“Israéliens et Palestiniens sont condamnés à vivre ensemble. Ces deux peuples partagent beaucoup de choses communes, dont une Terre surchargée d’Histoire, pour laquelle ils se battent fougueusement depuis des lustres.
Ressasser le passé, ça ne sert à rien. Israéliens et Palestiniens ont commis de graves erreurs. Aujourd’hui, la seule alternative qui s’offre à eux est d’envisager le futur avec plus d’optimisme.”
Mai Shbeta, 17 ans, se considère comme une “Israélienne à part entière, très fière de ses racines culturelles mixtes, juives et arabes”.
Sa mère, Ève Guggenheim, est née à Zurich, en Suisse, dans une famille juive orthodoxe. Son père, Eyas Shbeta, est un Palestinien musulman, dont une partie de sa famille fut contrainte à l’exil lors de la première guerre israélo-arabe de 1948.
Mai vit avec ses parents et ses deux soeurs, Nadine, 14 ans, et Karin, 12 ans, à Névé Shalom (en hébreu), Wahat as-Salam (en arabe) -Oasis de Paix-, un village créé conjointement au début des années 80 par des Juifs et des Arabes palestiniens, tous citoyens d’Israël.
Situé sur une colline en bordure de la vallée d’Ayalon, à égale distance -environ 30 kilomètres- de Jérusalem et de Tel-Aviv, Névé Shalom-Wahat as-Salam est aujourd’hui le foyer de 50 familles -25 familles juives et 25 familles arabes.
170 enfants, âgés de 3 mois à 12 ans, fréquentent l’école du village. Les enfants Shbeta ont reçu leur éducation primaire dans cette école dont le système éducatif est binational.
“L’enseignement est prodigué aux enfants en hébreu et en arabe par un professeur juif, qui ne parle qu’en hébreu, et un professeur arabe, qui ne parle qu’en arabe. Les deux traditions culturelles, la juive israélienne et l’arabe palestinienne, sont enseignées aux élèves. L’activité principale de Névé Shalom-Wahat as-Salam est le travail éducatif pour la paix, l’égalité et la compréhension entre le peuple juif israélien et le peuple arabe palestinien”, précise Ève Guggenheim.
Nous avons rencontré la famille Shbeta-Guggenheim lors de son dernier passage à Montréal.
À l’école du village Névé Shalom-Wahat as-Salam, la très passionnelle Histoire du conflit israélo arabe est enseignée d’une manière concomitante, c’est-à-dire en prenant en considération la perspective historique juive sioniste et la perspective historique arabe palestinienne.
“Nous enseignons aux enfants les deux récits narratifs, antinomiques, de l’Histoire d’Israël et de la Palestine: celui de l’épopée sioniste et celui de la Nakba, la tragédie que la fondation de l’État juif représente pour les Palestiniens. Ces deux récits historiques, aux antipodes l’un de l’autre, sont enseignés avec une grande rigueur pédagogique. Il n’est pas question de laver le cerveau des enfants avec la version juive de l’Histoire d’Israël ou avec sa version palestinienne. Nous voulons former des jeunes Israéliens qui aient l’esprit ouvert. Nous récusons toute forme d’endoctrinement idéologique. En connaissant les deux récits d’une Histoire commune, nous croyons résolument que ces jeunes pourront plus tard assumer leur identité nationale d’une manière citoyenne plus responsable’, explique Ève Guggenheim.
Quand elle est arrivée à Jérusalem à la fin des années 70, Ève Guggenheim ne s’attendait pas à y trouver des Palestiniens. Eyas Shbeta a grandi dans une famille de réfugiés palestiniens, qui accuse les Juifs sionistes de l’avoir chassée de sa Terre. Ève et Eyas se sont rencontrés en Israël, où leur amour fait figure de provocation. Ils vont pourtant assumer sans ambages leur union et s’installer à Névé Shalom-Wahat as-Salam, un village où, en dépit des vicissitudes du conflit israélo-arabe, Juifs et Arabes israéliens s’escriment à cohabiter pacifiquement.
“La cohabitation judéo-arabe en temps de guerre ou de crise, ce n’est pas évident, rappelle Eyas Shbeta. À Névé Shalom-Wahat as-Salam les deux Communautés ont dû faire face à des crises internes très dures lors des guerres israélo-arabes et des périodes d’Intifada. Il y a eu des moments affreux où des familles juives et des familles arabes ne se parlaient pas du tout. Mais, notre fabuleuse aventure continue contre vents et marées. Notre village est devenu une coquette cité que l’on vient visiter du monde entier pour s’imprégner de sa philosophie et s’inspirer de sa démarche. Nous avons prouvé que la persévérance et la foi en l’Autre sont de coriaces antidotes pour contrer le fanatisme qui sévit aussi bien chez les Palestiniens que chez les Israéliens.”
Bien que leurs affinités communes soient nombreuses, Ève Guggenheim et Eyas Shbeta ont des vues diamétralement opposées sur une question capitale: l’avenir du pays dont ils sont citoyens, Israël.
Tout en étant réfractaire à l’idée d’une séparation radicale entre les Israéliens et les Palestiniens, Ève Guggenheim rejette vigoureusement le concept d’“État binational” qui, selon elle, “diluerait à long terme le caractère juif de l’État d’Israël”.
“La majorité des Israéliens, même les militants les plus ardents du camp de la paix, sont farouchement opposés à l’idée de créer un État d’Israël binational. La démographie jouerait contre les Juifs. En l’espace de deux ou trois décades, ces derniers deviendraient minoritaires dans leur propre pays. C’est pour cette raison qu’aux yeux d’une forte majorité d’Israéliens, accepter le “droit au retour” revendiqué par les Palestiniens, ce serait signer l’arrêt de mort de l’État juif d’Israël. Ce n’est pas une solution réaliste. À mes yeux, la seule issue plausible est la création d’un État palestinien démocratique. Mais, pour que cette nouvelle entité puisse voir le jour, les Palestiniens devront tout d’abord évincer du pouvoir, par une voie démocratique, les islamistes extrémistes du Hamas”, croit Ève Guggenheim.
Son époux Eyas est plus radical lorsqu’il étaye sa vision de l’Israël dans lequel il souhaite que ses enfants et futurs petits-enfants grandissent.
“Pour les Palestiniens, la création d’Israël est la résultante d’un processus colonial de spoliation et d’aliénation d’un peuple qui vivait dans ce terroir depuis des millénaires. Même Yitzhak Rabin a reconnu que la Bible juive ne peut pas servir de cadastre. Israël doit reconnaître ses erreurs et ses crimes et dédommager les Palestiniens, pas seulement financièrement, mais d’abord moralement. Le seul dédommagement moral que les Palestiniens sont prêts à accepter est qu’on leur confère le droit de retourner chez eux, dans leur terre ancestrale, d’où ils ont été chassés en 1948. Si Israël se veut un État démocratique -c’est ce dont il se targue d’être-, il faut qu’il accorde les mêmes droits à tous ses citoyens, peu importe leur religion ou leurs origines ethniques.”
Le village Névé Shalom-Wahat as-Salam compte parmi ses institutions une École pour la Paix, qui organise des programmes variés de rencontres entre Juifs et Palestiniens, dont le but est de promouvoir la connaissance, la compréhension et le dialogue entre les deux peuples.
Depuis la fondation de cette École pour la paix, en 1979, plus de 30000 jeunes juifs et arabes ont pris part aux rencontres organisées par cette institution éducative, ainsi que plus de 3000 adultes, dont un bon nombre sont impliqués aujourd’hui dans d’autres organisations oeuvrant pour la paix israélo-arabe.
Pour plus d’informations, consulter le Site Internet de Névé Shalom-Wahat as-Salam: www.nswas.org
In Montreal recently, Ève Guggenheim and Eyas Shbeta talked about life in Nevé Shalom-Wahat as Salam in Israel, where the couple – a Jewish woman and a Muslim Arab man – live with their three daughters.