La passion de la scène d’Ariel Ifergan

C’est un comédien Juif sépharade de 33 ans, Ariel Ifergan, qui interprète le rôle d’un Arabe palestinien, Mohamed Al Bribas, dans Virginie, la télésérie la plus populaire du petit écran québécois.

C’est un comédien Juif sépharade de 33 ans, Ariel Ifergan, qui interprète le rôle d’un Arabe palestinien, Mohamed Al Bribas, dans Virginie, la télésérie la plus populaire du petit écran québécois.

Depuis trois ans, Ariel campe avec brio ce sympathique concierge d’un cégep, qui parle comme le célèbre slammer français Grand corps malade, c’est-à-dire en décrivant des réalités sociales âpres avec une poésie de la rue, déclinée sur un rythme envoûtant.

“À la télévision, j’ai toujours joué des rôles de Français ou d’Arabes. J’ai interprété le rôle d’un Arabe, Ahmad, dans la télésérie Watatatow… Et d’un Rabbin aussi… dans la télésérie Tout sur moi, lance Ariel en entrevue en s’esclaffant.  La diversité culturelle est désormais une réalité incontournable dans le paysage télévisuel québécois. Dans ma carrière artistique, il y a eu des moment où je voulais absolument être perçu comme un “vrai” Québécois. Je me disais: “Il y a des Québécois pure laine qui sont aussi des bruns basanés comme moi”. Cette diversité culturelle me pénalise parfois parce qu’on ne va pas penser à moi pour jouer le rôle d’un médecin, mais pour jouer des rôles ethniques.”

Des Juifs et des Musulmans lui ont-ils fait grief d’interpréter le rôle d’un Arabe palestinien dans Virginie?

“Au début, quand on m’a proposé le rôle de Mohamed, j’ai fait part de mes réserves  à Fabienne Larouche, créatrice de la télésérie Virginie. Je craignais alors qu’il y ait des susceptibilités dans la Communauté juive et que du côté des Musulmans on reproche au Juif que je suis d’interpréter un Arabe issu de la tradition islamique. Fabienne Larouche m’a vite rassuré. Elle m’a dit: “Mohamed est un personnage très affable qui essaye de rapprocher les êtres en jouant le médiateur pour régler des conflits dans le cégep où il travaille”. C’est vrai que Mohamed est un esprit sage et tolérant qui prône le dialogue et l’ouverture interculturelle. Ce Palestinien perspicace est aux antipodes du Musulman fondamentaliste. Chose certaine, Mohamed ne risque pas de se transformer en un intégriste belliqueux. Depuis trois ans que j’interprète ce personnage, je n’ai reçu aucune plainte de la part de membres de la Communauté juive ou musulmane.”

Les comédiens issus des Communautés ethniques commencent-ils à se frayer une place dans le monde télévisuel et artistique québécois, où les Québécois “non-pure laine” n’ont jamais été légion?

“Je pense que cette situation est en train d’évoluer tranquillement, avec un léger décalage sur la réalité qui prévaut dans la rue montréalaise, qui est en avance sur le restant de la réalité québécoise. Pas en avance au niveau des valeurs, mais au niveau de la diversité culturelle, qui fait désormais partie de la vie sociale montréalaise. Ça prend un peu de temps pour que cette réalité interculturelle fasse son chemin jusqu’aux producteurs et décideurs établis de télévision et de films québécois. Les jeunes créateurs et producteurs artistiques québécois, surtout Montréalais, sont plus au fait de cette réalité sociale de plus en plus ostensible.”

Après avoir obtenu son Baccalauréat français -l’équivalent du Diplôme d’Études Collégiales québécois- au Collège Marie de France, Ariel décide de s’inscrire au Programme de Baccalauréat en Art dramatique de l’Université du Québec à Montréal (U.Q.A.M.).

“Le théâtre et la scène artistique m’ont toujours passionné. Mais faire un jour professionnellement de la scène, ce n’était pas un rêve d’enfance ni d’adolescence. Je voulais être vétérinaire. Mais, après avoir décroché mon Baccalauréat français, j’étais un peu essoufflé. Je voulais prendre un petit “break” et me faire plaisir. Je me suis donc inscrit pour une session au Programme d’Art dramatique de l’U.Q.A.M. J’ai adoré ça. J’ai vite réalisé que la scène pouvait devenir mon temps plein. Mes parents m’ont beaucoup soutenu quand j’ai pris cette décision capitale, qui ne serait sûrement pas passée comme une lettre à la poste dans une autre famille juive”, raconte-t-il.

Ariel déplore que des préjugés tenaces sur le travail d’artiste ou de comédien subsistent toujours dans notre société.

“Être comédien=sérieux problèmes économiques=un quotidien regorgeant de misère sociale et de soucis financiers permanents. Le milieu artistique est toujours perçu à travers la lorgnette financière. Or, en ce qui a trait à leurs conditions de travail, force est de rappeler que les artistes sont des travailleurs autonomes comme les autres travailleurs autonomes oeuvrant dans d’autres créneaux professionnels. Dans les Communautés traditionnelles, on valorise les gens qui sont en affaire et on perçoit toujours négativement les artistes. Pourtant, un propriétaire d’un restaurant, d’un dépanneur ou d’une boutique de vêtements… est aussi un travailleur autonome qui peut se planter royalement!”

Mais le métier de comédien n’est-il pas exigeant et souvent aléatoire?

“Oui, c’est un métier très exigeant, reconnaît Ariel. Il faut s’accrocher et persévérer avec beaucoup d’opiniâtreté. Le plus important, c’est de préserver l’estime de soi. Ce n’est pas facile tous les jours, surtout durant les périodes ardues où on chôme. Quand on a moins de travail, quand il y a des rôles qu’on ne décroche pas… ce sont des moments très frustrants. On peut alors se morfondre et se décourager. Pour moi, “percer” professionnellement, c’est quelque chose de très abstrait. On peut travailler sans cesse plusieurs années et du jour au lendemain ne plus avoir de boulot. Exercer sa passion à temps plein, travailler dans un domaine qu’on aime, moi je trouve que c’est plutôt quelque chose de facile. C’est un cadeau qu’on se fait. Pour cela, il faut accepter l’idée de faire plusieurs petits boulots, souvent peu gratifiants. L’objectif, c’est de travailler dans son domaine pour ne pas être obligé de retourner bosser au restaurant!”

Quand il a démarré dans le métier, il y a dix ans, Ariel a cumulé différents boulots: des petits rôles au théâtre, animateur culturel, enseignant de théâtre dans des écoles élémentaires et secondaires, doublage de voix dans des films…

En 2007, il a créé, avec la metteure en scène Anne Millaire, Z comme Zadig, une adaptation théâtrale du célèbre conte de Voltaire. Au beau milieu d’un décor d’inspiration orientale, Ariel interprète avec vigueur tous les rôles dans ce spectacle relatant les aventures insolites d’un jeune Babylonien qui vit une traversée initiatique qui l’amène à croiser de multiples personnages.

“Z comme Zadig a été pour moi une expérience théâtrale très enrichissante qui m’a permis de rénover un peu Voltaire, qui parfois peut être aride, et de souligner à quel point ce que dit Zadig est toujours d’actualité. Les personnages de ce conte égrènent des réflexions sur la tolérance, le sens de la justice, le bien, le mal, la quête du bonheur et de l’absolu amoureux… Des thèmes sempiternels, toujours très significatifs en ce début du XXIe siècle.”

Encensée par les critiques et très bien accueillie par le public, la pièce Z comme Zadig a été présentée une cinquantaine de fois au Théâtre Denise Pelletier. Les élèves d’un bon nombre d’écoles secondaires de Montréal ont vu cette adaptation libre et bigarrée du conte oriental de Voltaire.

Parallèlement à ses activités artistiques, Ariel arbore un autre chapeau: celui de producteur.

En 2003, il a cofondé avec Alexandre Frenette une boîte de production artistique: Les Productions Pas de Panique (www.pasdepanique.ca), qui a remporté plusieurs Prix en 2006 et 2007: le 1er Prix au Concours québécois en entrepreneuriat -Région de Montréal; le Prix pour la Jeunesse décerné par l’Agence Québec Wallonie Bruxelles; la Bourse du Maire de Montréal dans le volet “Entrepreneurial”…

Les Productions Pas de Panique créent, produisent et diffusent des fictions éducatives. Cette Compagnie concocte des oeuvres artistiques ayant pour but d’informer, éduquer et sensibiliser un public cible. Selon le projet, le médium choisi sera un texte, une représentation théâtrale ou une production multimédia.

Depuis sa fondation, la Compagnie Pas de Panique a produit de nombreuses pièces de théâtre pour les adolescents, qui ont été présentées dans des écoles secondaires de Montréal. Son dernier projet: la conception d’une trousse d’éducation à la sexualité: “SEXcursion”.

““SEXcursion” est un guide pédagogique sur la sexualité, accompagné d’un DVD, qu’on a produit avec l’aide d’une sexologue pour pallier à l’absence de cours d’éducation sexuelle dans les écoles secondaires du Québec, précise Ariel. On a produit un film d’une trentaine de minutes avec une fiction représentant des adolescents. On ne fait pas la morale aux jeunes, on leur présente simplement des faits. On aborde plusieurs sujets reliés à la question de la sexualité: l’hypersexualisation; les MTS -maladies transmises sexuellement-; l’orientation sexuelle; les relations entre les adolescents et leurs parents; la pédophilie… Nous sommes partis de la réflexion suivante: s’il n’y a pas d’éducation sexuelle dans les écoles secondaires et si les parents ne parlent pas  de cette épineuse question avec leurs rejetons à la maison, ces derniers feront alors leur propre éducation sexuelle à travers le fracas des vidéoclips et de l’Internet. Ce type de “pédagogie virtuelle” est à éviter.”

Ariel rêve de fonder et diriger à Montréal un Théâtre sépharade francophone. Il espère avoir bientôt du temps libre pour s’atteler à mettre en branle ce projet qui lui tient beaucoup à coeur.

“Les Juifs anglophones sont très impliqués dans le milieu théâtral montréalais. Par contre, les Sépharades, qui vont rarement au théâtre, ont très peu de contacts avec le milieu théâtral québécois francophone. Et, s’ils ne s’intéressent pas au théâtre québécois, il y a peu de chances que des jeunes Sépharades évoluent ou fassent carrière un jour dans ce cénacle artistique. Par ailleurs, les écoles sépharades n’encouragent pas la création théâtrale ou artistique. C’est une grande lacune culturelle que la Communauté sépharade devrait corriger.”

Les Sépharades oeuvrant dans le milieu théâtral québécois, “on peut les compter sur le bout des doigts”, constate-t-il. Il y a cependant une “exception très prometteuse”: une comédienne d’origine juive marocaine, Sharon Ibgui, diplômée de l’École nationale de Théâtre du Canada, qui joue régulièrement dans d’importantes productions théâtrales québécoises.

A-t-il de nouveaux projets artistiques en cours?

“Jouer dans une pièce de Corneille en 2011, au Théâtre Denise Pelletier; présenter Z comme Zadig aux Îles de la Madeleine et sur la Côte Est; faire la promotion de la trousse éducative “SEXcursion” en France et en Belgique…”

Né à Montréal dans une famille sépharade mixte -son père, Meir Ifergan, décédé cet automne, était un Juif originaire du Maroc très traditionaliste et sa mère, Jacqueline, est une Française convertie au Judaïsme-, l’identité juive occupe-t-elle une place importante dans la vie et la carrière professionnelle d’Ariel?

“La question identitaire est impossible à éluder, mais elle ne m’a jamais empêché de dormir.  Mon père était un Sépharade très ouvert d’esprit. La religion juive a toujours été pour moi une expérience de vie très positive et un outil merveilleux pour me réaliser aux niveaux personnel, spirituel et identitaire. La récente disparition de mon père, qui m’a profondément bouleversé, et la naissance de ma fille m’ont davantage fait prendre conscience de l’importance et de l’omniprésence de mon identité juive dans ma vie.”

Ariel s’implique communautairement quand il a le temps. Il est membre du Conseil d’administration du Congrès Juif Québécois.

Le voyage estival en Israël, organisé par le Centre Hillel, auquel il a participé en 2000 a été “un moment existentiel fabuleux”, dont il garde des souvenirs indélébiles.

“Visiter Israël, c’est une expérience inoubiable et extraordinaire qui marque profondément un jeune pour le restant de sa vie”, conclut-t-il avec un sourire radieux.

In an interview, actor Ariel Ifergan, who plays the role of Mohamed Al Bribas in the TV series Virginie, talks about his work as a Quebecer and a Sephardi Jew .

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