Les passions littéraires d’Alain Finkielkraut

“Alain Finkielkraut est l’homme qui ne sait pas ne pas réagir. Quand il rencontre quelque chose qui lui paraît stupide, ou injuste, il ressent tout de suite un besoin indomptable d’élever la voix. Il est d’une sincérité redoutable.

Alain Finkielkraut 

“Alain Finkielkraut est l’homme qui ne sait pas ne pas réagir. Quand il rencontre quelque chose qui lui paraît stupide, ou injuste, il ressent tout de suite un besoin indomptable d’élever la voix. Il est d’une sincérité redoutable.

Alain Finkielkraut 

Il n’a aucun sens tactique ou stratégique, autrement dit, il a un grand talent de se faire des ennemis. Est-il si fort, si invulnérable? Hélas, il est très vulnérable. Mais ses blessures excitent encore plus sa sincérité. Y a-t-il un dénominateur commun derrière tous ces conflits et polémiques? Est-ce un homme de gauche qui se révolte contre un homme de droite ou un homme de droite contre un gauchiste, un Juif contre un antisémite? Pourtant, il a défendu obstinément l’écrivain Renaud Camus quand on l’a accusé d’antisémitisme…”

Le célèbre écrivain tchèque Milan Kundera est peu loquace. Il s’exprime rarement publiquement. Il y a quelques mois, l’auteur de L’insoutenable légèreté de l’être est sorti soudainement de son mutisme pour rendre un vibrant hom­mage au philosophe et écrivain  Alain Finkielkraut, l’un des plus importants intellectuels français contemporains, à l’occasion d’une soirée que la Radio Communautaire Juive de Paris (R.C.J.) a organisée en l’honneur de ce dernier pour souligner la parution de son nouveau livre, Un Coeur intelligent (Éditions Stock/Flammarion).

Milan Kundera n’était pas présent à cette soirée, mais ceux qui y étaient ont pu entendre son témoignage via un enregistrement audio.

Dans Un Coeur intelligent -une expression biblique du roi Salomon qu’Alain Finkielkraut a découverte en lisant l’oeuvre de la philosophe Juive allemande Hannah Arendt-, un livre magistral où l’auteur a rassemblé neuf essais, qu’il appelle “études”, sur neuf lectures d’oeuvres littéraires qui l’ont profondément marqué, le roman de Milan Kundera, La Plaisanterie -l’une des neuf oeuvres littéraires choisies-, est minutieusement et subtilement analysé.

Dans ce brillant exercice d’analyse litté­raire, qui est un magnifique hymne à la lecture, Alain Finkielkraut décrypte avec finesse des oeuvres cardinales de la litté­ra­ture contemporaine: La Plaisanterie de Milan Kundera, Tout passe de Vassili Grossman, Histoire d’un Allemand de Sebastian Haffner, Le Premier Homme d’Albert Camus, La Tache de Philip Roth, Lord Jim de Joseph Conrad, Les carnets du sous-sol de Fedor Dostoïevski, Washington Square d’Henry James et Le Festin de Babette de Karen Blixen.

Ce livre atypique, très élogieusement accueilli par la critique, a connu un grand succès auprès du public, tous âges confondus.

Alain Finkielkraut a écrit ce livre très personnel après une longue maladie, un lymphome, aujourd’hui vaincu, qui l’a laissé exsangue durant plusieurs mois.

Il est ravi de l’accueil enthousiaste que la critique littéraire et le public ont réservé à ce livre. Bien qu’il traite uniquement de littérature, cet essai lui a permis de poursuivre la réflexion qu’il consacre depuis plusieurs années à des thèmes politiques et sociaux d’une brûlante actualité, notamment à la question du racisme et de l’antiracisme, thèmes épineux qui sont  au coeur du roman La Tache de Philip Roth et du livre autobiographique, Histoire d’un Allemand, de Sebastian Haffner, un farouche opposant allemand au nazisme, précise Alain Finkielkraut au cours d’une entrevue depuis Paris.

“L’antiracisme idéologique qui sévit aujourd’hui illustre ce qu’on pourrait appeler les méfaits du “Coeur inintelligent”. Ça c’est absolument clair. En 2005, après la polémique qu’a suscitée l’entretien que j’ai donné au journal israélien Haaretz -un montage de citations sorties de leur contexte qui a fait de lui un odieux personnage raciste-, j’ai moi-même subi toute la violence de l’antiracisme idéologique. J’ai été mis sur liste noire, raconte-t-il. Avec la publication d’Un Coeur intelligent, je constate que les parenthèses se ferment et que provisoirement peut-être je sors de la liste noire. Il n’empêche que cette mésaventure m’a beaucoup perturbé, elle m’a rendu très malheureux, peut-être est-elle à l’origine de la maladie dont j’ai été affecté l’année dernière? En tout cas, cette sinistre mésaventure a nourri ma ré­flexion. J’ai choisi aussi le détour de la littérature parce que je ne voulais pas répondre du tac au tac. Je voulais sortir du champ de la polémique tout en continuant à réfléchir à ce qui m’était arrivé. L’éclairage de la littérature a été pour moi très important.”

Alain Finkielkraut aurait sans doute choisi un autre roman de Philip Roth, probablement Pastorale américaine, s’il n’avait pas subi “une mésaventure” qui le rapproche du personnage principal du roman La Tache, Coleman Silk, qui est accusé d’avoir tenu des propos racistes envers ses étudiants.

“Coleman Silk est aussi traité de raciste. Le racisme lui est accolé comme une sorte de tare éternelle. On essentialise le racisme comme autrefois les racistes essentialisaient l’objet de leur mépris. Il y a là une sorte de symétrie qui est tout à fait révélatrice et inquiétante”, constate-t-il.

Le choix du livre autobiographique du résistant allemand antinazi Sebastian Haffner, qui fut un témoin oculaire de ce qu’était la vie des Allemands pendant l’instauration du nazisme au début des années 30, a été aussi motivé par “la teneur très actuelle” de ce récit poignant, notamment en ce qui a trait à la problématique du racisme dans un cadre sociétal, explique-t-il.

“Histoire d’un Allemand est le seul non roman que j’ai choisi parce que c’est un témoignage d’une force exceptionnelle. Il y a une puissance d’investigation et d’élucidation qui fait de ce livre une grande oeuvre littéraire. On assiste aussi dans ce récit à une incroyable réhabilitation face au racisme du mot “Race”. À un moment donné, Sebastian Haffner s’interroge sur l’absence de résistance des Allemands à Hitler. Pourquoi ont-ils cédé si vite, pourquoi ont-ils basculé alors même qu’en 1933-1934 Hitler n’était pas majoritaire? Que s’est-il passé? Il imputel’effondrement de l’Allemagne à ce qu’il appelle “le manque de Race” des Allemands face au déferlement du racisme nazi. J’ai sursauté à la lecture de ce texte. Je me suis dit : “Qu’est-ce que ça signifie?””

Sebastian Haffner rappelle simplement qu’en 1933 le racisme ne s’est pas encore complètement emparé du mot “Race”, celui-ci avait alors d’autres harmoniques, note Alain Finkielkraut.

““Race”, c’est aussi le terme qu’uti­lise M. Germain, l’instituteur d’Albert Camus, quand il  retrouve ce dernier après la guerre. Il dit alors à Camus: “Tu t’es battu. Je savais que tu étais de la bonne Race”. “Race”, c’est une sorte de filiation, c’est le fait pour les hommes d’être obligés en quelque sorte par leur origine. Citant Corneille, Charles Péguy disait à propos de l’Affaire Dreyfus: “Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu. Je serai à la hauteur du passé de la France, je ne laisserai pas commettre cette vilenie, cette infamie”. La “Race”, disait-il, c’est “une réserve de fierté, une ressource, une force d’âme qu’on peut mobiliser au moment de l’épreuve”.”

Pour Sebastian Haffner, les Allemands n’avaient pas de “Race” car ils étaient “un peuple beaucoup trop malléable”.

“Je ne sais pas si l’analyse de Sebastian Haffner est juste, mais j’ai trouvé sa définition très intéressante. Je l’ai citée aussi pour essayer de mettre en garde contre les certitudes trop faciles de l’individualisme démocratique. Nous avons besoin de passé, nous avons besoin d’un passé dont nous répondons et qui nous regarde pour être à la hauteur de ce qui nous arrive. Voilà ce que disait autrefois le mot “Race”. Je ne plaide pas pour sa réhabilitation bien sûr, ce mot a été définitivement discrédité par l’usage que le racisme en a fait, mais je m’élève contre les simplismes de l’antiracisme d’aujourd’hui.”

Alain Finkielkraut a toujours été un ardent défenseur de l’État d’Israël. Chaque fois que l’État hébreu est fustigé par la gauche propalestinienne, cet intellectuel prosioniste n’a jamais hésité à monter au créneau pour défendre avec talent, perspicacité et fougue le droit légitime d’Israël. Ce printemps, il a été un des signataires de “J Call”, un Appel lancé par des intellectuels Juifs européens pour que le gouvernement de Barack Obama et l’Union Européenne exercent des “pressions” sur le gouvernement de Benyamin Netanyahou pour qu’il mette fin à sa politique de colonisation. Cette signature lui a valu l’opprobre des hérauts de l’ultradroite nationaliste israélienne. Pourtant, il est difficile de suspecter ce défenseur lucide d’Israël d’être “anti-israélien”. Pour s’en convaincre, il faut lire le passionnant livre La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs et la France. Conversations avec Élisabeth Lévy (Éditions Mille et Une Nuits), où il croise le fer avec passion avec un intellectuel français antisioniste, Rony Brauman.

Qu’est-ce qui a incité Alain Finkielkraut à apposer sa signature au texte de l’Appel “J Call”?   

“Ce n’est pas la première fois que je prends des positions critiques vis-à-vis de la politique d’Israël. D’autre part, je crois que l’engagement politique, cette “décision pour une cause imparfaite”, selon la magnifique définition donnée en 1937 par le philosophe Juif allemand Paul-Louis Landsberg, ne peut se faire que les yeux ouverts. C’est la grande leçon du XXe siècle. J’aime Israël, mais je n’aime l’amour que s’il n’est pas aveugle. J’ai signé l’Appel “J Call” en tremblant et le coeur lourd car, comme beaucoup d’autres, je sais qu’Israël est plus que jamais en danger. Ce pays vit sous la menace de l’Iran et de ses alliés, la Syrie, le Hezbollah surarmé, le Hamas échaudé… En même temps, Israël est l’objet d’une campagne de haine planétaire. La légitimité d’Israël est en cause, sa sécurité est menacée. Cette convergence nous fait obligation d’une solidarité accrue avec l’État hébreu,” a-t-il expliqué sur les ondes de R.C.J.

Cela étant dit, et bien que ça a été pour lui “une décision hésitante car douloureuse”, Alain Finkielkraut ne regrette pas d’avoir signé le texte de “J Call” car “l’attitude des Palestiniens ne justifie pas pour autant la politique continue d’implantations pratiquée par Israël”.

“Cette politique est dangereuse et, faut-il aussi le rappeler, injuste pour ceux qui la subissent. Pour certains, les menaces qui pèsent sur Israël sont un malheur, pour d’autres elles sont une aubaine ou une excuse. En effet, les Israéliens qui veulent garder les implantations de Cisjordanie ou qui ont peur de la confrontation avec les colons juifs disent: “On ne peut rien faire, c’est mieux comme ça”. Mais, comme le disait souvent Ariel Sharon, force est de rappeler que les Israéliens doivent se préparer à des concessions douloureuses. D’autant plus qu’il y a des points sur lesquels ils doivent rester intransigeants, notamment sur les questions de Jéru­sa­lem et des réfugiés Palestiniens. Ils doivent alors faire des ouvertures cou­ra­geuses et claires sur la question des implantations juives…”

In an interview from Paris, French philosopher and writer Alain Finkielkraut talks about his latest book, which analyses nine literary works.

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