Le cancer le grand fléau du XXIe siècle

Médecin et psychiatre formé au Canada et aux États-Unis, David Servan-Schreiber -fils du célèbre patron de presse et politicien juif français feu Jean-Jacques Servan-Schreiber- a d’abord mené une carrière de chercheur en neurosciences -il a soutenu sa thèse de Doctorat sous la direction du Prix Nobel Herbert Simon.

 Il s’est ensuite tourné vers la pratique clinique tout en poursuivant des recherches dans le domaine de la neurobiologie. Il a créé et dirigé un Centre de Médecine complémentaire à l’Université de Pittsburgh, où il enseigne encore aujourd’hui en qualité de professeur clinique de psychiatrie.

Son premier livre, Guérir (Éditions Robert Laffont, 2003), traduit en trente langues, a été un best-seller mondial. La version anglaise de ce livre, Healing without Freud or Prozac (Rodal Publisher), a connu aussi un grand succès de librairie dans les pays anglo-saxons.

David Servan-Schreiber récidive dans sa volonté de parler différemment de la maladie dans son nouveau livre, Anticancer, paru récemment aux Éditions Robert Laffont.

Il propose une autre approche pour contrer le cancer, qui fait appel à nos défenses naturelles.

Nous avons rencontré le Dr David Servan-Schreiber lors de son dernier passage au Québec.

Canadian Jewish News: Le cancer est le grand fléau du XXIe siècle?

David Servan-Schreiber: Absolument. Cette maladie progresse à un rythme effréné et effrayant. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.), en l’an 2000, il y a eu 10 millions de nouveaux cas et 6 millions de morts dans le monde. Ces chiffres passeront en 2020 à 20 millions de nouveaux cas par an, entraînant 10 millions de morts. L’une des populations où le cancer augmente notablement est celle des enfants et des adolescents, qui par définition ne sont pas concernés ni par le vieillissement général ni par le dépistage. Pourtant, on constate une augmentation de 1,3% par an des cancers chez des bambins et des adolescents âgés de 0 à 15 ans. En France, le cancer du cerveau, pourtant non détectable, sauf par hasard, a triplé chez les personnes nées entre 1930 et 1950…

C.J.N.: Il y a seize ans, lorsque vous étiez neuropsychiatre aux États-Unis, vous avez eu un cancer du cerveau. Avez-vous été soigné par les méthodes classiques de la médecine conventionnelle ou par d’autres méthodes?

D. Servan-Schreiber: J’ai été soigné par les méthodes classiques -chirurgie et chimiothérapie. Il faut être clair là-dessus: il n’existe pour l’instant pas d’autres moyens pour éradiquer un cancer déclaré. J’ai eu la chance d’avoir d’excellents médecins et chirurgiens qui m’ont sauvé la vie. Les comportements que je préconise dans mon livre peuvent seulement doper les effets des traitements classiques, jamais les remplacer. Aujourd’hui, nombreux sont les cancérologues qui prônent une autre approche de la maladie, où l’alimentation et le mental interviennent pleinement dans le combat, en complément des chirurgies, radiothérapies et chimiothérapies.

C.J.N.: Avec cette nouvelle approche médicale peut-on prévenir ou guérir un cancer?

D.Servan-Schreiber: Malheureusement, il n’y a pas un remède miracle pour prévenir ou guérir un cancer. Il n’existe pas de coupure entre prévention et traitement. Un cancer, c’est à la fois la tumeur et son terrain. Il s’agit d’un tout. Cette vision de l’importance du terrain n’est pas uniquement la mienne, je me réfère dans mon livre aux récents travaux de très grands scientifiques qui ont confirmé la valeur de cette approche et reconnu qu’elle constitue une percée majeure en cancérologie.

Depuis une dizaine d’années, les scientifiques ont vécu une immense avancée quand ils ont compris que l’on pouvait arrêter la maladie, même sans détruire les cellules cancéreuses, en empêchant le corps d’alimenter la croissance de la tumeur. Une véritable révolution dans le monde médical! Au lieu de se limiter à attaquer les tumeurs de front en recourant à des chimiothérapies ou à des radiothérapies, des chercheurs renommés dans le domaine du cancer ont découvert que l’on pouvait aider le corps dans sa lutte contre la tumeur, en l’empêchant par exemple de fabriquer les vaisseaux sanguins dont elle a besoin pour grandir. De cette révolution est née toute une série de recherches passionnantes afin de trouver comment aider au mieux le corps.

C.J.N.: Donc, pour mieux endiguer la prolifération des cellules cancéreuses, il faut investir le “terrain” dans lequel celles-ci croissent?

D. Servan-Schreiber: Oui. On sait que pour se développer une tumeur a besoin d’un milieu inflammatoire, qu’il lui faut ensuite résister aux défenses que lui oppose notre système immunitaire -dont le rôle, assez mal connu, est pourtant essentiel-, et enfin qu’elle doit, pour survivre, créer des vaisseaux sanguins qui lui apporteront le sang et l’oxygène dont elle a besoin. D’un simple point de vue logique, on ne peut ignorer ces paramètres. Il faut donc comprendre comment fonctionnent nos moyens naturels de défense afin de les utiliser, de les stimuler et de les amplifier si possible. En somme agir en amont sur ce qui favorise le développement de la tumeur cancéreuse, au lieu d’attendre qu’elle soit là pour l’attaquer de front.

C.J.N.: Les mécanismes naturels de l’être humain jouent un rôle déterminant dans le combat contre le cancer?

D. Servan-Schreiber: Il existe en effet en chacun de nous des mécanismes naturels de défense contre le cancer qui sont considérablement affaiblis par notre mode de vie occidental et qui peuvent être renforcés si nous modifions des choses assez simples: choisir ce que l’on mange, se dépenser plus physiquement, être vigilant sur l’environnement, être attentif à son être intérieur.

C.J.N.: Le facteur génétique est-il l’une des principales causes du cancer?

D. Servan-Schreiber: On a longtemps pensé que le cancer était avant tout une question génétique quasiment inévitable. Mais le fait même qu’il y ait une augmentation constante du nombre de cas montre qu’il existe une influence extérieure beaucoup plus liée à notre environnement et à notre mode de vie qu’à nos gènes. Le facteur génétique ne joue que dans environ 15% des cas. On estime à 85% l’influence de l’environnement, des habitudes alimentaires et du stress psychologique. Pour preuve: des études scientifiques ont démontré que les enfants adoptés à la naissance ont les mêmes risques de cancer que leurs parents adoptifs, pas de leurs parents biologiques. Ce sont donc bien les habitudes de vie qui sont déterminantes. Autre exemple: on trouve en Chine des régions entières sans cas de cancers du sein. Est-ce dû à un gène asiatique? Non, puisque, lorsque des Chinoises émigrent à San Francisco, leur taux de cancer du sein rejoint celui, très élevé, des Américaines. Des études montrent aussi que les femmes porteuses des gènes BRCA 1 et 2 (facteurs de certains cancers du sein), nées avant 1940, ont trois fois moins de cancers du sein que celles portant les mêmes gènes mais qui sont nées après 1940. On constate le même phénomène pour d’autres cancers, comme ceux de la prostate, du côlon, du cerveau…

C.J.N.: L’alimentation est l’un des éléments clés de la lutte contre le cancer?

D. Servan-Schreiber: Je pense que c’est l’élément clé des raisons de l’expansion fulgurante des cancers qui sévit aujourd’hui. À partir du moment où une telle augmentation du nombre de cancers ne s’explique pas par une détérioration des conditions psychologiques des gens, il faut chercher ailleurs, dans d’autres changements de leur mode de vie. Or, on constate que depuis cinquante ans, trois choses ont changé de façon très significative: l’augmentation de la consommation de sucre raffiné, l’utilisation de produits chimiques dans les engrais et les pesticides et le changement de nourriture des animaux d’élevage.

Avant la Seconde Guerre mondiale, les vaches et les poules mangeaient de l’herbe. Depuis, elles mangent du soja et du maïs. Dans l’herbe, il y a des Oméga-3, dans le soja et le maïs des Oméga-6. Or, l’équilibre entre Oméga-3 et Oméga-6 contrôle tous les facteurs d’inflammation de notre corps.

C.J.N.: Dans votre livre, vous consacrez un chapitre entier aux “aliments anticancer”. Vous démontrez, moult statistiques à l’appui, que certains aliments ont un lien direct avec cette maladie.

D. Servan-Schreiber: Il faut comprendre que certains aliments, comme le thé vert ou le curcuma, ont des effets favorables contre tous les cancers alors que d’autres, comme le sucre raffiné ou la viande d’animaux mal nourris peuvent créer des cancers. Il ne s’agit pas de devenir des ayatollahs du bien-manger. Il s’agit d’adopter une alimentation qui fortifie notre système immunitaire, bloque le développement des vaisseaux nécessaires à la croissance des tumeurs, voire qui induit le suicide des cellules cancéreuses. Il faut limiter la consommation de: viandes rouges, produits laitiers, huiles hydrogénées (tournesol, maïs, soja), sucres raffinés, farines blanches, pain blanc (à remplacer par le pain complet), pâtes et riz blancs, purée de pommes de terre, confitures, fruits cuits au sucre ou en sirop… Il y a un parallélisme étonnant entre la diffusion épidémique de l’obésité et celle du cancer dans les pays occidentaux industrialisés.

C.J.N.: L’activité physique permet-elle réellement de prévenir ou d’aider à guérir certains types de cancer?

D. Servan-Schreiber: Ce qui est important, ce n’est pas la pratique assidue d’un sport, mais faire une simple activité physique régulièrement. Ainsi, les femmes qui marchent cinquante minutes par jour, cinq fois par semaine, font deux fois moins de rechute après un cancer du sein. Il ne s’agit pas d’aller dans une salle de gym trois heures par jour, mais de faire en sorte que l’activité physique fasse partie intégrante de notre vie.

C.J.N.: L’usage régulier du téléphone cellulaire peut-il causer un cancer?

D. Servan-Schreiber: Nous n’en avons pas la preuve définitive. Mais, dans la littérature scientifique, on apprend que les champs électromagnétiques pénètrent le corps humain. Que les enfants sont les plus exposés. Qu’il y a des effets biologiques, avec une augmentation de la perméabilité de la barrière électro-encéphalique, qui protège les neurones du cerveau, mais aussi que l’utilisation du portable augmente la synthèse de toute une série de protéines de stress. Il y a bien eu des études épidémiologiques qui n’ont pas montré de conséquences sur la santé. Seulement cela ne veut rien dire, parce que nous n’avons pas encore suffisamment de recul.

C.J.N.: Vos livres ont-ils été publiés en Israël?

D. Servan-Schreiber: La version en hébreu de mon livre Guérir a connu un grand succès en Israël. Mon éditeur israélien a fait un travail de promotion remarquable. Anticancer sera aussi traduit en hébreu. J’aime beaucoup aller en Israël pour présenter mes livres. Les Israéliens aiment les débats de fond sur des questions médicales et sociales d’une brûlante actualité. En matière de recherche contre le cancer, les Instituts de recherche israéliens, dont les ressources budgétaires sont assez limitées, font preuve d’une grande ingéniosité. La grande qualité des recherches scientifiques israéliennes est reconnue dans le monde entier.


In an interview when he was in Montreal, Dr. David Servan-Schreier talks about cancer in today’s world, referring to the book he recently published on the subject.