Montréal est bien positionnée pour devenir la “Silicon Valley” de l’intelligence artificielle, estime l’universitaire et chercheur Yoshua Bengio, qui est considéré comme l’un des plus grands experts mondiaux de l’“apprentissage profond”, fer de lance des progrès gigantesques réalisés ces dernières années dans le domaine de l’intelligence artificielle.
“Dans le créneau de l’intelligence artificielle, Montréal joue déjà un rôle de premier plan au niveau universitaire. On y retrouve la plus grosse concentration mondiale de chercheurs universitaires. Par contre, ce qui nous reste à développer pour faire de Montréal la “Silicon Valley” de l’intelligence artificielle, c’est le côté “entrepreneur” et le côté “affaires”. C’est ce à quoi nous nous attelons aujourd’hui”, nous a dit Yoshua Bengio au cours de l’entrevue qu’il a accordée au Canadian Jewish News.
Depuis quelques années, il y a une fuite de cerveaux vers les États-Unis, surtout vers la Californie, ajoute Yoshua Bengio.
Des compagnies américaines spécialisées dans le domaine de l’intelligence artificielle proposent des “salaires délirants” à des étudiants québécois qui viennent de décrocher leur Doctorat.
“Des étudiants à moi vont gagner plusieurs fois mon salaire aux États-Unis. Nous ne pouvons pas rester inertes face à cette fuite de cerveaux inexorable. La venue de Google à Montréal est un élément du puzzle que nous nous escrimons à construire pour bâtir à Montréal un environnement d’affaires stimulant dans le domaine de l’intelligence artificielle.”
Yoshua Bengio a participé dernièrement à la création d’Element AI, un genre d’incubateur, une “usine à start-up”, qui s’est fixé comme objectif de créer des dizaines d’entreprises en démarrage dans le secteur de l’intelligence artificielle.
Détenteur d’un Doctorat en Sciences informatiques de l’Université McGill -il a ensuite poursuivi des études postdoctorales aux États-Unis, au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT)-, Yoshua Bengio est professeur titulaire au Département d’Informatique et Recherche Opérationnelle de l’Université de Montréal, directeur du Laboratoire d’Informatique des Systèmes Adaptatifs (MILA), co-directeur du programme Neural Computation and Adaptive Perception de l’Institut canadien de Recherches avancées et titulaire de la Chaire de Recherche du Canada sur les algorithmes d’apprentissage statistique et de la Chaire industrielle CRSNG-Ubisoft.
Yoshua Bengio est aussi l’éditeur du Journal of Machine Learning Research et l’éditeur associé de la revue scientifique Neural Computation.
L’ambition principale de Yoshua Bengio est de comprendre les principes de l’apprentissage qui donnent lieu à l’intelligence.
Via ses travaux de recherche sur les algorithmes d’apprentissage, reconnus mondialement, Yoshua Bengio et son équipe de chercheurs tentent d’offrir aux ordinateurs la capacité de capter des connaissances opérationnelles à partir d’exemples. Une machine qui aurait appris de telles connaissances pourrait ainsi faire des prédictions ou des classifications correctes sur de nouveaux cas et les généraliser à de nouvelles situations.
Le gouvernement fédéral canadien vient d’allouer 93,5 millions de dollars, étalés sur sept ans, à l’Institut de valorisation des données (IVADO), une alliance stratégique entre l’Université de Montréal et ses deux grandes Écoles affiliées, l’École polytechnique et l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) –IVADO a établi aussi un partenariat avec l’Université McGill.
C’est la plus importante subvention de recherche octroyée à l’Université de Montréal depuis sa fondation à la fin du XIXe siècle.
Yoshua Bengio est le directeur scientifique d’IVADO.
La mission principale d’IVADO est d’explorer de nouvelles approches pour utiliser l’intelligence artificielle et les données massives (Big Data) afin de doter les ordinateurs d’une puissance de raisonnement quasi égale à celle d’un humain.
Des entreprises privées ont aussi investi 110 millions de dollars dans IVADO.
Qu’est-ce que l’“apprentissage profond”, domaine de l’intelligence artificielle dont Yoshua Bengio est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux?
“C’est un ensemble de méthodes d’apprentissage automatique. Pour que l’ordinateur puisse prendre des décisions intelligentes, il a besoin de connaissances. Ce qu’on a trouvé de mieux pour transmettre des connaissances à l’ordinateur, c’est que celui-ci apprenne à partir d’exemples et de données. L’“apprentissage profond” fait partie des méthodes d’apprentissage qui s’inspirent de ce qu’on sait sur la manière dont le cerveau calcule.”
Yoshua Bengio rappelle avec fierté que les méthodes de l’“apprentissage profond” ont été découvertes dans son Laboratoire de recherche montréalais en collaboration avec des collègues chercheurs de Toronto et New York.
Yoshua Bengio s’intéresse-t-il aux recherches majeures qui sont menées aujourd’hui par des chercheurs israéliens dans le domaine de l’intelligence artificielle?
“Il y a en Israël un environnement très favorable pour les entreprises de haute technologie -il y a dans ce pays de nombreux incubateurs de start-up- et de très bonnes universités. Des entreprises privées et des universités israéliennes travaillent étroitement d’une manière très efficace. Je ne sais pas quel est le secret de la sauce israélienne dans le domaine du high-tech? J’ai l’impression qu’un élément important, c’est que les chercheurs israéliens ont tendance à vouloir rester en Israël, évidemment il y en a aussi qui partent travailler à l’étranger. Au Québec, nous connaissons un phénomène analogue, peut être pas de manière aussi forte qu’en Israël, mais les chercheurs québécois ont tendance à vouloir rester chez eux plus que les autres chercheurs nord-américains, qui sont extrêmement mobiles. Nous devons nous inspirer des modèles qui fonctionnent, comme celui qu’Israël a bâti.”
Avec l’intelligence artificielle, l’humanité assiste à l’amorce d’une nouvelle révolution industrielle, souligne Yoshua Bengio.
Le Canada, le Québec et Montréal sont bien outillés et positionnés pour jouer un rôle important dans cette grande révolution industrielle du XXIe siècle, affirme ce chercheur renommé.
“Mais pour se frayer une place honorable dans le nouvel écosystème mondial qui est en train de se constituer grâce à l’intelligence artificielle, il va falloir que les Québécois changent leur manière de faire et leur culture entrepreneuriale.”
Dans le domaine de l’intelligence artificielle, il faut investir à long terme, préconise Yoshua Bengio.
“Il faut que les entreprises québécoises et canadiennes comprennent que pour être compétitives dans le nouveau monde qui est en train d’être façonné par la révolution industrielle engendrée par l’intelligence artificielle, elles doivent investir à long terme dans la formation de leur personnel et être prêtes à injecter des fonds en ne recherchant pas nécessairement un retour sur leur investissement dans six mois ou un an, mais dans cinq ou dix ans. Ça, nos compétiteurs en Californie l’ont bien compris.”
Si on veut que ça fonctionne aussi chez nous, il va falloir que “les mentalités changent”, insiste Yoshua Bengio.
“Il y a actuellement des signes positifs et encourageants qui sont une preuve manifeste du désir, de plus en plus partagé, de faire de Montréal un pôle d’innovation mondial en intelligence artificielle et la capitale canadienne de la valorisation des données.”