Israël-Palestine, l’espoir dans le désespoir?

Pour le grand écrivain et journaliste libanais Amin Maalouf, récipiendaire du prestigieux Prix littéraire Goncourt en 1993 pour son magnifique roman Le Rocher de Tanios, auteur du best-seller international Les identités meurtrières -traduit en 40 langues- et ancien rédacteur en chef du magazine Jeune Afrique, les Diasporas juive et arabe se doivent de jouer un rôle de premier plan pour trancher une fois pour toutes le noeud gordien de l’interminable conflit israélo-arabe.

Amin Maalouf

Pour le grand écrivain et journaliste libanais Amin Maalouf, récipiendaire du prestigieux Prix littéraire Goncourt en 1993 pour son magnifique roman Le Rocher de Tanios, auteur du best-seller international Les identités meurtrières -traduit en 40 langues- et ancien rédacteur en chef du magazine Jeune Afrique, les Diasporas juive et arabe se doivent de jouer un rôle de premier plan pour trancher une fois pour toutes le noeud gordien de l’interminable conflit israélo-arabe.

Amin Maalouf

Dans son dernier livre, un essai brillant et interpellateur intitulé Le dérèglement du monde (Éditions Grasset), Amin Maalouf consacre de longues pages au conflit israélo-arabe et à ses répercussions sur la géopolitique mondiale.

Rencontre avec un Sage d’Orient.

Canadian Jewish News: Le processus de paix israélo-palestinien stagne depuis plusieurs années. Les perspectives futures des relations entre Israéliens et Palestiniens s’annoncent plutôt sombres?

Amin Maalouf: Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis optimiste, mais je ne pense pas que les voies de solutions soient complètement bouchées. Il est possible de trouver un règlement juste pour dénouer ce vieux conflit. Mais, il n’y aura pas de règlement tant qu’il n’y aura pas dans les deux camps une réelle volonté politique pour mettre un terme à ce contentieux centenaire. Si le conflit du Proche-Orient focalise aujourd’hui toutes les haines entre l’Occident et l’islam, une solution équitable de ce conflit deviendrait le point de départ d’une réconciliation historique entre ces deux mondes. Le destin d’Israël ne dépendrait plus de la poursuite et de l’exacerbation de l’“affrontement des civilisations”, bien au contraire, sa seconde naissance serait ancrée dans le socle de la réconciliation historique entre ces deux vastes ensembles.

C.J.N.: D’après vous, les Diasporas juive et arabe pourraient jouer un rôle majeur et déterminant dans la quête d’une paix fonctionnelle entre Israël et la Palestine.

Amin Maalouf: Absolument. Une des pistes de solutions qui pourraient se révéler prometteuses, ce serait que les Diasporas arabe et juive, au lieu de prolonger, sous tous les cieux, l’affrontement épuisant et stérile qui débilite le Proche-Orient, prennent elles-mêmes l’initiative d’un rapprochement salutaire. Il y a une attitude condescendante chez les Israéliens et chez les Arabes qui consiste à marginaliser leurs Diasporas respectives en leur disant: “C’est nous qui sommes sur le terrain, qui sommes menacés, qui souffrons. Donc, ne vous occupez pas trop de nos affaires!” Je pense, qu’au contraire, c’est au niveau des Diasporas que les choses peuvent changer et qu’on peut réfléchir plus sereinement aux conséquences délétères que ce conflit dévastateur a sur les deux peuples.

C’est aussi au niveau des Diasporas que Juifs et Arabes peuvent se rencontrer et dialoguer avec moins d’animosité. Au Proche-Orient, les rencontres entre les deux parties sont infimes. Il y a une ou deux rencontres par an à caractère diplomatique, mais il n’y a aucune rencontre entre les populations juive et arabe. Il n’y a aucune capacité à discuter harmonieusement les uns avec les autres alors que les Diasporas ouvrent cette possibilité. Juifs et Arabes peuvent véritablement, et devraient, se réunir régulièrement partout dans le monde, à Paris, à Montréal, à New York, à Sao Paulo, à Sydney… sans se donner des agendas politiques mais en se posant simplement quelques questions cardinales: Comment dépasser ce conflit? Comment trouver une solution qui permette à tout le monde de vivre dans la dignité et la paix? Comment en finir une fois pour toutes avec ce conflit qui est en train d’épuiser tout le monde et qui ne mène qu’à l’impasse?

C.J.N.: Selon vous, aujourd’hui, les dirigeants arabes sont confrontés à un problème de taille: la légitimité de leurs régimes politiques.

Amin Maalouf: Le problème de la légitimité politique se pose aujourd’hui avec acuité dans tout le monde arabe. L’une des conséquences majeures des débâcles successives de Nasser, de Saddam Hussein, et de quelques autres, c’est que l’idée même qu’un chef d’État arabe puisse tenir tête à l’Occident, comme ce fut le cas dans les années 50 et 60, a cessé d’être crédible. Désormais, dans le monde arabe, quiconque veut garder le pouvoir doit se rendre acceptable à la superpuissance dominante, en l’occurrence les États-Unis, même si, pour y parvenir, il doit aller à l’encontre de son peuple. Ceux qui veulent s’opposer radicalement à l’Amérique, que ce soit par les armes ou seulement par la violence rhétorique, ont généralement intérêt à rester dans l’ombre.

C.J.N.: Quelle forme prend concrètement cette “délégitimité politique” dans le monde arabe?

Amin Maalouf: Deux univers politiques parallèles se sont développés: l’un apparent mais sans adhésion populaire, l’autre souterrain et disposant d’une popularité certaine, mais incapable d’assumer durablement la responsabilité du pouvoir. Les représentants du premier univers politique sont perçus comme des contremaîtres indigènes à la solde de l’ennemi. Les représentants du second univers politique sont considérés comme des hors-la-loi. Aucun des deux ne dispose d’une véritable légitimité politique. Les uns parce qu’ils gouvernent sans le peuple et souvent contre sa volonté, les autres parce qu’ils sont manifestement incapables de gouverner, tant en raison du contexte global, qui leur est hostile, qu’en raison de leur propre culture politique, qui les prédispose à l’opposition radicale, à l’intransigeance doctrinale et au lancement d’anathèmes plutôt qu’aux inévitables compromis qu’exige une navigation gouvernementale.

C’est une impasse dont ont pris conscience les islamistes égyptiens, soudanais, algériens, marocains et jordaniens, et qui s’est révélée au grand jour lorsque le Hamas a remporté les dernières élections palestiniennes.

C.J.N.: C’est donc ce qui explique que le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, est aujourd’hui sérieusement confronté au problème de la “légitimité politique” de son leadership, remise en question par une partie du peuple palestinien?

Amin Maalouf: Oui. Il y a aujourd’hui en Palestine deux mouvements politiques. Un mouvement, le Fatah, qui est reconnu internationalement, et un autre mouvement, le Hamas, qui a gagné démocratiquement les dernières élections. Si le Fatah avait gagné les élections, la question ne se poserait pas de la même manière et le Hamas serait resté dans l’Opposition. Mais, le fait que le Hamas a remporté les élections, ça a créé une situation difficile à gérer.

Si cette organisation islamiste gagne de nouveau les prochaines élection et prend en main l’ensemble des Territoires palestiniens, ce sera très difficile pour elle de naviguer sur la scène internationale puisqu’elle est boycottée par l’Occident. Par ailleurs, le discours radical martelé par le Hamas limite sa capacité de manoeuvre. Mais, en même temps, le fait que cette organisation politique islamiste soit tellement influente et qu’elle contrôle totalement Gaza, ça limite la capacité de Mahmoud Abbas à gouverner. Le cas de figure palestinien est un raccourci du problème de la légitimité politique qui se pose aujourd’hui dans l’ensemble du monde arabe.

C.J.N.: Selon vous, le Liban a commis une grande bourde en refusant de conclure un accord de paix définitif en bonne et due forme avec l’État d’Israël.

Amin Maalouf: Dans les années qui ont suivi la guerre israélo-arabe de 1967, les trois voisins arabes d’Israël qui avaient participé aux combats sont parvenus à des arrangements -pour l’Égypte et la Jordanie, des traités de paix, pour la Syrie, un modus vivendi- qui ont rendu parfaitement paisibles leurs frontières avec l’État hébreu. Seul le quatrième voisin d’Israël, le Liban, celui qui n’avait pas voulu entrer en guerre en 1967, a été incapable de conclure une paix. Depuis, le Liban vit dans la tourmente. En théorie, les dirigeants libanais d’alors s’étaient montrés raisonnables en demeurant à l’écart du conflit israélo-arabe. En pratique, toutefois, le prix payé par le Liban pour sa non-participation à la guerre israélo-arabe de 1967 a été mille fois plus lourd que s’il y avait pris part.

C.J.N.: Depuis, les gouvernements libanais successifs ont connu de sérieux déboires politiques.

Amin Maalouf: Ce fut le début de la perte de légitimité politique de l’État libanais. Après la guerre de 1967, des mouvements palestiniens se sont établis au Liban et en Jordanie. Dans le royaume hachémite, le roi Hussein, dont l’armée a combattu Israël lors du conflit de 1967, avait suffisamment de légitimité pour empêcher les forces militaires palestiniennes de poursuivre leur combat contre Israël à partir du territoire jordanien. Le gouvernement libanais ne pouvait pas invoquer le même exutoire. Les mouvements palestiniens ont commencé à établir au Liban leurs infrastructures politiques et militaires. Je me souviens très bien de cette époque. L’armée libanaise était très embarrassée quand les Libanais, les Palestiniens, les médias et les partis politiques libanais lui disaient sans ambages: “les soldats libanais n’ont rien fait pendant la guerre de 1967, alors ne vous acharnez pas sur ceux qui essayent de se battre et de résister contre Israël”. Cette perte de légitimité a été un des facteurs essentiels de la crise dans laquelle le Liban est entré en 1975 et dont il n’est jamais vraiment sorti.

C.J.N.: L’émergence du Hezbollah n’a-t-elle pas accentué la “délégitimité politique” de l’État libanais?

Amin Maalouf: Sans aucun doute. L’épisode Hezbollah s’est produit au début des années 80 avec un élément supplémentaire: la révolution iranienne, qui a été un facteur capital dans le processus de création de cette milice chiite islamiste. Mais, en même temps, il y avait aussi dans la population du Sud-Liban un mouvement de ras-le-bol. Les gens en avaient marre des feddayin palestiniens qui lançaient leurs katiouchas contre les villes israéliennes du Nord et des Israéliens qui ripostaient contre les villages du Sud-Liban.

Les habitants du Sud-Liban n’avaient pas confiance dans le gouvernement central libanais, qui manifestement était paralysé. C’est à ce moment-là que le Hezbollah est arrivé, a commencé à se battre contre l’armée d’occupation israélienne et à reprendre en main la population aux abois du Sud-Liban tout en claironnant: “Ici, c’est nous qui allons décider et non les mouvements palestiniens ou le gouvernement libanais”. Donc, le Hezbollah a rempli, mais assez tardivement, quinze ans après la guerre de 1967, le vide de légitimité que les mouvements palestiniens avaient partiellement voulu remplir mais qu’ils ne pouvaient pas remplir puisqu’une partie de la population libanaise les considérait comme des organisations parias attisant un climat déjà très belliqueux.

  C.J.N.: Aujourd’hui, au Moyen-Orient, les conflits ne sont-ils pas plus à caractère religieux qu’à caractère nationaliste?

  Amin Maalouf: Je pense que le conflit israélo-arabe ne fait qu’exacerber cette tendance. N’oublions pas qu’il s’agit d’un contentieux qui oppose des Juifs et des Musulmans. On ne peut plus “déreligiosiser” ce conflit car celui-ci est nourri par la religion. C’est évident qu’aujourd’hui, beaucoup de peuples ne s’expriment qu’en termes religieux. Dans le monde arabe, il est clair que le nationalisme a complètement disparu, ou en tout cas s’est laissé complètement phagocyter par des idéologies à caractère religieux. Au Moyen-Orient, les idéologies religieuses ont déjà hérité du discours nationaliste, qu’elles ont pris à leur compte. Aujourd’hui, dans cette région enfiévrée du monde, on peut difficilement dissocier le discours nationaliste du discours religieux. En Israël aussi, les mouvements qui traditionnellement portaient une idéologie laïque n’ont jamais été aussi marginalisés. Le score désastreux des Travaillistes aux dernières élections israéliennes illustre éloquemment ce phénomène inéluctable.

C.J.N.: Barack Obama parviendra-t-il à convaincre les Israéliens et les Palestiniens à renouer le dialogue?

Amin Maalouf: La logique de l’initiative de Barack Obama dans l’arène du conflit israélo-arabe n’est pas celle d’un long processus de négociations. Le nouveau locataire de la Maison-Blanche ne prononce jamais le mot “négociations”. Bien entendu, on se parlera, on se réunira, mais Barack Obama ne peut forcer les deux parties à signer des accords dont elles ne veulent pas. Il n’ignore pas qu’au Proche-Orient les négociations sont un marécage, et que les “petits pas” mènent à l’impasse. Une vérité paradoxale qui s’explique par la nature du conflit et par l’histoire tragique des peuples qui s’affrontent.

C.J.N.: Donc, le scénario d’une paix imposée par Washington aux Israéliens et aux Palestiniens est à exclure?

Amin Maalouf: Comment, en effet, persuader les Israéliens de faire des concessions territoriales si l’on ne garantit pas la pérennité de leur État? Et comment persuader les Palestiniens de reconnaître Israël alors que celui-ci refuse de fixer ses frontières, se ménageant la possibilité de les pousser toujours plus loin aux dépens d’un hypothétique État palestinien? Tant que les uns et les autres ne sauront pas de quoi l’avenir sera fait, les adversaires du compromis s’escrimeront à expliquer à leurs peuples que les concessions qu’on leur demande ne feraient que les affaiblir. Il n’est pas surprenant, dès lors, que les intransigeants aient régulièrement progressé à la Knesseth comme au Parlement palestinien.

C.J.N.: Neutraliser les radicaux dans les deux camps, n’est-ce pas une grande gageure?

Amin Maalouf: Barack Obama ne critique pas les faucons israéliens, et il parle modérément du Hamas. Il demande seulement à Israël l’arrêt de toute colonisation. Et il exige du Hamas la cessation de toute action violente. Pas d’autre préalable. C’est quand le projet d’accord définitif sera entre leurs mains que les Israéliens et les Palestiniens seront jugés. Ceux qui l’accepteront se retrouveront dans le camp de la paix, ceux qui le rejetteront seront les fauteurs de guerre. Ce que les Israéliens et les Palestiniens qui conclueront la paix auront dit ou fait au cours des décennies de conflit sera passé par pertes et profits, comme cela s’est pratiqué à l’issue de tant d’autres conflits.


In an interview, Lebanese journalist Amin Maalouf talks about the political situation in the Middle East.

Author

Support Our Mission: Make a Difference!

The Canadian Jewish News is now a Registered Journalism Organization (RJO) as defined by the Canada Revenue Agency. To keep our newsletter and quarterly magazine free of charge, we’re asking for individual monthly donations of $10 or more. As our thanks, you’ll receive tax receipts and our gratitude for helping continue our mission. If you have any questions about the donation process, please write to [email protected].

Support the Media that Speaks to You

Jewish Canadians deserve more than social media rumours, adversarial action alerts, and reporting with biases that are often undisclosed. The Canadian Jewish News proudly offers independent national coverage on issues that matter, sparking conversations that bridge generations. 

It’s an outlet you can count on—but we’re also counting on you.

Please support Jewish journalism that’s creative, innovative, and dedicated to breaking new ground to serve your community, while building on media traditions of the past 65 years. As a Registered Journalism Organization, contributions of any size are eligible for a charitable tax receipt.