Né en 1936 à Jérusalem dans une famille sépharade, Avraham B. Yehoshua est l’une des grandes voix de la littérature israélienne contemporaine.
A.B. Yehoshua
Récipiendaire d’une dizaine de Prix internationaux prestigieux et lauréat du Prix de Littérature d’Israël pour l’ensemble de son oeuvre, ce brillant romancier et essayiste, qui maîtrise fort bien la langue française, est l’auteur d’une quinzaine de livres traduits en trente langues. Son dernier livre: Un feu amical (Éditions Calmann-Lévy, 2008).
Avraham B. Yehoshua sera l’un des invités de marque du Festival littéraire international de Montréal Métropolis Bleu. Il participera à plusieurs rencontres littéraires, organisées en collaboration avec le Consulat général d’Israël à Montréal, Radio-Canada, CBC, le Comité Québec-Israël et la Fondation Stephen R. Bronfman (cf. le programme de l’édition 2009 du Festival littéraire Métropolis Bleu: www.metropolisbleu.org).
Avraham B. Yehoshua nous a accordé une entrevue avant sa venue à Montréal. Nous l’avons joint à son domicile à Haïfa.
Canadian Jewish News: Les mots ont-ils une force influente dans la société israélienne?
Avraham B. Yehoshua: La tradition juive a toujours conféré une grande importance aux mots. Dans l’Histoire juive, les textes bibliques anciens ont toujours été au cœur de l’identité juive. Dans l’État d’Israël moderne, les mots continuent à avoir une grande influence. On a perpétué en Israël la tradition juive, plusieurs fois millénaire, d’écouter les “Prophètes”. J’insiste sur les “guillemets” car, sincèrement, je ne crois pas que les écrivains et les intellectuels contemporains d’Israël, même les plus influents, soient des Prophètes. Mais, il y a toujours cette vieille tradition d’écouter ces hommes de plume et de parole car ils parlent d’une façon nette et claire dénuée de tout intérêt politique ou économique. On leur demande toujours leur avis. Je ne dis pas que ce qu’ils disent ou prônent est suivi à la lettre par le peuple et le gouvernement d’Israël. Mais ils ont encore leur mot à dire dans les grands débats politiques et de société nationaux.
C.J.N.: Les idées politiques que vous défendez depuis plus de quatre décades avec une conviction inébranlable ont-elles fait leur chemin dans la société israélienne?
A.B. Yehoshua: Après la guerre des Six Jours de 1967, les écrivains et les intellectuels de gauche, comme moi et Amos Oz, étions très marginalisés. Presque personne ne voulait nous écouter quand nous clamions qu’il fallait reconnaître le peuple palestinien et évacuer au plus vite les Territoires occupés. L’Histoire et le temps ont fini par nous donner raison. Nos idées se sont répandues lentement dans la société israélienne, y compris dans des milieux très conservateurs de droite. Aujourd’hui, nos opinions sur le conflit israélo-palestinien sont partagées par une majorité d’Israéliens.
Les intellectuels de gauche et sionistes, comme moi, sont attaqués fougueusement par l’extrême gauche, qui nous reproche d’être trop libéraux et de ne pas condamner fermement l’État d’Israël et le Sionisme. Nous menons aujourd’hui une bataille contre cette extrême gauche très antisioniste qui, heureusement, est assez marginale en Israël.
C.J.N.: Avez-vous été surpris par la décision du chef du Parti Travailliste, Ehoud Barak, de se joindre à la coalition gouvernementale de droite que dirigera Benyamin Netanyahou?
A.B. Yehoshua: J’ai été très surpris. La décision d’Ehoud Barak de se joindre à la coalition formée par Netanyahou est dégueulasse! Si Barak était resté dans les bancs de l’Opposition avec Tzipi Livni, il y aurait eu une réelle occasion pour mettre le nouveau gouvernement Netanyahou face à un mur et briser une fois pour toutes l’idéologie du Grand Israël, dont continuent à se réclamer la majorité des membres de cette nouvelle coalition gouvernementale.
Chose certaine, ce gouvernement d’extrême droite n’aurait pas fait long feu si Barak avait refusé d’y adhérer. Netanyahou aurait alors affronté une opinion publique mondiale qui rejette vigoureusement sa politique de droite radicale, aux antipodes d’une politique réaliste pouvant mener à une vraie paix avec les Palestiniens. Netanyahou aurait été alors contraint de former un vrai gouvernement d’union nationale avec le parti de centre Kadima et le Parti Travailliste.
C.J.N.: Mais Netanyahou a fait tout ce qu’il a pu pour convaincre Tzipi Livni et son parti, Kadima, de rentrer dans son gouvernement.
A. B. Yehoshua: Ne nous leurrons pas! Benyamin Netanyahou, qui est un politicien très rusé, n’a jamais été un faiseur de paix. Tzipi Livni, qui est une politicienne très honnête, est familière des ruses et des stratagèmes employés par Netanyahou pour arriver à ses fins politiques. C’est pourquoi elle a refusé de se joindre au gouvernement formé par le chef du Likoud. Tzipi Livni a très clairement notifié à Netanyahou qu’elle ne voulait ni un portefeuille ministériel prestigieux ni des prérogatives politiques. Elle lui a demandé seulement qu’il déclare explicitement qu’il est en faveur de la solution de deux États, reconnue par le gouvernement sortant d’Ehoud Olmert et même par Ariel Sharon. Netanyahou a refusé d’acquiescer à cette demande formulée avec insistance par Tzipi Livni. Cette dernière refuse de servir de “couverture” à un gouvernement obtus dont la politique ne nous mènera sûrement pas vers le chemin de la paix. Seul un vrai gouvernement d’unité nationale pourra orienter Israël vers la paix.
C.J.N.: Que pensez-vous du nouveau chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman?
A.B. Yehoshua: Avigdor Lieberman m’inquiétera beaucoup plus quand il sera ministre de l’Intérieur ou ministre chargé des Territoires occupés. Comme ministre des Affaires étrangères, Lieberman sera plutôt un mouton doux. Il tiendra des propos modérés et rassurants devant ses interlocuteurs occidentaux, notamment européens. Liberman, c’est un phénomène très complexe. Ce politicien très astucieux ne représente pas la droite idéologique israélienne dogmatique, comme l’incarnent avec force les partis religieux et le parti des colons. Lieberman est un homme pragmatique. Il est d’accord avec la solution de deux États pour deux peuples. Le chef du parti russophone Israël Beitenou est une sorte de Le Pen israélien, c’est-à-dire un semi-fasciste, comme ceux qui militent dans la droite européenne, qui sait réajuster son idéologie en fonction de la conjoncture politique du moment.
C.J.N.: Aujourd’hui, force est de constater que les Israéliens n’ont pas un interlocuteur palestinien crédible avec qui négocier.
A.B. Yehoshua: C’est vrai qu’aujourd’hui les perspectives de dialogue avec les Palestiniens sont inexistantes. Mais ce n’est pas une raison pour continuer à coloniser la Cisjordanie et à agrandir les colonies existantes. Le Sionisme a été trahi après la guerre israélo-arabe de 1967 avec la création de colonies juives dans les Territoires palestiniens qu’Israël a occupés. Le Sionisme de Theodor Herzl préconisait: “Les Juifs sionistes vivront dans des frontières et auront une responsabilité totale sur le Territoire où sera créé le futur État juif”. Les colonies, qui sont contraires à ce principe édicté par Herzl, sont une gangrène pour la société israélienne. Nous devons nous en débarrasser au plus vite. Tous les gouvernements israéliens qui se sont succédé au pouvoir depuis 1967 ont eu peur de démanteler ces colonies.
C.J.N.: C’est un problème qui paraît insoluble?
A. B. Yehoshua: Selon moi, il n’y a qu’une seule solution pour régler ce grave problème qui, c’est vrai, au premier abord semble insoluble: conserver ces colonies sous la forme de Communautés juives dans le futur État palestinien. Les colons qui ne voudront pas quitter ces implantations auront la double nationalité, palestinienne et israélienne, comme l’auront aussi les habitants des villages arabes en Israël. Soyons réalistes! Jamais un gouvernement israélien, même de gauche, ne parviendra à évacuer 100000 colons. Quand Sharon a évacué par la force 8000 colons de Gaza, il a quasiment provoqué une guerre civile en Israël. On ne pourra jamais démanteler les quelque cent colonies juives implantées en Cisjordanie.
C.J.N.: Donc, selon vous, dans un tel scénario, la restitution de la Cisjordanie aux Palestiniens dans le cadre d’un accord de paix sera beaucoup plus facile.
A.B. Yehoshua: Absolument. Ainsi, on pourra restituer aux Palestiniens le maximum de Territoires, revenir plus ou moins aux frontières de 1967. C’est ce que demande aujourd’hui le leadership de l’Autorité Palestinienne. Les Palestiniens pourront alors récupérer à peu près un quart de la Grande Palestine.
C.J.N.: Mais la majorité des Palestiniens ne veulent pas renoncer au “droit de retour” en Israël.
A.B. Yehoshua: L’option du “droit de retour” en Israël revendiquée par les Palestiniens est suicidaire pour l’État d’Israël. 100% des Israéliens rejettent cette revendication insensée. Les Palestiniens devront renoncer définitivement à cette demande en échange de la restitution de la quasi-totalité du territoire de la Cisjordanie et d’une présence politique à Jérusalem. On doit, et on peut, négocier avec les Palestiniens ce “droit de retour” en Israël qu’ils réclament.
C.J.N.: Diviser Jérusalem, est-ce une option plausible et réaliste?
A.B. Yehoshua: Oui, c’est une option très réaliste. Il faut diviser Jérusalem en trois entités: la Jérusalem juive, la Jérusalem arabe et la vieille ville, qui abrite les lieux saints des trois grandes religions, le Judaïsme, l’Islam et le Christianisme. La vieille ville, qui sera hors de toute souveraineté nationale, devra avoir un statut d’extraterritorialité, comme celui du Vatican. C’est la seule solution réaliste et réalisable. Il faut d’urgence conférer un statut spécial à ce territoire étriqué de 1.2 kilomètres carrés qu’est la vieille ville de Jérusalem. On extirpera ainsi la mine la plus explosive du conflit israélo-arabe.
C.J.N.: Le Hamas n’a-t-il pas changé sensiblement les donnes et les enjeux du conflit israélo-palestinien?
A. B. Yehoshua: Oui. Je ne cesse de dire aux Palestiniens que s’ils veulent bâtir un jour un État indépendant, ils doivent absolument évincer le Hamas du pouvoir. Cette organisation islamiste radicale est le principal fossoyeur du rêve palestinien de créer un État indépendant. Seul le peuple palestinien est en mesure de remplacer le gouvernement suicidaire du Hamas. Israël ne pourra qu’aider les Palestiniens à dessiller leurs yeux pour regarder la réalité en face, abandonner la voie de la violence et privilégier celle de la construction et du mieux-vivre. Les Israéliens sont aujourd’hui pessimistes parce que même après le retrait de Gaza et l’évacuation des colons juifs qui vivaient dans cette enclave, le Hamas continue à les attaquer avec des roquettes. S’il est vrai que ces roquettes artisanales n’ont pas tué et blessé beaucoup de civils israéliens, ces armes se sont avérées très redoutables: elles ont paralysé une région entière d’Israël et causé de grands dégâts matériels.
C.J.N.: Le soldat Gilad Shalit n’a pas été encore libéré par le Hamas. Nombreux sont les Israéliens qui estiment aujourd’hui que la dernière guerre à Gaza n’a finalement servi à rien. Partagez-vous ce point de vue défaitiste?
A.B. Yehoshua: Je pense que la dernière guerre à Gaza aura servi à quelque chose. Israël a démontré aux terroristes du Hamas jusqu’où il était prêt à aller pour mettre fin une fois pour toutes à leurs tirs de roquettes. Le Hezbollah a aussi appris la même leçon après la guerre du Liban de 2006. Pour le moment, Israël n’a toujours pas conclu un cessez-le-feu avec le Hamas. Il n’y aura pas d’accord tant que Gilad Shalit ne sera pas libéré. Mais, si une fois qu’un cessez-le feu sera signé, le Hamas continue à nous envoyer des roquettes, il faudra alors qu’Israël riposte immédiatement en déclenchant une autre opération militaire d’envergure. Espérons que l’aide financière que la communauté internationale a promise aux Palestiniens sera utilisée efficacement pour reconstruire Gaza et non pour fomenter de nouvelles attaques contre les villes du Sud d’Israël.
C.J.N.: Les relations entre l’administration Obama et le nouveau gouvernement Netanyahou s’annoncent plutôt difficiles?
A.B. Yehoshua: J’espère que les relations entre l’administration Obama et le gouvernement Netanyahou seront difficiles. Si Barack Obama veut tabler sur une ouverture envers l’Iran et la Syrie, il va devoir s’attaquer frontalement à la très épineuse question des colonies juives sises en Cisjordanie. Cette question capitale a toujours été considérée comme un grand obstacle à la paix par tous les présidents américains élus depuis 1967. Il est temps de cesser de tergiverser et de prendre ce “taureau” impitoyable par les cornes! Ça ne veut pas dire que l’administration Obama doit mettre Israël à genoux. Les relations stratégiques et politiques entre l’État d’Israël et les États-Unis sont trop importantes pour être remises en question. La promesse américaine de la sécurité d’Israël n’est pas un épiphénomène passager, c’est une alliance stratégique coriace et durable. Par contre, il faut qu’Obama hausse le ton pour rappeler à Netanyahou que les colonies sont très nuisibles à la recherche d’une paix équitable entre Israël et les Palestiniens.
C.J.N.: Pourquoi êtes-vous favorable à ce qu’Israël entame incessamment des négociations de paix avec la Syrie?
A.B. Yehoshua: Il y a une solution que les Israéliens n’ont pas encore envisagée sérieusement: signer un traité de paix avec la Syrie. Netanyahou peut faire la paix avec la Syrie. C’est possible et faisable. À Damas, les Israéliens se trouveront face à un interlocuteur valable et ferme ayant une autorité politique que l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas n’a plus.
Si Israël conclut une paix avec les Syriens, l’influence exercée par l’Iran dans la région diminuera considérablement. On pourra ainsi neutraliser le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Sud-Liban. Si Netanyahou est intelligent, il devrait amorcer tout de suite des négociations avec les Syriens.
Une telle initiative rehaussera indéniablement sa crédibilité auprès de l’opinion publique internationale, comme Menahem Begin quand il signa en 1978 un accord de paix avec l’Égypte. Par ailleurs, le plateau du Golan n’est pas considéré comme un terroir sacré d’Eretz Israël. En scellant un accord de paix avec la Syrie, le prix qu’Israël devra payer pour faire la paix avec les Palestiniens sera moindre. Netanyahou pourra ainsi marquer des points dans un domaine où jusqu’ici il n’a jamais excellé, celui de la paix, sans renoncer pour autant à son idéologie de base: refuser de diviser la Terre d’Israël en deux États.
In an interview from his home in Haifa, Israeli author A.B. Yehoshua, who a guest of honour at the Blue Metropolis Montreal International Literary Festival, talks about the possibilities for peace in Israel.