Michel Kichka le grand caricaturiste d’Israël

Michel Kichka est l’un des plus talentueux caricaturistes de presse et bédéistes d’Israël.

Ce grand passionné de Tintin a organisé en Israël, à l’automne 2007, pour souligner le centième anniversaire de la naissance d’Hergé, père du célèbre reporter à la mèche rebelle, un Colloque international, intitulé “Tintin à Jérusalem”, auquel ont participé les plus éminents Tintinologues, dont l’écrivain Pierre Assouline, biographe d’Hergé.

Né en Belgique en 1954, Michel Kichka a fait son Aliya en 1974. Il vit avec sa femme et ses enfants à Jérusalem, où il enseigne la bande dessinée à la prestigieuse Académie des Beaux-Arts Betsalel. Toutes les semaines, il commente, par le truchement de ses caricatures, les faits les plus marquants de l’actualité nationale et internationale dans une émission d’Affaires publiques très populaire de la première chaîne de la Télévision israélienne. Il a illustré une cinquantaine de livres pour enfants.

Michel Kichka est depuis quatre ans le président de l’Association des caricaturistes et des dessinateurs de presse d’Israël.

Dans l’entrevue qu’il nous a accordée récemment depuis Jérusalem, il nous parle de son métier de dessinateur et du rôle que la caricature de presse joue dans la société israélienne.

Canadian Jewish News: Quel est le mandat de l’Association regroupant les caricaturistes et les dessinateurs de presse d’Israël, que vous présidez?

Michel Kichka: Quarante caricaturistes et dessinateurs de presse sont membres de cette Association, fondée il y a dix-sept ans. Bien que nous ayons quelques membres qui portent la kipa, je regrette que les dessinateurs de la presse juive orthodoxe israélienne ne fassent pas encore partie de notre Association. Leurs Rabbins ne leur ont pas encore donné leur aval pour y adhérer.

Le principal but de notre Association est de présenter nos travaux dans des expositions de groupe pour nous faire mieux connaître du public et familiariser celui-ci avec la caricature et le dessin de presse.

Les caricatures et les dessins publiés dans la presse ont un grand inconvénient: après 24 heures, ils disparaissent. Ce qui se fait sur papier, ça part au recyclage. Il faut donc aller dans les archives pour retrouver ces dessins. Leur temps d’exposition est bref. Par contre, leur acuité et leur pertinence demeurent très longtemps. En fait, la caricature est une histoire illustrée, avec un certain sens de la critique. C’est une sorte de photojournalisme imprégné d’humour.

Il y a aujourd’hui en Israël un grand engouement pour la Bande Dessinée et les dessins de presse.

C.J.N. : Dans un pays perpétuellement en guerre comme Israël, où les tensions politiques et militaires sont souvent paroxystiques, le métier de caricaturiste doit être sûrement ardu, et même audacieux?

M. Kichka: En Israël, être caricaturiste, c’est un métier ardu, mais pas audacieux. C’est ardu parce que la réalité en Israël est ardue. Quand, depuis soixante ans, on est confronté en permanence à une situation conflictuelle, à une guerre ouverte, à une guerre contre la terreur, vivre dans un contexte belliqueux finit par devenir une norme sociétale. Nous, les dessinateurs, essayons de sortir de ce contexte sombre quelque chose qui fasse sourire, réfléchir et voir la réalité un peu différemment.

Notre travail de caricaturiste n’est pas audacieux parce qu’Israël est une grande démocratie. Tu ne dois donc avoir aucune audace pour dire ce que tu as à dire parce qu’en Israël, il n’y a pas de censure, on ne limite pas ta liberté d’expression comme dessinateur. J’ai des collègues dans des contrées non démocratiques qui eux sont très audacieux parce qu’ils prennent des grands risques en signant des dessins qui critiquent des choses qu’ils n’ont pas le droit de critiquer dans leur pays. Ils payent souvent durement leur audace artistique.

C.J.N.: Quel rôle joue la caricature de presse dans la société israélienne?

M. Kichka: En Israël, je comparerais la caricature et la satire à une soupape de sécurité dans une marmite à pression. Nous, les caricaturistes -les humoristes aussi-, sommes d’une certaine façon cette soupape. La réalité israélienne, c’est comme une marmite à pression. Quand tu soulèves la soupape, tu enlèves un peu le trop plein de pression. C’est la fonction de la caricature dans les médias israéliens.

C.J.N.: Avez-vous des contacts avec les caricaturistes de la presse arabe palestinienne?

M. Kichka: Oui. J’ai deux collègues palestiniens que je connais très bien et à qui je parle souvent, Khalil Abouarafé, qui est dessinateur et caricaturiste à Al-Quods, le journal arabe de Jérusalem, et Baha Boukhari, qui travaille à Ramallah au journal Alayam.

Depuis que les Territoires palestiniens sont sous la houlette de l’Autorité Palestinienne, la censure militaire exercée jadis par Israël sur la presse palestinienne ne sévit plus. À l’époque d’Arafat, ces deux dessinateurs savaient très bien où étaient les limites. Personne ne pouvait critiquer le Raïs palestinien. Aujourd’hui, la situation est différente. L’Autorité Palestinienne s’est scindée en deux camps adverses, le Fatah et le Hamas

Khalil Abouarafé et Baha Boukhari sont plutôt favorables au Fatah. Ils critiquent souvent dans leurs dessins le Hamas et ses leaders. Il y a quelques semaines, Baha Boukhari et le rédacteur de son journal ont été condamnés par contumace à Gaza pour avoir dessiné et publié une caricature qui a grandement déplu au chef du Hamas, Ismael Haniya. Cette condamnation a une valeur symbolique puisque Boukhari, qui habite à Ramallah, ne met jamais les pieds à Gaza.

C.J.N. : Israël, et souvent les Juifs, ne sont-ils pas aussi des “têtes de Turcs” pour les caricaturistes palestiniens?

M. Kichka: Pendant de nombreuses années, vu qu’Arafat et les membres de son entourage étaient inattaquables par le biais d’articles de presse ou de caricatures, la bête noire des dessinateurs palestiniens était Israël, et les Juifs d’une manière générale. Ça a donné lieu souvent à des dessins et à des caricatures très antisémites. Mais, aujourd’hui, les Palestiniens peuvent critiquer de plus en plus ouvertement le monde arabe, à qui ils reprochent de parler beaucoup mais de ne rien faire pour améliorer leur sort.

Les caricaturistes palestiniens clouent au pilori le Koweït, l’Arabie Saoudite… leur double langage, leurs moeurs archaïques… Les Palestiniens, qui essaient de construire un pays démocratique, voient avec un oeil de plus en plus critique les pays totalitaires arabes. Israël n’est plus la “tête de Turc” favorite des caricaturistes palestiniens.

C.J.N.: Vous êtes membre de “Cartooning for Peace” -“Dessins pour la paix”-. Présentez-nous ce regroupement international de caricaturistes parrainé par les Nations Unies.

M. Kichka: Dessins pour la paix est une initiative du célèbre dessinateur français Plantu, caricaturiste du journal Le Monde. À l’automne 2006, quelques mois après la publication des caricatures controversées du Prophète Mahomet et la tenue à Téhéran d’une exposition de dessins abjects sur la Shoah, Plantu proposa à Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, d’organiser au siège de l’ONU, à Genève, une rencontre entre des dessinateurs israéliens et des dessinateurs de pays arabo-musulmans. Une exposition de leurs dessins serait aussi présentée à cette occasion. Kofi Annan fut emballé par le projet de Plantu.

Depuis, j’ai rencontré à Genève, à Paris, à New York, des dessinateurs réputés arabo-musulmans: Ali Dilem d’Algérie, Baha Boukhari de Palestine, Moustafa Hussein d’Égypte, Jabra Stavro du Liban, Hassan Karimzadeh d’Iran… Depuis que nous nous sommes connus, on s’apprécie humainement. Je n’avais pas rencontré mes collègues palestiniens depuis l’automne 2000, quand la deuxième Intifada a éclaté.

À la mi-juin, Dessins pour la paix présentera simultanément à Jérusalem, à Ramallah et à Bethléhem une exposition de dessins et de caricatures de dessinateurs israéliens et palestiniens. Cette exposition commune prônera le “désapprentissage de l’intolérance” et la recherche d’une meilleure compréhension entre les peuples israélien et palestinien.

C.J.N.: Un caricaturiste iranien qui accepte de rencontrer un caricaturiste israélien sioniste, c’est plutôt étonnant à une époque où le président de l’Iran ne cesse de prôner la destruction de l’État d’Israël.

M. Kichka: C’est vrai. Mais Hassan Karimzadeh est un être très courageux. Il y a dix ans, il a été condamné en Iran à dix ans de prison pour avoir publié une caricature de l’Ayatollah Khomeini que les autorités de Téhéran ont qualifié de “vile et dégradante pour toute la nation iranienne”. Après de nombreuses campagnes de protestation, l’organisation Avocats sans Frontières parvint à le faire libérer après deux ans de réclusion. Il y a deux ans, après notre première rencontre à Genève dans le cadre du projet Dessins pour la paix, dès son retour en Iran, Hassan Karimzadeh fut obligé par les autorités iraniennes de publier un article dans un grand journal de Téhéran pour réitérer sa fidélité à l’islam et exprimer son regret d’avoir participé à cette rencontre internationale de dessinateurs parce qu’il y avait un caricaturiste sioniste. Les autorités iraniennes l’ont contraint à faire publiquement ce mea-culpa.

C.J.N.: Croyez-vous que ces rencontres peuvent rapprocher des dessinateurs juifs et des dessinateurs  arabes?

M. Kichka: Absolument. Pour quelqu’un qui ne vit pas en Israël ou en Palestine, le conflit israélo-palestinien est un fait très abstrait. Pour nous, Israéliens et Palestiniens, qui vivons les réalités quotidiennes sur le terrain, ce conflit est concret, mais il n’est pas personnalisé dans la mesure où je ne connais pas les personnes qui sont en face de moi. Mes rencontres avec mes homologues palestiniens m’ont permis de mettre un visage sur ceux que beaucoup d’ Israéliens appellent “nos voisins Palestiniens”.

À travers mes deux collègues caricaturistes palestiniens, dont je connais leurs familles, leurs enfants, leurs femmes respectifs, leur histoire -ils ont chacun une histoire de vie très intéressante-, j’ai pu mettre un visage sur quelque chose qui jusque-là était pour moi très abstrait. Je me rends compte que nous avons beaucoup de choses en commun à partager dans l’avenir, beaucoup à gagner dans la paix. Lors de nos rencontres, nous nous sommes rendu compte qu’il était nécessaire et urgent de parler du destin et des limites de la tolérance, du concept de liberté d’expression dans différentes cultures, de la critique dans le respect de l’Autre. Nous avons décidé alors communément de nous atteler à construire des ponts avec nos crayons.

C.J.N.: Dans la presse arabe, les caricatures anti-israéliennes ont souvent une connotation très antisémite. Vous est-il arrivé d’interpeller vos collègues dessinateurs arabes à ce sujet?

M. Kichka: Ces dessins antisémites me choquent profondément. Je réagis au contenu infâme de ces dessins à la fois comme Juif, comme Israélien et comme fils de rescapés de la Shoah. Pour moi, c’est un sujet excessivement délicat et douloureux. Moi-même, je m’interdis dans mes dessins de comparer qui que ce soit ou quoi que ce soit à la Shoah, une tragédie indicible, et à Hitler. Je me suis fixé des limites très claires pour faire passer un message très clair: Hitler n’a pas d’équivalent. Je récuse toute comparaison entre Hitler et Ahmadinejad, même si ce dernier est un tyran féroce et antisémite. Je suis contre les amalgames. Les analogies fallacieuses et ineptes faites par le Hamas entre la Shoah et la situation des Palestiniens à Gaza me choquent profondément. Je suis horrifié d’entendre des Palestiniens dire qu’“Israël est en train de perpétrer une Shoah à Gaza”. C’est un discours odieux.

Au cours des discussions très personnelles que j’ai eues avec mes collègues palestiniens, où je leur ai parlé de l’itinéraire de ma famille, je me suis rendu compte qu’ils n’avaient jamais rien appris sur la Shoah. Il y a chez les Palestiniens une ignorance très grande de cette tragédie effroyable. Avec un tel niveau d’ignorance, je ne suis pas étonné que des livres antisémites et négationnistes, comme Les Protocoles des Sages de Sion, soient toujours vendus librement dans des pays arabes. Les Palestiniens ont besoin d’informations, de connaissances sur la Shoah, la plus grande hécatombe humaine du XXe siècle. J’ai vu des dessins antisémites de collègues palestiniens et arabes qui m’ont répugné. Je leur ai dit. Ces sinistres amalgames et idées préconçues sur les Juifs ne font que nourrir chez les Palestiniens et les Arabes la haine à l’endroit d’Israël et des Juifs. Il y a un combat à mener contre le négationnisme à travers la caricature.

In an interview from Jerusalem, Israeli caricaturist Michel Kichka talks about how his work can help people understand each other and touches on his relationship with his counterparts in the Muslim world.