Si elle veut relancer les négociations entre Israël et les Palestiniens, l’administration Obama doit éviter les bras de fer avec le nouveau gouvernement de droite, qui sera dirigé par Benyamin Netanyahou, estime le politologue israélien Emmanuel Navon.
Emmanuel Navon
Ce spécialiste reconnu des questions politiques israéliennes et moyen-orientales croit que le scénario d’une nouvelle guerre à Gaza entre Israël est le Hamas est très plausible avec le retour au pouvoir de Netanyahou.
Né en France en 1971, diplômé de Sciences-Po Paris et détenteur d’un Doctorat en Relations internationales de l’Université Hébraïque de Jérusalem, Emmanuel Navon a fait son Aliya en 1993. Professeur de Sciences politiques à l’Université Bar-Ilan de Ramat-Gan de 2001 à 2004, il enseigne actuellement à l’Université Hébraïque de Jérusalem et est chercheur au Centre Shalem de Jérusalem, un Institut de recherche et d’éducation ayant pour vocation de forger et de transmettre des idées dans les domaines de la vie publique et intellectuelle du peuple juif.
Emmanuel Navon est président de Business Network for International Cooperation (B.N.I.C.), une organisation, basée à Jérusalem, dont le principal mandat est de promouvoir l’image de l’État d’Israël dans les milieux d’affaires, financiers et de la haute technologie internationaux.
Canadian Jewish News: Dans le contexte actuel moyen-oriental, morose et très tendu, la coalition gouvernementale, formée de partis de droite et d’extrême droite, mise sur pied par Benyamin Netanyahou pourra-t-elle perdurer?
Emmanuel Navon: À mon avis, ce qui va faire tenir ce gouvernement, c’est la peur de l’alternative. Si Israël Beitenou et le Shass parviennent à un compromis sur la question du mariage civil avant la formation du gouvernement et si le parti Union Nationale modère ses exigences en ce qui a trait aux grandes lignes directrices du gouvernement sur la question palestinienne, cela signifiera qu’ils se sont mis d’accord dès le début et qu’ils ne remettront pas en cause l’avenir, tout du moins à court ou à moyen terme, de cette coalition. Les dirigeants du Shass et d’Israël Beitenou sont bien conscients que la seule alternative sera de nouvelles élections.
Tout dépendra aussi beaucoup de la façon dont évoluera le dossier iranien. En effet, si Israël se dirige vers une confrontation militaire avec l’Iran, il est alors clair que les différents partis de cette coalition ne s’amuseront pas à créer de l’instabilité politique et à provoquer des élections anticipées. L’Économie sera aussi un facteur crucial pour la stabilité de cette coalition gouvernementale. Si le parti Shass modère ses exigences concernant le budget national, je crois que Netanyahou a déjà prouvé sa capacité en tant que gestionnaire économique exceptionnel quand il était ministre des Finances de 2003 à 2005. S’il parvient aussi cette fois-ci à redresser l’économie israélienne dans un contexte de crise mondiale, ça ne fera que renforcer les chances de son gouvernement de se maintenir au pouvoir.
C.J.N.: Entre l’administration Obama et le nouveau gouvernement de Netanyahou les divergences de vue seront importantes?
E. Navon: C’est vrai qu’on voit déjà se dessiner un problème. Lors de son premier voyage officiel en Israël et au Moyen-Orient à titre de Secrétaire d’État, Hillary Clinton a réitéré la position de l’administration Obama sur la question israélo-palestinienne: les États-Unis soutiennent la solution de deux États pour deux nations. Or, le gouvernement qui est en train d’être formé en Israël a un problème avec cette position. Le Premier ministre désigné, Benyamin Netanyahou, ne s’est pas prononcé explicitement en faveur de cette idée. Effectivement, il y a une divergence de vue sur cette question fondamentale entre l’administration Obama et le futur gouvernement Netanyahou.
Mais s’il y a des désaccords profonds entre l’équipe d’Obama et le gouvernement Netanyahou, celui-ci tombera. Il y aura donc de nouvelles élections. Ce qui aura pour effet de repousser encore plus loin la perspective de négociations entre Israël et les Palestiniens. Donc, de façon paradoxale, avec un tel scénario, l’administration Obama ne pourra pas réaliser sa vision de stabilisation du Proche-Orient basée sur la solution de deux États pour deux nations.
C.J.N.: Les Israéliens croient-ils encore en cette solution qu’on continue à leur présenter comme la panacée miracle pour régler définitivement le conflit israélo-palestinien?
E. Navon: L’idée de deux États pour deux nations s’est avérée jusqu’à présent très théorique et peu applicable en pratique. En effet, ça fait quinze ans qu’Israël négocie avec l’O.L.P. et ces pourparlers n’ont mené à rien de tangible. L’administration de Bill Clinton, qui est allée très loin dans son implication pour arriver à une solution du conflit israélo-palestinien, n’a obtenu non plus aucun résultat probant. Donc, cette vision de deux États pour deux nations, c’est très bien en théorie, mais on sait qu’en réalité il y a un problème, qui n’est pas que du côté israélien mais qui est plutôt du côté palestinien. Je crois qu’il est important que l’État d’Israël et la Diaspora juive expliquent bien au monde et aux États-Unis que tant que les Palestiniens continueront à réclamer ce soi-disant droit de retour en Israël, qui signifie l’extinction démographique d’Israël, ça veut dire que ces derniers n’ont toujours pas accepté la solution de deux États pour deux peuples.
C.J.N.: Quelle sera la position du nouveau gouvernement Netanyahou en ce qui a trait à la situation chaotique qui prévaut à Gaza?
E. Navon: Je crois que le gouvernement sortant d’Ehoud Olmert et le nouveau gouvernement que dirigera Netanyahou partagent le même point de vue sur la situation bordélique qui prévaut dans la bande de Gaza: Israël ne peut pas accepter la continuation de tirs de roquettes contre les villes et les villages mitoyens de Gaza. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Olmert avait lancé l’opération militaire “Plomb durci”. Mais cette opération n’a pas complètement atteint son but puisque les tirs de roquettes continuent de pleuvoir sur des villes du Sud d’Israël et aucun accord de cessez-le-feu n’a été encore conclu avec le Hamas.
C’est vrai que Netanyahou s’était engagé pendant la dernière campagne électorale à poursuivre, ou à reprendre, la campagne militaire à Gaza jusqu’au renversement du gouvernement du Hamas et l’arrêt total des tirs de roquettes. Est-ce qu’il mettra à exécution cette menace? Je n’en suis pas sûr parce que si Tsahal renversait le gouvernement du Hamas, ce dont il a la capacité militaire, ça risquerait de créer une sorte de Somalie au Sud d’Israël. Et, rien ne garantit que ce scénario amènera plus de stabilité à Gaza que quand cette enclave était contrôlée par le Hamas.
Aujourd’hui, la majorité des Israéliens -y compris moi-même- sont d’accord sur un point: il faut mener à son terme une opération militaire pour mettre fin complètement aux tirs de roquettes du Hamas. Tsahal ne doit pas s’arrêter au milieu d’une opération militaire, comme ce fut le cas lors de l’opération “Plomb durci”. Il est probable que le nouveau gouvernement Netanyahou lancera une autre opération militaire d’envergure si les tirs de roquettes continuent. Il est possible aussi que le Hamas décide de ne pas continuer à lancer des roquettes s’il estime que Netanyahou est réellement résolu à le renverser à Gaza. Cette menace du chef du Likoud pourrait avoir un effet dissuasif.
C.J.N.: Une réforme en profondeur du système électoral israélien ce n’est pas pour demain?
E. Navon: Malheureusement, en dépit de l’absurdité de notre système électoral, je suis pessimiste pour ce qui est des chances de le réformer. Après chaque élection, vous avez deux candidats qui crient victoire. C’est impossible de former des coalitions gouvernementales stables car l’avenir de celles-ci dépendent du chantage des petits partis. Au lieu d’avoir un vainqueur et un perdant après une élection, on se retrouve à chaque fois avec les mêmes coalitions au pouvoir. Aujourd’hui, Netanyahou est en train de former un gouvernement avec le Shass, dont il a urgemment besoin. Or, on sait que ce parti ultra-orthodoxe s’oppose à toute réforme électorale. Donc, tout projet de réforme électorale sera de nouveau expédié aux calendes grecques. Les Israéliens n’arrivent pas à se dépêtrer de ce cercle pernicieux.
In an interview, Israeli political science professor Emmanuel Navon discusses the possible implications for Israel of Benjamin Netanyahu’s becoming prime minister.