Une entrevue avec l’humoriste Gad Elmaleh

Le célèbre humoriste Gad Elmaleh a le vent en poupe! Son dernier spectacle, Papa est en haut, qu’il a présenté pendant plus d’un an à guichets fermés au Palais des Sports de Paris, a fait un tabac; son premier film, Coco, a joliment performé au Box-Office français: 3 millions d’entrées; il vient de tourner à Hollywood auprès de Steven Spielberg l’adaptation au grand écran des aventures de Tintin; le public français vient de l’élire 3ème personnalité artistique favorite de l’année…

Gad Elmaleh

Chose certaine, la grande notoriété dont ce brillant et très talentueux artiste jouit depuis plusieurs années ne lui est pas montée à la tête. Gad Elmaleh est toujours l’être affable, généreux et très humble que nous avons connu lorsqu’il a fait ses débuts artistiques à Montréal, il y a une quinzaine d’années. Il n’a jamais oublié ses origines judéo-marocaines, ni la Communauté sépharade de Montréal, qui l’a accueilli chaleureusement, au début des années 90, quand il quitta son Maroc natal pour établir ses pénates dans le quartier Côte-Des-Neiges.

Cet humoriste hors pair sera l’invité d’honneur du Festival Sépharade 2009, manifestation culturelle organisée par la Communauté sépharade unifiée du Québec, qui célèbre cette année son 50ème anniversaire. Il présentera le 3 novembre prochain, au Théâtre Saint-Denis, une nouvelle version de son spectacle Papa est en haut.

Canadian Jewish News: Vous venez de tourner avec Steven Spielberg un film inspiré des aventures de Tintin.

Gad Elmaleh: C’est un très grand privilège pour moi de faire partie du casting du prochain film de Steven Spielberg: l’adaptation cinématographique d’une aventure de Tintin: Le Secret de la Licorne. C’est le premier volet d’une trilogie inspirée de deux Bandes Dessinées d’Hergé, Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge. Le premier film de cette trilogie, The Adventures of Tintin: Secret of the Unicorn, qui sortira en salles en 2011, a été réalisé par Steven Spielberg. Les deux autres films seront mis en scène par un autre cinéaste réputé, le Néo-Zélandais Peter Jackson, réalisateur du Seigneur des Anneaux et de King Kong. J’interprète un personnage secondaire très marrant et complètement fou, Omar Ben Salaad. C’est un trafiquant excentrique à la verve très colorée aperçu dans une autre aventure de Tintin, Le Crabe aux pinces d’Or. Jamie Bell, la star de Billy Elliott, interprète le rôle du célèbre reporter à la mèche rebelle. Daniel Craig, alias James Bond, prendra les traits de Rackham le Rouge. Andy Serkis se glissera dans la peau du Capitaine Haddock… J’ai eu la chance de tourner quelques scènes avec Daniel Craig, un acteur très sympathique. Ce film d’animation en 3D a été tourné dans un Studio de Los Angeles en Motion Capture -une technique très sophistiquée qui permet de capter les mouvements d’un élément réel pour les intégrer ensuite dans une image virtuelle.

C.J.N.: Tourner un film avec Steven Spielberg, ça doit être une expérience artistique très marquante. Comment avez-vous décroché le rôle d’Omar Ben Salaad?

Gad Elmaleh: Ça a été une expérience cinématographique folle, fabuleuse et irréelle. J’étais sidéré et très ému pendant les dix jours que j’ai tournés avec ce grand Maître du Septième Art qu’est Steven Spielberg. Pour décrocher ce rôle, j’ai dû passer des auditions, ce que je ne fais plus en France depuis très longtemps. À Hollywood, je suis un illustre inconnu! On a référé mon nom à Steven Spielberg parce que j’avais doublé la voix de Jerry Seinfeld dans la version française du film Bee Movie. J’avais vraiment un très grand trac avant d’entamer le tournage. Je me suis dit: “Ça va être une Hchouma -expression arabe signifiant “honte”-, une catastrophe pathétique!” À mon grand étonnement, le tournage s’est déroulé dans une atmosphère conviviale et très détendue. Steven Spielberg est un géant du cinéma. Sur le plateau de tournage, il est relax, gentil, généreux, curieux et très cool. Il dirige ses acteurs avec un professionnalisme inouï et une grande douceur. C’est un très grand gentleman. C’est l’Ashkénaze le plus chaleureux que j’ai rencontré dans ma vie!

C.J.N.: Malgré un agenda de travail surchargé et très contraignant, vous avez accepté de participer à l’édition 2009 du Festival Sépharade de Montréal.

Gad Elmaleh: Sincèrement, je ne voulais pas participer cette année au Festival Sépharade de Montréal. On m’a forcé! Votre charmant et très persuasif président, Marc Kakon, m’a même menacé! Il m’a dit sur un ton décapant: “Mon cher Gad, si tu ne viens pas à Montréal pour le Festival Sépharade, on t’enverra Liliane Abitbol -notre inégalable Freha nationale!- te chercher à Paris!” Je lui ai alors répondu, sans hésiter un millième de seconde: “Dans ce cas, j’arrive tout de suite!” C’est une blague, surtout ne la prenez pas au sérieux! Je suis plus que ravi de participer au Festival Sépharade. D’autant plus que cette année, cette grande manifestation culturelle célébrera le 50ème anniversaire de la Communauté sépharade du Québec. Je ne pouvais pas manquer cette grande Fête de la culture sépharade.

C.J.N.: Vous entretenez avec Montréal et sa Communauté sépharade une relation très particulière?

Gad Elmaleh: Absolument. Pour moi, revenir à Montréal pour présenter un spectacle, c’est toujours un moment émouvant et très particulier. Je n’oublierai jamais que c’est à Montréal que ma carrière artistique a démarré, sur les planches du Centre étudiant Hillel, un lieu exceptionnel et très fraternel auquel je suis très attaché, et dans le cadre du Festival Sépharade de 1992. J’avais alors joué dans deux superbes pièces théâtrales, conçues et mises en scène par deux remarquables créateurs culturels, Solly Levy et Carlo Bengio. Ce furent deux expériences artistiques extraordinaires et très déterminantes pour ma carrière. Je reviendrai donc très bientôt à la ville, à la Communauté et à l’espace culturel où, il y a dix-sept ans, j’ai entamé officiellement la carrière artistique que je rêvais de faire un jour depuis que j’étais môme. Les Cafés-Shows dans la salle bondée du Centre Hillel sont pour moi des moments inoubliables qui continuent à m’émouvoir beaucoup. Je suis toujours ravi de revenir à Montréal, surtout quand je suis invité par son exceptionnelle et très généreuse Communauté sépharade.

C.J.N.: Le spectacle que vous présenterez le 3 novembre prochain dans le cadre du Festival Sépharade, “Papa est en haut”, a connu un énorme succès en France et dans les autres pays francophones où vous l’avez joué. Ferez-vous dans ce spectacle quelques clins d’oeil aux Sépharades montréalais et au Québec?

Gad Elmaleh: Le Festival Sépharade est pour moi un événement culturel important et très singulier. Quand je joue devant le public québécois au sens large du terme, qu’il soit Sépharade, Catholique, Juif, Musulman… j’ai l’impression de jouer à Paris, avec quelques petites spécificités sur le Québec que j’ajoute à mon spectacle. Cette fois-ci, le spectacle que je présenterai le 3 novembre prochain au Théâtre Saint-Denis sera encore plus spécifique: j’ajouterai une touche très sépharade.

C.J.N.: Donc, ce sera une version un peu modifiée de “Papa est en haut”?

Gad Elmaleh: Oui. Je me rends compte que ce spectacle je l’ai créé et joué pour la première fois à Montréal à l’été 2007. La plupart des thèmes que j’aborde dans Papa est en haut sont en 2009 quelque peu éculés, à part mes réflexions sur les relations entre un père et son fils. Comme je viens cette fois-ci à Montréal pour la célébration d’un événement très particulier, le 50ème anniversaire le plus sépharade du monde! je tiens absolument à ce que mon spectacle au Théâtre Saint-Denis soit fortement teinté d’humour sépharade à la sauce judéo-marocaine! Je ferai dans ce spectacle des sketches très sépharades que je ne peux pas faire à Paris ou ailleurs. Il y aura dans cette version modifiée de Papa est en haut une portion séphardo-morocco-montréalaise, qui sera mon cadeau d’anniversaire à la quinquagénaire Communauté sépharade du Québec.

C.J.N.: Il y a quelques mois, le gouvernement libanais vous a notifié très explicitement que vous n’étiez pas le bienvenu à Beyrouth, où vous deviez présenter votre spectacle “Papa est en haut”. Cette décision cinglante à caractère politique vous a-t-elle offusqué?

Gad Elmaleh: Cette sinistre histoire m’a totalement dépassé et beaucoup blessé. Ça a été pour moi une grande désillusion. Dans les milieux politiques extrémistes libanais, proches du Hezbollah, on a dit que j’étais un soldat de l’armée israélienne. On a fait circuler sur Internet une photo d’un soldat arborant l’uniforme de Tsahal. Mes détracteurs se sont escrimés à faire croire aux Libanais que c’était moi. Une grande fumisterie! Aujourd’hui, Internet est devenu le Café du commerce! Demain, je peux claironner sans ambages que mon voisin a adopté cinq chiens et qu’il se ballade à poil sur la rue St-Catherine! Sur Internet, je peux écrire n’importe quoi et tout ce que je veux! Après, bien sûr, on peut vérifier la “véracité” de ces informations fallacieuses. Mais, souvent, c’est trop tard! Une fois que la fausse photo me dépeignant comme un soldat de Tsahal fut mise en ligne, l’effet “boule de neige” a été instantané et très dévastateur. Je suis convaincu que c’est une manipulation complètement politique fomentée et orchestrée par les partis d’Opposition libanais.

C.J.N.: Avez-vous déjà été persona non grata dans d’autres pays arabes ou est-ce la première fois?

Gad Elmaleh: C’est la première fois que je vis un incident aussi fâcheux. J’ai toujours été accueilli très chaleureusement au Maroc, mon pays natal, en Algérie, en Tunisie… où j’ai présenté plusieurs fois mes spectacles. En Tunisie, je me suis produit au Festival de Carthages devant plus de 6000 personnes. En Algérie, j’ai joué pendant une période particulièrement difficile pour le peuple algérien, quand les intégristes islamistes menaçaient la population et perpétraient des actes terroristes abominables. Moi, je suis un artiste qui a toujours prôné le dialogue et le rapprochement entre les Arabes et les Juifs. J’ai toujours eu envie de bâtir des ponts entre ces deux Communautés, qui ont beaucoup de choses en commun. Je dis sans fard à mes amis Arabes et Musulmans: “Je suis Juif, je suis né au Maroc, je parle l’arabe, je peux, en tant qu’humoriste juif marocain parlant l’arabe, venir faire rire dans vos pays respectifs les peuples Arabes et Musulmans”. Au Liban, ils ont récusé cette proposition fraternelle. Cette attitude maximaliste et dédaigneuse, c’est tout simplement de l’antisémitisme pur et dur. On ne veut pas voir un Juif arriver dans un pays arabe avec les meilleures intentions du monde pour faire rire les citoyens de cette contrée. Cet incident m’a fait très mal. Il m’a aussi beaucoup dérangé parce que je reçois régulièrement des témoignages d’amour et d’affection de la part du public libanais. Depuis des années, je reçois de très nombreux courriels et lettres très affectueux de Libanais vivant au Liban, en France, en Europe et aux États-Unis. Il y a même un journal de langue arabe de Beyrouth qui a titré: “Gad Elmaleh, Bienvenu au Liban”. Je crois que c’est le public libanais, qui voulait voir mon spectacle, qui a été le plus pénalisé dans cette sordide affaire.

 C.J.N.: Récemment, dans le cadre d’un grand sondage d’opinion, les Français vous ont élu 3ème personnalité artistique préférée -l’ancien tennisman Yanick Noah est le 1er chouchou des Français et l’acteur Dany Boon le 2ème-. Vous avez même détrôné le très populaire ex-footballeur Zinadine Zidane et une icône de la chanson française, Charles Aznavour. Quel regard rétrospectif portez-vous aujourd’hui sur votre carrière artistique?

Gad Elmaleh: Faire un bilan ou l’auto-analyse de sa propre carrière, c’est un exercice plutôt compliqué. Je suis très heureux et très privilégié d’être aujourd’hui parmi les artistes favoris du public français. Mais, je serais honnête. Quand j’ai débuté ma carrière artistique, je ne m’attendais pas du tout à connaître un jour autant de succès, mais je le souhaitais ardemment. Au départ, je ne savais pas si ça allait marcher, mais je voulais absolument que ça marche. Souvent, dans des entrevues, des journalistes me demandent: “Comment vivez-vous votre notoriété? Vous ne pouvez plus sortir dans la rue sans avoir à vos trousses des paparazzis, des fans qui vous demandent des autographes…” Je leur réponds: “Tout ce que vous me dites est vrai, mais, je vais être honnête: je rêvais d’atteindre un jour cette notoriété! Être un artiste connu et reconnu, c’est le rêve que je caresse depuis que j’étais un gamin. Il y a trois éléments fondamentaux qui ont contribué à faire de moi l’artiste reconnu que je suis aujourd’hui: avoir un petit don pour faire ce métier très exigeant; travailler avec acharnement et avec une foi inébranlable en ce qu’on fait -c’est ce que j’ai fait depuis que j’ai débuté sur les planches- et avoir de la Baraka -“chance”-, un terme qui peut trouver sa traduction, je l’espère, dans toutes les langues. Comme dans n’importe quel autre métier, la Baraka est capitale aussi quand on exerce le métier d’artiste. Mais, dans la vie, la Baraka, c’est toi qui la guide. Attention, le talent artistique, ce n’est pas de la Baraka. C’est le plus beau cadeau que Dieu peut faire à un artiste.  

C.J.N.: Vous considérez-vous comme un humoriste Sépharade?

Gad Elmaleh: Absolument. Je revendique complètement ce statut artistique, dont je suis très fier. “Humoriste sépharade”, c’est ce qui me résume, c’est ce que je suis. Mon humour est sépharade à 1000%. La culture, la couleur, la musique et l’odeur de mon humour sont foncièrement sépharades. C’est un humour fortement teinté d’humour juif et de culture judéo-marocaine sépharade.

C.J.N.: Comment envisagez-vous l’avenir de la culture sépharade?

Gad Elmaleh: Je ne suis pas inquiet en ce qui a trait à l’avenir de la culture sépharade. Par contre, je me dis qu’il y a des choses dans cette culture que nous devons absolument préserver et transmettre et d’autres choses qu’il faut que nous adaptions aux réalités sociales des pays où les Sépharades vivent aujourd’hui, sans que ces derniers perdent pour autant leurs valeurs identitaires et culturelles. Il faut que la culture sépharade évolue parce que c’est une culture riche et vivace qui existe réellement. Je crois que Montréal est le seul endroit au monde où il y a un Festival culturel sépharade. C’est merveilleux. Mais, je me demande pourquoi au Festival Sépharade de Montréal on ne rencontre jamais des Argentins, des Brésiliens, des Latino-Américains, des Haïtiens, des Asiatiques… québécois non-Juifs? Il faudra un jour que, à l’occasion du Festival Sépharade de Montréal, des Québécois non-Juifs “pure laine” ou d’origine libanaise, latino-américaine, africaine, asiatique… viennent aussi me voir sur scène. Ils s’apercevront alors que la culture que je véhicule dans mes spectacles, c’est la culture sépharade. Ils comprendront alors mieux avec qui ils cohabitent au Québec et qui sont réellement les Juifs Sépharades du Québec.

In an interview, Gad Elmaleh, who will be a featured performer at the upcoming Festival Sépharade, talks about his craft and his experiences as a Sephardi comedian.