Les Musulmans de France sont-ils antisémites?

Né à Marrakech, au Maroc, le Rabbin Michel Serfaty est une figure de proue du Dialogue judéo-musulman en France et en Europe.

Né à Marrakech, au Maroc, le Rabbin Michel Serfaty est une figure de proue du Dialogue judéo-musulman en France et en Europe.

Suite à la progression très alarmante des actes antisémites pendant la seconde Intifada palestinienne -il a été lui-même victime d’une agression-, il a créé, avec l’assistance du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France -C.R.I.F.-, du Consistoire Israélite de Paris et de la Mosquée de Paris, l’Amitié judéo-musulmane de France, qu’il préside. Depuis 2005, il a fait sept fois le tour de France avec le “Bus de l’Amitié judéo-musulmane” à la rencontre des Communautés musulmanes et juives.

Au cours de l’entrevue qu’il nous a accordée, le Rabbin Michel Serfaty nous a livré ses impressions sur les perspectives des relations judéo-musulmanes en France depuis l’effroyable tuerie perpétrée à l’École Ozar-Hatorah de Toulouse par un fondamentaliste islamiste enragé et maladivement antisémite. Une tragédie indicible qui a plongé dans le deuil toute la Communauté juive de France.

Canadian Jewish News: Dans une entrevue que vous avez accordée au journal israélien Haaretz -édition du 23 mars 2012- vous avez déclaré: “50% des Musulmans de France haïssent les Juifs”. Une déclaration plutôt surprenante venant de la part du Président fondateur de l’Amitié judéo-musulmane de France.

Rabbin Michel Serfaty: Il n’y a aucun doute à mes yeux. La vérité c’est qu’aujourd’hui, ce sont plutôt 70% des Musulmans de France qui reçoivent un enseignement de haine et de mépris du Juif. C’est dans l’enseignement religieux et dans l’enseignement que leurs familles leur transmettent que les jeunes Musulmans français reçoivent les fondements de la haine du Juif. Quand ils arrivent à l’École, les enseignants sont horrifiés par les propos regorgeant de haine à l’endroit des Juifs que ces jeunes Musulmans tiennent.

C.J.N.: La tragédie qui vient de plonger dans l’effroi la Communauté juive de France aura-t-elle des répercussions néfastes sur les relations entre les Juifs et les Musulmans Français?

Rabbin Michel Serfaty: Comme beaucoup de Français, j’espérais que l’auteur de ces crimes ignobles serait appréhendé vivant et jugé. Son procès aurait été aussi celui du fondamentalisme islamique. La France a donc raté une occasion inespérée de désigner du doigt les fonda­menta­listes islamiques. Or, qui sont les fondamenta­listes islamiques en France? Rien de moins que l’Union des Organisations Islamiques de France (U.O.I.F.). Une Institution islamique extrémiste dont les leaders haïssent les Juifs et enseignent à leurs membres la haine et le mépris des Juifs. Ça fait huit ans que je me bats contre l’U.O.I.F. Lors de leur dernier Congrès, les dirigeants de cette Organisation islamique ont attaqué publiquement avec véhémence les Juifs, qu’ils ont traités de “renégats du Judaïsme”. Ces farouches intégristes ont aussi affirmé que “les Juifs du fait de leur soumission au Sionisme sont des traîtres à leur propre religion”.

C.J.N.: Les leaders de l’Islam dit modéré de France condamnent-ils cette rhétorique foncièrement antisémite martelée par les dirigents de l’U.O.I.F. ?

Rabbin Michel Serfaty: Cette fois-ci, je suis passé à un cran supplémentaire. Je me suis adressé à mes amis Musulmans pour leur demander de s’ali­gner sur la position de l’Église catholique sur le plan théologique. C’est-à-dire: marquer une rupture définitive avec les fondamentalistes islamistes et reprendre à leur compte ce que l’Église a adopté sur le plan théo­lo­gique et qui est désormais un devoir pour chaque Chrétien: présenter correctement le Juif et le Judaïsme. J’ai demandé à mes homologues Musulmans de suivre les pas de l’Église catholique en véhiculant une idée positive des Juifs et en encourageant les fidèles de l’Islam de France à apprendre à mieux connaître les Juifs et à étudier leur Histoire. Je leur ai dit très explicitement qu’il est impératif que les Musulmans cessent de pré­sen­ter les Juifs à travers le prisme déformant de certains Hadith -ré­flexions du Prophète Mahomet- et Sourates du Coran.

C.J.N.: Pourquoi le gouvernement français permet-il à l’U.O.I.F. de poursuivre ses activités cultuelles et communautaires sur le Territoire français en dépit de ses positions idéologiques clairement antisémites?

Rabbin Michel Serfaty: La France est un pays de Droit. Le gouvernement français ne peut pas interdire l’U.O.I.F. parce que les leaders de cette Orga­ni­sa­tion islamique radicale n’ont pas commis des actes violents. Ils ne sont pas surveillés de près par les pouvoirs publics, comme c’est le cas des Sala­fistes et d’autres fondamentalistes Musulmans jusqu’au-boutistes. Dès qu’il y a un prêche antirépublicain ou antisémite dans les Mosquées sous la houlette de mouvances intégristes islamiques, les Imams des ces Éta­blisse­ments de culte sont immédiatement renvoyés dans leur pays d’origine ou condamnés par la Justice française. Par ailleurs, l’U.O.I.F. compte dans ses rangs des intellectuels et des avocats qui connaissent très bien le Droit français et savent quelles sont les limites à ne pas dépasser pour que cette Organisation islamique ne soit pas réprimandée par la Justice française.

L’U.O.I.F. est une Organisation islamique importante, qui représente aujourd’hui près de 30% des Musulmans de France. Fait nouveau: le Conseil français du Culte musulman, qui ne regroupe aujourd’hui que la Mosquée de Paris et le Rassemblement des Musulmans de France -cette Organisation est d’obédience marocaine soufiste-, a décidé de réformer le mode d’élection des représentants de l’Islam de France. Le Conseil français du Culte musulman souhaite que la représentation ne soit plus faite en fonction du nombre de places dont disposent les Mosquées, comme c’est le cas actuellement -ce mode électif favorise grandement l’U.O.I.F.-, mais en fonction du nombre de membres officiels de chacune des Organisations musulmanes de France.

C.J.N.: Les fondamentalistes islamistes sont en train de faire des ravages auprès des jeunes Musulmans vivant dans les Banlieues chaudes. Comment contrer leur prosélytisme idéologique très pernicieux?

Rabbin Michel Serfaty: Je constate avec regret que beaucoup de Marocains Musulmans français ont glissé vers l’extrémisme islamique. À l’instar d’un bon nombre de Marocains de Belgique et de Hollande, ils ont adhéré aussi à la mouvance fondamentaliste islamique. Par exemple, en France, dans la plupart des Mosquées marocaines, à la fin de la prière du Ramadan, appelée en arabe Dahwa, l’Imam claironnait sans ambages: “Dieu assassine les Juifs et les Sionistes”. Un jour, le Roi Mohammed VI du Maroc a eu écho de cette sinistre Affaire. Il décida alors d’émettre un Décret royal pour interdire dans les Mosquées marocaines de France la Dahwa qui appelle au meurtre des Juifs et des Sionistes. Le gouvernement marocain, avec qui j’ai régulièrement des contacts et des échanges, est extrêmement embarrassé par cette situation sordide. Pour bannir ces prêches judéophobes, les autorités marocaines ont décidé de procéder à une réforme de la formation des Imams Marocains et d’orienter celle-ci vers le Soufisme. Le gouvernement marocain a pris des décisions drastiques à ce niveau-là. Malheureusement, en France, beaucoup de Musulmans originaires du Maroc ont glissé vers l’U.O.I.F. et ne veulent plus entendre parler de la Tradition de tolérance et d’ouverture qui a toujours caractérisé le Maroc alaouite. Mais il reste quand même une partie des Musulmans Marocains qui sont proches des Juifs et avec qui nous entretenons d’excellentes relations.

C.J.N.: Cet enseignement de la haine du Juif a-t-il pignon sur rue dans des franges importantes de la Communauté musulmane de France?

Rabbin Michel Serfaty: J’ai fait sept fois le tour de France à la tête du “Bus de l’Amitié judéo-musulmane”. J’ai rencontré près de 12000 Musulmans. Je leur ai demandé: “Que pensez-vous des Juifs ?” J’ai réuni une base de don­nées de leurs nombreux préjugés antisémites. C’est inouï ! Il ne faut pas se voiler la face et tenir un discours politiquement correct et hypocrite. C’est pour cela que j’appelle mes amis Musulmans à s’inspirer du courageux aggiornamento entrepris par l’Église catholique pour mettre un terme à l’enseignement de la haine du Juif.

C.J.N.: Vous semblez croire dur comme fer aux vertus de la Pédagogie pour lutter contre le fondamentalisme religieux qui sévit auprès des jeunes Musulmans de France ?

Rabbin Michel Serfaty: Après sept tours de France au cours desquels j’ai rencontré de très nombreux Musulmans, dont un bon nombre d’enragés antisionistes, j’ai forgé ma propre analyse sur cette question très épineuse. Aujourd’hui, en France, il n’y a qu’une petite minorité de Musulmans qui sont informés sur le Sio­nisme et l’Histoire de l’État d’Israël. La grande majorité des Musulmans habitant dans les Banlieues françaises ne connaissent rien d’Israël ni de l’Histoire de ce pays. Ils sont incapables de formuler une opinion. Ces Musulmans sont manipulés par des fondamentalistes échaudés qui leur bourrent la tête de clichés antisémites et anti-israéliens. Mais dès que nous discutons avec cette majorité silencieuse de Musulmans, ils nous révèlent leur véritable crainte: les menaces dont ils sont quotidiennement l’objet de la part des fondamentalistes islamiques. Pour bon nombre de ces Musulmans cantonnés dans le mutisme, Israël est un pays de Droit et sympathique. Certains Imams originaires d’Algérie m’ont même dit qu’il est écrit dans le Coran que les Juifs ont droit à leur Terre et que les Musulmans doivent respecter le peuple juif. Mais, fonctionnaires de l’Algérie, si ces Imams déclaraient publiquement la même chose qu’ils m’ont dite, ils serait immédiatement réprimandés et évincés de leur fonction.

C.J.N.: Comment envisagez-vous l’avenir des Juifs en France ?

Rabbin Michel Serfaty: Les Juifs de France sont encore sous l’effet de l’émo­tion. La douleur est présente, mais nous devons rebondir. Les Juifs de France ont beaucoup de res­sources, et peuvent compter sur des environnements qui les soutiennent, pour dire clairement: “Nous sommes bien en France et nous sommes déterminés à poursuivre notre com­bat”. C’est mon point de vue. Les Juifs français n’ont pas peur ni des fondamentalistes ni des altermondialistes. Ce qui est pénible pour nous, Juifs, c’est de nous battre quotidiennement contre les images d’Israël que les médias, surtout les médias télévisuels, diffusent à travers des raccourcis. Ce qui nous encourage aussi beaucoup c’est que le lendemain de la tragédie qui a endeuillé les Juifs de Toulouse, nous avons reçu des messages de soli­da­rité et de soutien de plusieurs Associations musulmanes qui nous ont demandé de revenir avec l’Équipe du “Bus de l’Amitié judéo-musulmane” dans les quatre coins de France pour travailler avec elles, bien conscientes qu’il y a encore beaucoup de labeur à faire.

 

In an interview, French Rabbi Michel Serfaty, a leader of Judeo-Muslim dialogue in France, talks about the impact the recent murder by an Islamist of a rabbi and three Jewish children in Toulouse will have on Jewish-Muslim relations threre.

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