t-il, ces statistiques sont quelque part trompeuses puisqu’elles considèrent la population juive de Montréal dans sa totalité et non par tranches d’âges.
“Si on découpe la population juive de Montréal par tranches d’âges, on verra que chez les jeunes l’incidence des mariages mixtes est beaucoup plus importante: autour de 30%. Donc, Montréal n’est pas à l’abri de ce phénomène.”
Pendant longtemps, expliqua Andres Spokoiny, il y avait deux philosophies différentes: une proposait des efforts pour stopper les mariages mixtes et l’autre affirmait que la bataille contre les mariages mixtes était perdue et qu’il fallait se focaliser plutôt sur des efforts pour s’assurer qu’avec ou sans conversion de l’époux non-Juif ou de l’épouse non-Juive les enfants de mariages mixtes soient éduqués au sein du Judaïsme.
“Je crois que cette contradiction est aujourd’hui révolue. Les Communautés juives doivent continuer de lutter contre les mariages mixtes. L’Éducation juive, et aussi l’organisation d’activités sociales et informelles, sont les clés pour contrer ce phénomène. Il est impératif de proposer aux jeunes des alternatives diverses pour les encourager à socialiser et à s’impliquer avec d’autres jeunes Juifs dans des projets communs. Il faut ouvrir à ces jeunes de nombreuses portes d’entrée dans la vie juive. Nous devons être pluralistes et créatifs pour attirer le plus grand nombre de jeunes. Pour cela, il faut que nos Communautés élaborent des politiques et des programmes pour attirer dans la vie communautaire juive les enfants de mariages mixtes. Les écoles juives doivent s’ouvrir davantage à ces enfants… Une Communauté juive se doit d’être inclusive et ouverte et non menaçante pour ces personnes.”
Aux États-Unis, moins de 30% d’enfants issus de mariages mixtes restent dans le Judaïsme. Mais, dans certaines villes américaines où les Fédérations et les organisations communautaires juives ont affiché une plus grande ouverture à l’endroit des familles interconfessionnelles, cet indice a remonté jusqu’à 50%, voire 60%, nota Andres Spokoiny.
Le Rabbin Dr Moïse Ohana présenta la position du Judaïsme orthodoxe sur la question des conversions.
“Le Judaïsme est accueillant et ouvre ses portes toutes grandes à celles et à ceux qui par adhésion sincère cherchent à embrasser le Judaïsme, mais pas simplement pour la forme et pour partager ses valeurs, sa culture, son Histoire, ses idées… Ça, c’est la partie la plus facile. Le Judaïsme, qui recèle tant de belles choses, est éminemment “vendable”. Le Judaïsme orthodoxe attend de la personne qui souhaite se convertir qu’elle adhère avec entrain et sincérité à la pratique des Mitzvoth et des interdits, qui sont légion dans le Judaïsme, les grands et les petits, sans réserves. Le Judaïsme orthodoxe attend aussi de cette personne qu’elle adopte en bloc le Shoulhan Aroukh et la Halakha comme Guide et mode de vie. Laissez-moi vous dire que ça, c’est une facture très lourde à assumer. Pour le Judaïsme orthodoxe, moins que ça, c’est une conversion de compromis et d’accommodement.”
D’après le Rabbin Moïse Ohana, les leaders spirituels du Judaïsme orthodoxe se doivent d’être “très sincères” quand un non-Juif leur demande de le convertir au Judaïsme.
“On ne demande pas à un Rabbin orthodoxe de te convertir au Judaïsme réformiste! Nous vivons, heureusement, dans des Communautés juives pluralistes et très démocratiques. Il n’y a personne qui impose quoi que ce soit à qui que ce soit. C’est un choix délibéré. Par conséquent, on ne peut pas reprocher, comme certains le font souvent, aux Rabbins orthodoxes d’être fermés d’esprit alors que tout ce que ces derniers font c’est d’être honnêtes et sérieux en disant à la personne désirant se convertir au Judaïsme dans quoi elle s’embarque. Les Rabbins orthodoxes ne veulent pas mener cette personne dans un marché de dupes parce que ce serait malhonnête. Ils n’ont pas envie que le peuple juif grandisse en nombre et en noms et que le Judaïsme périclite et disparaisse complètement. Le Judaïsme orthodoxe prend le Judaïsme très au sérieux. C’est une religion révélée, derrière laquelle il y a une révélation, un Dieu, des textes, des Rabbins, des Guides… Pour le Judaïsme orthodoxe, c’est tout cet ensemble indivisible qui fait la grandeur du Judaïsme.”
Pour le Rabbin Moïse Ohana, l’avenir du Judaïsme réside entièrement dans l’Éducation juive et non dans les perspectives démographiques sombres du peuple juif.
“D’après des prévisions démographiques, dans vingt ans, les 6 millions actuels de Juifs Américains ne seront plus que 3 millions. C’est regrettable, mais ce déclin n’est pas la conséquence de la position, que certains qualifient de “radicale”, des Rabbins orthodoxes sur les conversions mais de l’ignorance crasse du Judaïsme qui sévit dans certaines Communautés juives. Le grand problème de certaines Communautés juives vivant dans des sociétés occidentales, ce n’est pas les mariages mixtes, ni la soi-disante fermeture d’esprit des Rabbins orthodoxes, c’est le fait que ces Communautés ne prennent pas au sérieux l’idée de l’Éducation juive, qui devrait être transmise aux nouvelles générations de Juifs et aussi à des adultes dont les parents n’ont pas eu à coeur de leur transmettre. Cette Éducation est fondamentale pour garantir une pérennité au Judaïsme. C’est celle-là la grande priorité. En valorisant et en transmettant à nos jeunes une Éducation juive, on aboutira alors à un Judaïsme fondé, solide et sérieux et pas simplement à un Judaïsme des chiffres.”
Léon Ouaknine souligna les prédictions démographiques “dramatiques” établies par le Jewish People Policy Planning Institute de Jérusalem, un Institut de recherche fondé en 2002 par le gouvernement israélien, l’Agence Juive et d’importantes organisations juives de la Diaspora: 50% des Juifs Nord-Américains et d’Europe occidentale et 80% des Juifs russes s’assimilient au travers de mariages mixtes.
“Pour le Judaïsme, le mariage mixte est devenu le plus puissant facteur d’assimilation et aussi une migraine permanente pour toutes les Communautés juives occidentales. Assimilation=érosion de l’identité juive=affaiblissement des Communautés juives. Cette évolution est une réalité désormais incontournable. C’est comme un éléphant dans une pièce! On ne peut pas éluder ces statistiques effrayantes: 50% des jeunes Juifs dans le monde occidental -en Europe et en Amérique du Nord- et 80% des jeunes Juifs en Russie optent pour un mariage mixte et sortent de l’identité juive. Il y a peut-être un retour au Judaïsme dans certaines Communautés juives, mais le mouvement semble aller globalement dans une seule direction.”
D’après Léon Ouaknine, il est temps que le Judaïsme orthodoxe reconnaisse une fois pour toutes cette “réalité sociologique et culturelle” qu’il a toujours éludée.
“Heureusement, la vie se rit de toutes les prescriptions, chacun fait ce qu’il a envie de faire! S’il y a 50% de Juifs qui décident de quitter le Judaïsme et de s’assimiler, ils ne le font pas nécessairement par méconnaissance du Judaïsme et de ses traditions mais simplement parce qu’il n’y avait pas suffisamment de pertinence dans ce qu’ils voyaient, dans ce que le Judaïsme orthodoxe leur proposait. Ils choisissent très librement une autre voie. Pour une très grande partie du peuple juif, la croyance est devenue très minimale. C’est une croyance pâle qui relève plus du rituel que d’une véritable croyance en une transcendance absolue. Ce métarécit est mort, sauf pour une petite partie du peuple juif.”
Pour Léon Ouaknine, la grande menace qui plane aujourd’hui sur le peuple juif n’est pas identitaire mais plutôt géopolitique.
“Nous sommes confrontés à un scénario noir qui est bien plus terrifiant que celui de la lente extinction démographique du peule juif: la possibilité d’un échange nucléaire entre Israël et l’Iran. Israël pourrait être rayé de la carte du monde. On serait alors face à une situation absolument inimaginable, où on contemplerait impavides la fin du peuple juif. Ce scénario pourrait se concrétiser d’ici dix ans.”
Yolande Martel, qui a été convertie au Judaïsme il y a dix-huit ans par la Congrégation reconstructionniste Dorshei Emet de Montréal, déplore que le Judaïsme orthodoxe ait une “piètre et très caricaturale” image des autres courants du Judaïsme: libéral, réformiste, reconstructionniste…
“Le mouvement reconstructionniste ne convertit pas un non-Juif en Juif en dix minutes! La personne souhaitant se convertir doit suivre aussi un processus de conversion exigeant qui requiert de nombreuses heures d’étude des textes juifs.”
Il faut encourager les conversions car la religion juive a “beaucoup à donner” à un non-Juif, ajouta-t-elle.
Yolande Martel a choisi de se convertir dans la mouvance reconstructionniste car comme “féministe”, elle tenait mordicus à vivre son Judaïsme dans un cadre communautaire et cultuel où les femmes occupent aussi une place prépondérante.
“À la Synagogue, je ne voulais pas être en arrière, ni à côté. Je voulais faire l’Aliya, prendre le Sépher, participer à parts égales avec les hommes à la prière… J’ai même demandé, lors de ma conversion au Judaïsme, que dans mon Beth Din -Tribunal rabbinique- il y ait aussi une femme Juge. Je sais que je ne serais jamais reconnue comme “Juive” en Israël, mais je me réjouis de pouvoir vivre à Montréal, dans ma Communauté, un Judaïsme ouvert, tolérant et inclusif.”
Ruth Najman, Agente de Ressources à l’Agence OMETZ, évoqua les difficultés auxquelles se heurtèrent, au début des années 90, des immigrants russes, dont la judéité n’était pas reconnue sur le plan halakhique par les instances rabbiniques orthodoxes, qui souhaitaient scolariser leurs enfants dans des écoles juives de Montréal. Ces nouveaux immigrants, dont la latitude de choix était restreinte par les dispositions de la Loi 101 relatives à la scolarisation des enfants d’immigrants, devaient mettre leurs rejetons dans une école ayant une classe d’accueil. La première école juive à avoir accepté dans ses classes d’accueil des enfants immigrants russes fut l’École Maïmonide. Cette École sépharade adopta aussi une attitude de grande ouverture envers des familles qui n’étaient pas Juives d’un point de vue halakhique.
“L’École Maïmonide n’exigea pas à ces familles immigrantes un certificat de conversion au Judaïsme reconnu par des instances rabbiniques orthodoxes. Maïmonide a ainsi permis à des familles d’origine russe d’éduquer leurs enfants dans un cadre pleinement juif. D’autres écoles juives exigeaient ce certificat rabbinique”, rappela Ruth Najman.
The Centre d’Études juives contemporaines Aleph recently organized a panel on mixed marriages and conversions to Judaism.