“Tenter de ramener Israël et le conflit israélo-arabe du passionnel au rationnel, c’est extrêmement difficile. C’est difficile pour celui qui tente de le faire, c’est difficile aussi pour ceux qui l’écoutent parce qu’on a tous en tant qu’humains, en tant que citoyens, des sensibilités particulières. C’est tout à fait normal.
Il ne s’agit pas d’être d’une neutralité absolue. La neutralité, c’est un horizon qui n’est pas atteignable. Le plus important, c’est d’être objectif, c’est-à-dire intellectuellement honnête.”
Le géopolitologue Frédéric Encel regrette que certains analystes des questions politiques israéliennes et moyen-orientales soient enclins à “idéologiser” leur travail académique ou intellectuel.
“Si en 1982 au Liban, ça a été pour Israël une guerre impériale, oui, ça a été une guerre impériale. Je le dis sans aucune gêne. Pourtant, je ne suis pas un grand contempteur, ni un ennemi absolu d’Israël. Si 1948 et 1973 ont été des guerres de survie pour Israël, oui, c’étaient des guerres de survie pour l’État juif, il faut le dire, insiste-t-il. Donner un certain nombre de points de vue ou souligner des réalités fondées sur des critères extrêmement précis, ça ne délégitime en aucun cas ni la cause israélienne, ni la cause palestinienne. Donc, je préconise davantage l’objectivité que la neutralité. En tout cas, c’est ma manière de ramener Israël du passionnel au rationnel.”
Docteur en Géopolitique, professeur à l’Institut français de géopolitique et à l’Institut d’Études politiques de Paris, Frédéric Encel est l’auteur de plusieurs ouvrages de géopolitique très remarqués sur Israël et le Moyen-Orient. Son dernier livre: Atlas géopolitique d’Israël. Aspects d’une démocratie en guerre (Éditions Autrement, 2008).
Frédéric Encel nous propose dans cet Atlas géopolitique sur Israël -le premier du genre à être publié- un tableau neuf, documenté, sérieux et objectif d’Israël et de ses rapports avec ses voisins proches (Proche-Orient), avec son environnement plus éloigné (Moyen-Orient) et avec le monde en explorant divers domaines: l’Histoire; la démographie; la sociologie politique; l’économie; l’énergie; la stratégie et la politique de défense et de sécurité d’Israël; la diplomatie…
“Le principal but de cet Atlas est de montrer, à travers des chiffres, des tableaux, des histogrammes, des graphiques et, surtout, des cartes, qu’on ne peut pas faire de la géopolitique sérieusement sans cartes, surtout lorsqu’il s’agit d’ un conflit aussi complexe que le contentieux israélo-arabe, dont les territoires et la géographie sont aussi petits, en particulier à Jérusalem”, explique-t-il.
Frédéric Encel, qui était récemment de passage au Québec, a livré ses réflexions et analyses sur le conflit israélo-palestinien au cours d’une rencontre avec des journalistes québécois, organisée par le Comité Québec-Israël de la FÉDÉRATION CJA.
D’après lui, la politique de retraits unilatéraux exempte de négociations avec les Palestiniens, mise en oeuvre en 2000 au Sud-Liban par Ehoud Barak et en 2005 dans la bande de Gaza par Ariel Sharon, s’est avérée “une grande erreur géostratégique”.
“Depuis le retrait de Gaza, quelque 4000 roquettes ont été lancées par le Hamas sur Sdérot. L’opinion publique israélienne se sent absolument trahie. Aujourd’hui, Ehoud Olmert est gêné de poursuivre cette politique de retraits unilatéraux d’un certain nombre de Territoires palestiniens parce que les Israéliens lui en voudraient énormément s’ils se retirent encore d’un kilomètre carré de la Cisjordanie. Olmert est déjà bas dans les sondages. Dans le contexte présent très tendu, un autre retrait unilatéral, ce serait l’émeute!”
La stratégie de rechange d’Ehoud Olmert: renégocier directement avec Mahmoud Abbas.
“Mais, les Israéliens ne cessent de répéter à Olmert: “Tu négocies avec un leader faible, qui n’est même pas capable d’empêcher les roquettes de s’abattre sur Sdérot. Abbas n’y peut rien du tout. Il serait heureux que les Israéliens le débarrassent du Hamas. Mais à quel prix? Une offensive militaire à Gaza serait très coûteuse en termes de vies humaines aussi bien pour les Palestiniens que pour les soldats de Tsahal.”
Frédéric Encel n’est pas très optimiste en ce qui a trait aux perspectives d’avenir des négociations entre Israéliens et Palestiniens.
“Dans l’état actuel des choses, c’est difficile d’envisager l’avenir avec optimisme. Pour moi, aujourd’hui, le principal obstacle à tout type de progression -je ne parle même pas de la paix, qui est un concept philosophique, mais de la poursuite des négociations israélo-palestiniennes-, c’est le Hamas à Gaza.”
Force est de reconnaître, ajoute-t-il, que le Hamas a su “répondre concrètement” aux attentes sociales de la population palestinienne de Gaza.
“Pendant quarante ans, le Fatah a eu des chefs qui se sont fait construire des magnifiques villas avenue Charles de Gaulle, sur le littoral de Gaza, à trois cents mètres des demeures insalubres où vivotent les réfugiés palestiniens. Les Palestiniens de Gaza ont fini par voter pour ceux qui donnent chaque jour gratuitement un repas chaud à leurs gamins. Les Palestiniens n’ont pas voté pour le Hamas parce qu’ils voulaient détruire l’État d’Israël. Ces dernières semaines, des émeutes à Gaza ont été durement réprimées par les islamistes du Hamas. Ce parti fondamentaliste jusqu’au-boutiste joue actuellement à la politique du pire en cassant et en affaiblissant l’Autorité Palestinienne via les roquettes qu’il envoie sur Sdérot, qui, évidemment, irritent les Israéliens et empêchent Ehoud Olmert de négocier avec Mahmoud Abbas. Cette quadrature du cercle, avec trois acteurs, nous empêche d’envisager avec espoir un moyen ou un long terme.”
French geopolitical professor and author Frédéric Encel spoke to reporters in Montreal recently about the Israeli-Palestinian situation.