Quand Andy Warhol croquait des génies Juifs

PARIS — La magistrale et éblouissante exposition Le Grand monde d’Andy Warhol, présentée jusqu’au 13 juillet dernier au majestueux Grand Palais de Paris, a été l’un des événements culturels parisiens les plus marquants du premier semestre de 2009.

Pour la première fois, une sélection considérable de tableaux -143 portraits de célébrités ou d’inconnus réalisés par le grand maître du Pop Art-, qui constitue une archive sans précédent dans l’histoire de la peinture et de la photographie, a été offerte au public.

À partir de 1967 et jusqu’à sa mort en 1987, Andy Warhol a réalisé (sur commande) une multitude de portraits de personnalités diverses. Cette exposition fascinante retrace la pratique du portrait dans l’oeuvre très atypique de Warhol avec un parcours thématique et chronologique: icônes modernes (la Princesse Diana, la Princesse Caroline de Monaco…), panthéon des stars (Marilyn Monroe, Liz Taylor, Jane Fonda, Brigitte Bardot…), d’artistes (Man Ray, David Hockney…), d’hommes politiques (le Shah d’Iran, Mao, Jimmy Carter, Willy Brandt…), d’industriels renommés…

Andy Warhol était fasciné par les portraits.

“Chaque fois que je fais quelque chose, le résultat est un portrait”, aimait-il à dire.

Publicitaire avant d’être un artiste reconnu et adulé mondialement, grandement influencé par les icônes en papier glacé de sa jeunesse, Andy Warhol a réinventé le genre, avec la technologie et les valeurs de son époque.

Marilyn Monroe, Mao aux lèvres maquillées ou encore Jackie Kennedy sur fond rouge, ses portraits flamboyants ont fait le tour du monde.

Sa technique? Un mélange de photographie et de peinture, appelée sérigraphie. À la base, un petit appareil Polaroïd avec lequel il prend son modèle en photo. Parfois un photomaton fait très bien l’affaire, comme le prouve la fameuse série de portraits de la femme du célèbre collectionneur Robert Scull, Ethel Scull, 36 Times. Puis la photo est reproduite sur une toile, autant de fois que souhaité, tout en appliquant des traitements de couleurs, de texture (la poussière de diamant par exemple) ou de crayonnage, rendant ainsi chaque oeuvre unique. Tenant mordicus au principe de répétition -car la société de consommation dans laquelle Andy Warhol a vécu était comme ça, sérielle, industrielle- le maître du Pop Art va même jusqu’à baptiser son atelier artistique Factory.

“Il offre ainsi à un monde fasciné par les apparences un miroir flatteur et vertigineux”, explique Alain Cueff, Commissaire de l’exposition présentée au Grand Palais de Paris.

L’un des volets les plus originaux et captivants de cette exposition est certes celui intitulé “Génies”, dédié à dix figures marquantes du Judaïsme contemporain: l’ancien Juge de la Cour suprême des États-Unis, Louis Brandeis, l’ancienne Première ministre de l’État d’Israël, Golda Meir, le philosophe et grand penseur du Judaïsme, Martin Buber, l’écrivain pragois Franz Kafka, l’écrivaine et poétesse américaine Gertrude Stein, le physicien Albert Einstein, le médecin et père de la psychanalyse Sigmund Freud, l’actrice française Sarah Bernhardt, le compositeur américain George Gershwin et les inégalables humoristes américains, les Marx Brothers.

Avec ces Dix portraits de Juifs du XXème siècle, Andy Warhol a réalisé une série picturale tout à fait unique. Bien qu’il s’agisse d’une commande, passée par un galeriste juif new-yorkais en 1979, tous les modèles qui la constituent sont déjà morts et, d’une façon ou d’une autre, entrés dans l’Histoire contemporaine.

L’indifférence qu’affiche l’artiste quant au choix des sujets (par exemple, il aurait retenu Gertrude Stein pour la seule et unique raison qu’elle était aussi, comme lui, native de Pittsburgh), plus calculé qu’il n’y paraît (quatre des sept personnalités hommes choisis sont, comme lui, originaires de Tchécoslovaquie ou y ont vécu -Louis Brandeis est originaire de Bohême, Sigmund Freud de Moravie, Albert Einstein a vécu à Prague et Franz Kafka y est né-), trahit une pudeur manifeste à l’égard des destinées parallèles de ces dix “génies” du XXème siècle. Cette célébration des grandes figures juives, énigmatique à plus d’un égard, réactualise la fonction mémorielle propre au genre du portrait.

L’exposition Dix portraits de Juifs du XXème siècle fut présentée pour la première fois en 1980 au Andy Warhol Museum de Pittsburgh. Depuis, elle a été présentée dans des prestigieux Musées d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie.

Cette exposition fut présentée en 1998 au Musée d’Israël à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de la fondation de l’État hébreu.

Andy Warhol a réalisé ces oeuvres en utilisant comme matériel de base des archives photographiques de ces célébrités juives sur lesquelles il a badigeonné de textures de toiles colorées fortement contrastées, reformatées ensuite par le truchement d’une technique de crayonnage très avant-gardiste.

Tel un chirurgien, l’artiste traque et corrige les moindres défauts et applique à la lettre sa philosophie de la retouche.

Qu’est-ce qui a réellement motivé cet ingénieux maître du Pop Art, né dans une famille catholique tchécoslovaque émigrée aux États-Unis en 1913, à repeindre des figures de proue du Judaïsme?

“Ces dix grands génies Juifs du XXème siècle symbolisent avec force la quintessence d’un peuple qui a tant apporté et donné à toute l’humanité. Les regards de ces dix grands Juifs et humanistes reflètent les effrois, les épreuves effroyables indicibles et les attentes éternelles d’un peuple qui a toujours envisagé et affronté l’avenir, qui a très souvent été sombre, avec abnégation et un espoir sans bornes”, explique Andy Warhol dans le livre consacré à l’exposition présentée au Grand Palais de Paris.

L’artiste relate la genèse de son oeuvre dédiée à dix Juifs remarquables qui ont profondément marqué le XXème siècle dans un très bel album magnifiquement illustré: Warhol’s Jews. Ten Portraits reconsidered (The Jewish Museum, New York, Contemporary Jewish Museum, San Francisco et Yale University Press, 2008).

 

Le Grand monde d’Andy Warhol, an exhibition of Warhol’s works seen earlier this year at the Grand Palais de Paris, included his collection of 10 portraits of Jews of the 20th century.