Pour le grand historien de la Shoah et du nazisme, Saul Friedländer, le négationnisme de la Shoah sera toujours “une bataille sans fin”.
“On continuera à lire que “les chambres à gaz nazies n’ont pas existé”. Aujourd’hui, les thèses négationnistes prospèrent grâce à Internet”, déplore Saul Friedländer en entrevue.
Dans le monde arabo-musulman, poursuit-il, le négationnisme de la Shoah est devenu une “obsession politique”.
“En Iran, le négationnisme a été érigé en doctrine officielle. Dans plusieurs pays arabo-musulmans, la propagande antisémite ou négationniste est un instrument d’État utilisé à des fins politiques.”
Né à Prague en 1932 sous le prénom tchèque de Pavel, Saul Friedländer a consacré sa vie à la compréhension du sort des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale.
Sa famille se réfugia en France en 1939, croyant trouver un asile sûr dans la patrie des droits de l’homme.
Si le jeune Pavel, alors âgé de 10 ans, fut hébergé par une institution catholique de Montluçon, une commune située dans le centre de la France, ses parents, refoulés à la frontière suisse et livrés à la police française, furent déportés au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, d’où ils ne sont jamais revenus.
Dans l’orphelinat catholique où Saul Friedländer trouve refuge durant la guerre, les prêtres lui donnent une nouvelle identité: il portera désormais le nom très chrétien de Paul-Henri-Marie Ferland.
Quand il arrive, orphelin, à Tel-Aviv en 1948, les autorités israéliennes lui demandent s’il a un prénom hébraïque. Ayant appris dans ses cours de catéchèse que Saul, sur le chemin de Damas, était devenu Paul, il choisit alors Saul comme prénom.
“Derrière mon prénom, il y a mon histoire!”, rappelle-t-il.
Une histoire de vie bouleversante qu’il a relatée dans la première partie de son autobiographie, publiée en 1978, Quand vient le souvenir (Éditions du Seuil).
Saül Friedländer vient de publier la seconde partie de ses Mémoires, Où mène le souvenir. Ma vie (Éditions du Seuil).
Un témoignage passionnant et fort émouvant dans lequel il relate ses années israéliennes -il fut l’un des proches collaborateurs de Shimon Peres-; son inlassable combat pour narrer l’indicible, l’effroyable tragédie dans laquelle un tiers du peuple juif a été annihilé; les profonds différends qui l’opposèrent à de grands historiens allemands du nazisme… Il nous livre aussi des réflexions iconoclastes sur l’Israël d’aujourd’hui.
Parallèlement, Saul Friedländer étaye ses réflexions sur le nazisme dans un livre d’entretiens remarquable avec le journaliste français Stéphane Bou, paru récemment aussi aux Éditions du Seuil.
Professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv et de l’Université de Californie (UCLA), à Los Angeles, où il a enseigné pendant vingt-cinq ans, Saul Friedländer fut le premier historien à consacrer, en 1964, un livre très fouillé aux relations entre le pape Pie XII et les nazis, Pie XII et le IIIe Reich (Éditions du Seuil).
Il plongea dans cette histoire glauque par hasard. En effectuant des recherches pour sa thèse de Doctorat en Histoire, il découvrit dans les archives de Bonn un document datant de décembre 1941, mal classé par erreur dans les archives ayant trait aux relations entre le régime hitlérien et les États-Unis: une lettre du pape Pie XII invitant l’orchestre de l’Opéra de Berlin, qui devait prochainement se rendre à Rome, à venir jouer dans ses appartements au Vatican des extraits de Parsifal de Richard Wagner.
“J’ai été choqué en lisant ce document parce qu’en décembre 1941 tout le monde savait au Vatican, et ailleurs aussi, que les Allemands tuaient en masse en Union soviétique des civils russes et aussi des Juifs. J’ai trouvé très étonnant que Pie XII demande à un orchestre d’Opéra allemand de se produire au Saint-Siège à un moment crucial de la guerre où les crimes nazis battaient leur plein. Cette découverte inopinée déclencha ma curiosité et m’incita à poursuivre mes recherches sur cette affaire très déconcertante.”
C’est ainsi qu’il a abouti quelque mois plus tard à la publication de son premier livre, Pie XII et le IIIe Reich, dans lequel il examine les rapports alambiqués que Pie XII entretenait avec le régime hitlérien et la nature de son silence face à l’antisémitisme nazi.
“C’est avec ce livre que je suis devenu historien”, nous confie Saul Friedländer.
Après la publication de cet essai historique choc qui suscita de vives controverses et l’ire de l’Église catholique, il décide d’étendre son champ de recherche en analysant exhaustivement les étapes qui ont mené à l’extermination méthodique des Juifs européens par les nazis.
Les nombreux livres qu’il a dédiés à la genèse de cette hécatombe humaine font autorité.
En 2008, le deuxième volume de sa magistrale enquête sur les crimes nazis, Les Années d’extermination -L’Allemagne nazie et les Juifs 1939-1945- (Éditions du Seuil), a été couronné par le prestigieux Prix Pulitzer -catégorie non-fiction.
La commémoration excessive de la Shoah le dérange-t-il?
“Aujourd’hui, regrettablement, il n’y a pas seulement une commémoration excessive de la Shoah, mais aussi une exploitation politique de cette tragédie par Israël, et aussi par le judaïsme américain. C’est-à-dire, le besoin d’utiliser la Shoah pour démontrer la valeur d’une politique par rapport à une autre. En Israël, ça saute aux yeux!”
En 1977, ajoute-t-il, dès son accession au pouvoir, l’ancien Premier ministre d’Israël, feu Menahem Begin, commença à exploiter la Shoah à des fins politiques et idéologiques. Il identifiait le chef de l’OLP, Yasser Arafat, à Adolf Hitler.
“La campagne militaire israélienne du Liban de 1982 était une sorte de croisade contre les “nouveaux nazis”: les Palestiniens. C’était une parodie, une utilisation absolument inacceptable de la Shoah pour des besoins politiques immédiats. Je pense qu’aujourd’hui, Benyamin Netanyahou et les partis politiques d’extrême droite, membres de sa coalition gouvernementale, font aussi la même chose. Ils invoquent la Shoah pour justifier les implantations dans les territoires occupés. C’est déplorable!”