Dans un excellent ouvrage collectif consacré à l’Exode des Juifs sépharades des pays arabes -La fin du Judaïsme en Terres d’islam (Éditions Denoël, 2009), dirigé par l’universitaire français Shmuel Trigano, le sociologue et chercheur israélien Yigal Bin-Nun signe un article académique très troublant intitulé: “La négociation de l’évacuation en masse des Juifs du Maroc” -pp. 303-358-.
Cet universitaire rappelle, moult témoignages et documents historiographiques à l’appui, qu’à la veille et après la création de l’État d’Israël des Communautés juives du Maroc furent victimes de pogroms très violents, notamment à Oujda, à Sidi Qassem… Par ailleurs, Yigal Bin-Nun évoque le marchandage entrepris par le gouvernement israélien avec les autorités marocaines pour que ces dernières autorisent les Juifs à quitter le Maroc.
L’une des figures de proue de la Communauté juive du Maroc, Simon Lévy, ancien militant du Parti Communiste marocain, fondateur du Musée du Judaïsme de Casablanca et actuel président de la Fondation du Patrimoine Juif Marocain, réfute catégoriquement, dans une entrevue qu’il a accordée à l’hebdomadaire casablancais de langue française Maroc-Hebdo, la thèse selon laquelle les Juifs du Maroc auraient été spoliés et forcés à l’exil par les autorités du Royaume chérifien après la création de l’État d’Israël, en 1948.
“Le Maroc n’a pas spolié les Juifs”, lance tout à trac Simon Lévy au cours de cette entrevue
Si les conflits israélo-arabes, depuis 1948, et le coup de force contre la nationalisation du Canal de Suez par l’Égypte, en 1956, ont provoqué des Exodes massifs, précipités, parfois même dans la panique, dans certains pays arabes, il n’y a rien eu de tel au Maroc, insiste ce leader communautaire Juif marocain.
D’après Simon Lévy, le départ des Juifs marocains, qui est une perte pour le Maroc, s’est fait dans des conditions spéciales et chaque vague d’émigration vers la France, Israël et le Canada avait ses motivations particulières.
“L’Agence Juive travaillait au corps les Juifs du monde entier et cherchait à les attirer en Israël. Le départ des Juifs marocains s’est passé dans des conditions qui n’ont rien à voir avec le départ des Juifs d’Irak ou d’Égypte. Les départs du Maroc étaient d’autant plus déchirants que les Juifs marocains étaient conscients de vivre dans un pays qui était le leur au plein sens du terme. Et leurs compatriotes Musulmans, qui, sauf exception, n’ont jamais attribué à leurs amis Juifs les exactions israéliennes, ont perdu tout lien avec eux.”
Simon Lévy, Juif communiste et résistant, a vécu le drame qui s’est enclenché en 1948 aux premières loges. Il a vu “quelques rares coreligionnaires se laisser duper par les appels sionistes”. Mais il a vu aussi, entre 1948 et 1956, l’émigration juive pour des motifs économiques.
Une période troublée de l’Histoire du Maroc a commencé avec le partage de la Palestine par l’ONU en 1947. Le protectorat français avait tout fait pour éloigner les Juifs des Musulmans, raconte-t-il.
D’après Simon Lévy, les Juifs irakiens ont fui l’Irak non seulement en raison des tensions sociales qui prévalaient dans le pays mais surtout à la suite d’attentats perpétrés par l’Agence Juive contre ces derniers pour semer la terreur dans leurs rangs et les faire fuir en Israël.
“Il ne faut pas faire dans l’angélisme, ni passer sous silence les débordements imbéciles. Mais, au Maroc, il n’y a eu ni pogroms, ni chasse aux Juifs, ni expulsions. Les autorités marocaines ont pris le soin de rassurer la population juive et d’interdire formellement tout comportement agressif à l’encontre des Juifs. Le départ des Juifs marocains n’a pas eu lieu dans un climat de terreur. Certains Juifs marocains sont partis de leur plein gré parce qu’ils croyaient en Israël, d’autres y sont allés par nécessité, d’autres encore ont choisi un autre pays, le Canada, la France ou les États-Unis.”
Pourquoi les Juifs sont-ils partis du Maroc?
D’après Simon Lévy, leur départ fut essentiellement motivé par des raisons d’ordre économique.
“La raison politique concerne peu de Juifs. Si environ 90000 Juifs marocains sont partis entre 1948 et 1956, ils l’ont fait pour des raisons économiques”.
Les matelassiers, les cordonniers, les colporteurs (essouwaqa), les ferblantiers et certains artisans étaient plus souvent Juifs que Musulmans. L’introduction du machinisme et du travail industriel a progressivement tué ces métiers. La paupérisation des Juifs et leur marginalisation pendant le protectorat français ont fait que la majeure partie des 90000 Juifs ayant émigré étaient, selon Simon Lévy, des “déclassés”. Ils venaient de toutes les régions du Maroc.
La ville de Casablanca seule comptait alors 80000 Juifs, dont une majorité de gens modestes, rappelle-t-il. Les routes et les transports publics ont tué le colportage. Les machines ont ruiné les petits métiers. Avec les jeunes Juifs qui partaient étudier à l’étranger, il était devenu quasi impossible pour certaines familles Israélites de rester au Maroc.
“Mais, jamais les Juifs n’ont abandonné leurs biens, ni leurs terres, ni leurs maisons, ni leurs manufactures, ni leurs ateliers… Ils ont vendu leurs biens à temps ou ils ont confié à un membre de leur famille ou de la Communauté juive le soin de les vendre. L’émigration des Juifs du Maroc s’est faite dans des conditions spécifiques: personne ne les a dépouillés de leurs biens, leur sécurité était assurée. Cette émigration est un chapitre sombre de l’Histoire du Maroc. Mais, on ne peut pas rendre les Marocains responsables de ces départs.”
En Égypte par contre, pays sur le front du guerre avec Israël, comme en Irak, il y a eu un départ précipité des Juifs. Les “faux attentats” antijuifs et les très fortes tensions qui existaient entre Juifs et Musulmans ont poussé des Juifs à partir de ces contrées en abandonnant leurs biens.
“Ce n’est pas arrivé dans mon pays, affirme Simon Lévy. Le Maroc n’a pas exilé une partie de ses enfants. Tout n’était pas rose, bien évidemment, mais lorsqu’on invente un conflit qui n’a pas eu lieu, on fait le jeu des extrémistes. Au Maroc, durant toutes les guerres israélo-arabes, jamais une mesure restrictive ou vexatoire n’a été prise à l’encontre des Juifs. Voilà ce qu’il faut dire au monde: le Maroc est un pays tolérant. C’est ce que nous devons mettre en avant lorsque nous défendons notre pays, particulièrement au moment où Juifs et Musulmans du Maroc sont engagés dans la défense de leur pays.”
Le regard que Simon Lévy porte sur le départ des Juifs du Maroc est aux antipodes de l’analyse étayée par Yigal Bin-Nun dans le long article qu’il a consacré à cette épineuse question.
In an interview with Maroc-Hebdo, Moroccan Jewish community leader Simon Lévy refutes the idea that the Jews of Morocco were forced into exile before and after Israel became a state in 1948.