Moïse Amselem, président de la Fédération Sépharade Canadienne et de la Campagne sépharade de l’Appel Juif Unifié 2009 de la FÉDÉRATION CJA et ancien président de la Communauté Sépharade du Québec, a livré ses réflexions sur l’état du Séphardisme en Israël lors du discours inaugural qu’il a prononcé à l’occasion du Colloque consacré à la contribution des Sépharades à l’État d’Israël, qui a eu lieu dans le cadre du Festival Sépharade de Montréal 2009.
De gauche à droite: Judah Castiel, président de l’Institut de la Culture sépharade et ancien président de la Fédération Sépharade du Canada, l’Ambassadeur Yehuda Lancry, Mokhtar Lamani et Moïse Amselem, président de la Fédération Sépharade Canadienne.
Voici ses réflexions sur cette question:
“La Fédération Sépharade Canadienne est fière de participer en tant que commanditaire à ce Colloque dont le thème nous interpelle en tant que Juifs Sépharades, qui physiquement sommes loin de Sion, mais dont le coeur vibre à chaque instant pour Israël et sa capitale éternelle, Jérusalem. Il ne faut jamais oublier que le rêve messianique du retour à Sion a habité les Juifs Marocains pendant deux millénaires. Bien nombreux furent ceux qui, au péril et souvent au prix de leur vie, voulurent maintenir intact le cordon ombilical les reliant à la Terre sainte, leur mère patrie. Qui ne connaît pas le récit de ces Rabbins qui par monts et par vaux entreprirent ce long voyage parsemé de dangers qui devait les mener vers Eretz Israël, où ils désiraient retrouver la sainteté d’une Terre dont l’Histoire les avait privés? Nombreux furent également ceux qui quittèrent honneurs et richesses acquis dans la Galout avec le seul souhait d’avoir pour dernière demeure la Terre de Jérusalem.
L’histoire du Judaïsme marocain nous apprend, à titre d’exemple, qu’après la conquête musulmane de l’ancienne Afrique romaine, les relations ne cessèrent jamais entre les Communautés juives du Maghreb et leurs frères de Terre Sainte. Au 16ème siècle, le grand Kabbaliste et commentateur, Rabbi Abraham Azoulay, s’installa à Hébron. Son exemple fut suivi au 18ème siècle par l’un des plus grands érudits qu’ait produit le Judaïsme marocain, Rabbi Haïm Benattar. Cet illustre Maître écrivit avant son départ: “Dieu a illuminé mes yeux et ma raison pour me lever et monter vers la Terre sainte”. Pour ce Saint homme, l’installation dans Eretz Hakédoucha avait valeur de commandement religieux et s’inscrivait dans la rédemption de l’humanité.
Plus tard, au 19ème siècle, d’autres Juifs nord-africains tentèrent l’aventure en s’installant dans quelques villes de Palestine, notamment à Jaffa. Ils étaient 500 en 1858, sous la conduite d’un Rabbin oranais d’origine marocaine, Abraham Shlush. Ce dernier bénéficia de l’appui d’un autre immigrant originaire de Tanger, Rabbi Yaacov Benchimol, dont le fils participa à améliorer les conditions ardues et périlleuses dans lesquelles débarquaient à cette époque les voyageurs juifs à Jaffa.
D’autres Juifs Marocains suivirent leur exemple, notamment un groupe de 300 Meknassis partis du Maroc en 1860 pour s’établir à Tibériade, qui fut surnommée la petite Meknès. Des Tétouanais s’établirent quant à eux à Haïfa, tandis que Jérusalem s’enrichissait de quelques dizaines de familles juives marocaines encouragées par l’arrivée de Rabbi David Bemsimon, mieux connu sous le pseudonyme de Tsouf Dvash, issu d’une riche famille de commerçants de Rabat. Cette figure rabbinique obtint grâce à son influence la reconnaissance par les autorités de l’époque d’une Communauté marocaine distincte de la Communauté sépharade, qui créa son propre organisme communautaire dirigeant, le Vaad Hamaarabim, qui existe encore de nos jours.
À l’aube du 20ème siècle, le rêve de Theodor Herzl de créer un État juif se réalisa. L’espoir tant caressé par l’ensemble des Juifs à travers le monde se concrétisait. Et les Juifs Marocains ne manquèrent pas le rendez-vous avec l’Histoire de cette renaissance tant attendue.
Il faut noter que bien avant la création de l’État d’Israël en 1948, des jeunes Juifs Marocains firent leur Aliya. Robert Assaraf raconte dans son livre, Juifs du Maroc à travers le monde, que les dix premiers certificats délivrés à l’époque par l’Agence Juive furent attribués entre autres à Élie Moyal de Salé, futur vice-ministre des Télécommunications dans le gouvernement d’Israël, au peintre paysagiste Shaul Zvi Zini de Sefrou et au peintre Moché Gabay, originaire de Casablanca. D’autres immigrants Juifs Marocains arrivés ultérieurement fondèrent le Kibboutz Yotvata sous la direction d’Éliezer Avitan.
Je voudrais rappeler également pour la petite histoire qu’un bateau d’immigrants clandestins, le Yehoud Halévy, affrété par la Hagannah, quitta le port de Tenés en Algérie dans la nuit du 10 mai 1947 à destination de la Palestine. Repéré au large d’Alexandrie par la Royal Navy, il fut dirigé sur Chypre après son entrée dans les eaux territoriales de la Palestine mandataire et escorté vers le port de Haïfa. C’était la première fois qu’une immigration juive clandestine non européenne mais nord-africaine essayait de débarquer dans les rivages du futur État juif. Ce qui fit écrire à un des organisateurs de cette opération, Ephraim Ben Haim Friedman: “Sion ne demandes-tu pas des nouvelles de tes prisonniers? Il n’y a pas des prisonniers de Sion uniquement en Europe”.
La suite de cette histoire faite d’amour inconditionnel pour cette Terre bénie d’Israël, émaillée aussi de déceptions, de promesses non tenues, d’indifférence, de rancoeurs, mais aussi de retrouvailles, d’espoirs et de succès, les Sépharades d’Israël l’ont écrite avec de la sueur, des larmes et du sang, comme l’aurait dit Winston Churchill. Aujourd’hui, ces Sépharades ultra-Sionistes sont la majorité dans ce pays d’Israël qui est devenu, ou plutôt qui a toujours été, le leur. Il est derrière nous le qualificatif infâme de Marocco Sakin, qui circula longtemps en Israël et qui témoigna de l’existence d’un virulent racisme anti-marocain nourri par l’establishment sioniste ashkénaze envers les Juifs originaires du Maghreb.
Nul homme politique israélien ne se hasarderait de nos jours à reprendre les idées rétrogrades d’un David Ben Gourion, qui les exposa sans pudeur dans les annales du Gouvernement d’Israël en ces termes: “Au cours des siècles derniers, les Juifs natifs des pays musulmans ont joué un rôle passif dans l’histoire de la nation”. Pour le père fondateur de l’État juif, Israël n’avait pas trouvé à sa naissance la nation qu’il espérait et avait dû se contenter d’une immigration qu’il ne souhaitait pas, celle des Juifs venus des pays arabes, et en particulier du Maroc.
Mais l’Histoire sait parfois faire des pieds de nez à certains de ses acteurs en leur apportant des cinglants démentis. Il faut certes se souvenir de ces déclarations aujourd’hui pudiquement passées sous silence pour comprendre que l’intégration des Juifs Sépharades, et particulièrement des immigrants originaires du Maroc, ne fut pas un processus naturel, mais un combat pour faire reconnaître leurs droits tout d’abord, leur spécificité ensuite.
La société israélienne tarda à reconnaître cette réalité irrécusable. Il fallut attendre les élections législatives israéliennes de 1999 -avant celles-ci des épisodes sanglants se sont produits, notamment la révolte à Wadi Salib et l’émergence des Panthères noires, pour ne citer que ceux-là- pour que le Parti Travailliste, perçu comme l’incarnation de l’establishment ashkénaze, accepte de se confronter à son passé et demande par la voix de son chef, Ehud Barak, pardon aux centaines de milliers de ces Israéliens d’origine sépharade qui avaient été discriminés: “Je porte ces souvenirs en moi, avec douleur, je sens que je ne pourrais remplir au mieux ma fonction à la tête du Parti Travailliste sans au préalable demander pardon aux Sépharades en son nom. J’ai le sentiment que nous n’avons pas toujours su apprécier à sa juste mesure le rôle pionnier de la génération des villes de développement dans la construction de l’État d’Israël. Il faut le dire clairement et directement: c’est seulement en acceptant cette vérité que nous pourrons regarder l’avenir en face. C’est pourquoi au nom de toutes les générations du Parti Travailliste, je demande pardon aux originaires d’Orient”, déclara alors Ehud Barak.
Afin d’inaugurer ce Colloque, qui s’ouvre sur une note positive: l’apport des Sépharades à l’État d’Israël, j’emprunte ces mots d’un éminent connaisseur du Judaïsme sépharade dans sa dimension marocaine, Robert Assaraf: “le pardon est inséparable de l’exercice du droit de Mémoire. L’intégration souvent douloureuse et conflictuelle des Juifs originaires du Maroc en Israël, dont ils constituent aujourd’hui l’un des groupes humains le plus importants du point de vue numérique, a abouti à en faire d’eux des éléments actifs dans les domaines politique, culturel, économique et social””.
Moïse Amselem, president of the Fédération Sépharade Canadienne, spoke during Festival Sépharade 2009 about the Sephardi contribution to Israel.