Le célèbre dessinateur de presse français Plantu, caricaturiste au journal Le Monde et au magazine L’Express, et le grand dessinateur de presse israélien Michel Kichka, président de l’Association des caricaturistes d’Israël -cf. l’entrevue avec M. Kichka dans l’édition du Canadian Jewish News du 18 juin 2008-, seront à Montréal pour présenter une exposition de “Cartooning for Peace” -“Dessins pour la Paix”- dans le cadre de la 10ème édition de la Semaine d’actions contre le racisme.
Le
célèbre dessinateur de presse français Plantu, caricaturiste au journal
Le Monde et au magazine L’Express, et le grand dessinateur de presse
israélien Michel Kichka, président de l’Association des caricaturistes
d’Israël -cf. l’entrevue avec M. Kichka dans l’édition du Canadian
Jewish News du 18 juin 2008-, seront à Montréal pour présenter une
exposition de “Cartooning for Peace” -“Dessins pour la Paix”- dans le
cadre de la 10ème édition de la Semaine d’actions contre le racisme.
Parrainé par les Nations Unies, “Cartooning for Peace” a été fondé par Plantu en 2006 avec l’appui de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, qui est le président d’honneur de ce remarquable projet.
Cette exposition de dessins de caricaturistes du monde entier se tiendra à Montréal, du 12 au 22 mars, au Centre communautaire Intergénérationnel d’Outremont.
Sa présentation dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme est le fruit d’un partenariat étroit entre Images Interculturelles, le Congrès juif Canadien, Région du Québec et d’autres grands partenaires.
La Semaine d’actions contre le racisme se veut un moment privilégié de réflexion, d’échanges, de sensibilisation et de rapprochement interculturel. Créée en mars 2000, cette Semaine s’inscrit dans le cadre des manifestations entourant le 21 mars, décrété par les Nations Unies Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
La cérémonie d’ouverture de la Semaine d’actions contre le racisme 2009 aura lieu le jeudi 12 mars, à 10 h, au Centre communautaire Intergénérationnel d’Outremont, en présence des deux invités d’honneur, Plantu et Michel Kichka.
Le dimanche 15 mars, de 10h à midi, Plantu, Michel Kichka et Garnotte, caricaturiste au journal Le Devoir, seront les invités de marque de la Congrégation sépharade Or Hahayim de Côte Saint-Luc. Ces trois dessinateurs de presse chevronnés participeront à une table ronde ayant pour thème: “La presse en temps de guerre: les caricaturistes dans la ligne de mire”.
Cet événement est organisé par la Congrégation Or Hahayim en collaboration avec le Congrès Juif Canadien, Région du Québec et la Communauté sépharade unifiée du Québec.
Entretien à bâtons rompus avec un grand Maître du dessin de presse, Plantu.
Canadian Jewish News: Quel est le thème principal de l’exposition que “Cartooning for Peace” présentera à Montréal?
Plantu: C’est la première fois que l’exposition “Cartooning for Peace” est présentée au Canada. Quelque 80 dessins, oeuvres de caricaturistes de différentes nationalités, seront exposés à Montréal. Bon nombre de ces caricatures traitent de la sempiternelle et délétère question du racisme. En fait, cette exposition est consacrée au regard que nous portons sur l’Autre. C’est très intéressant d’utiliser le dessin pour parler de l’Autre, dont on se méfie si souvent. Le dessin a une force démystificatrice car il permet de décrire les sentiments qu’on ressent à l’égard de l’Autre, que nous connaissons très mal. Comme nous, dessinateurs, jonglons avec un langage très simple, et très simpliste parfois, ça nous permet avec un langage d’enfant, en tout cas naïf, de nouer des liens avec des lecteurs provenant d’horizons nationaux et culturels très différents.
C.J.N.: Le dessin possède une force incommensurable que les mots n’ont pas?
Plantu: Le dessin est séduisant. En trois secondes, on en fait le tour. Mais il est aussi dangereux. Il permet d’exprimer des choses qui sont taboues ou interdites. Son pouvoir de suggestion est très important. Par exemple, en 2005, le Premier ministre turc Tayyip Erdogan avait fait un procès contre un dessinateur qui l’avait représenté en chat empêtré dans une pelote de laine. Par solidarité, tous ses collègues se sont mis à dessiner des chats. On ne peut pas interdire de représenter un chat! Autre exemple: au Maroc, il n’est pas permis de croquer le roi. La parade est de dessiner une main avec une bague. La bague parle. Et tous les lecteurs marocains savent que c’est le roi qui parle.
C.J.N.: La défense de la liberté d’expression est-elle le principal credo de “Cartooning for Peace”?
Plantu: Absolument. “Cartooning for Peace” est une ode à la liberté d’expression et à la reconnaissance du travail journalistique des dessinateurs de presse. Depuis sa création en 2006, des dessinateurs de presse de toutes les nationalités se sont engagés à promouvoir la paix et la tolérance à travers leurs travaux et des expositions et des débats qui ont eu lieu dans plusieurs pays: Suisse, France, États-Unis, Italie…
Ce projet très noble est un vigoureux combat contre le racisme, que malheureusement, nous allons devoir mener encore pendant de nombreuses années. Dans le cadre de ce projet, nous, dessinateurs de presse, essayons de réfléchir ensemble au sens et à la responsabilité de nos images. “Cartooning for Peace” a une seule frontière: le monde.
C.J.N.: Intervenez-vous directement dans des contrées où la liberté d’expression des dessinateurs de presse est malmenée?
Plantu: Bien sûr. Le boulot des membres de “Cartooning for Peace”, c’est aussi de défendre les droits des caricaturistes dans des pays où la liberté d’expression est bafouée par les autorités gouvernementales.
Quand le dessinateur égyptien Bahgory a eu le grand courage de raconter et dessiner sa rencontre avec Michel Kichka dans Al Ahram, le premier journal africain et égyptien, il s’est fait taper sur les doigts. Dire tout haut en Égypte qu’on a un ami Israélien, c’est prendre beaucoup de risques. Je trouve très courageux le geste de Bahgory. Nous, membres de “Cartooning for Peace”, sommes là pour lui dire qu’on est inconditionnellement avec lui et que s’il a le moindre problème avec les autorités égyptiennes, nous interviendrons sans aucune hésitation.
C.J.N.: Vos interventions dans des pays peu enclins à la démocratie donnent-elles des résultats probants?
Plantu: Indéniablement. C’est un combat passionnant. Vous n’imaginez pas les trésors de diplomatie que nous devons déployer, et qui sont souvent très payants.
C.J.N.: Depuis sa fondation, “Cartooning for Peace” essaye de rapprocher les caricaturistes juifs israéliens et les caricaturistes palestiniens et arabo-musulmans. Toute une gageure!
Plantu: Oui, ce rapprochement est capital pour nous. En juin 2008, “Cartooning for Peace” a présenté une exposition de dessins de caricaturistes israéliens et palestiniens à Jérusalem,Tel-Aviv, Ramallah et Bethléhem. Notre but est de permettre à des dessinateurs israéliens et arabo-musulmans de se rencontrer et dialoguer. Chaque fois que mon ami, le caricaturiste israélien Michel Kichka, a l’occasion de prendre l’avion avec son confrère, le caricaturiste palestinien Khalil Abouarafé, ils discutent ensemble avec une grande franchise. Chacun apprend des choses sur le peuple de l’autre qu’on ne leur a jamais enseignées à l’école. Par exemple, Khalil Abouarafé a réalisé en conversant avec Michel Kichka que la Shoah est un sujet totalement ignoré par les collégiens palestiniens. Khalil Abouarafé, qui vit à Jérusalem-Est, est un caricaturiste très courageux. Toute sa famille appuie le Hamas alors que lui critique sans ambages, par le biais de ses dessins très peu complaisants, cette organisation islamiste. Il prend chaque jour des risques énormes.
C.J.N.: Ces rencontres permettent-elles vraiment d’atténuer la force des préjugés sur les Arabes et les Juifs qui ont pignon rue dans les sociétés israélienne et arabo-musulmanes?
Plantu: Ces conversations entre des caricaturistes juifs israéliens et des caricaturistes palestiniens et arabo-musulmans, au cours d’un voyage en avion, d’une exposition, d’un petit-déjeuner à l’hôtel, d’un petit bout de chemin fait en taxi… permettent souvent de saisir l’angoisse et la peur de l’Autre. Après ces rencontres, on ne revient pas le même. Ces dessinateurs, qui ont des vues très opposées sur le conflit israélo-palestinien, proposent un débat dans leurs images, dont ils discutent très ouvertement quand ils sont devant un public. On apprend alors énormément sur les relations que peuvent tisser des dessinateurs qui n’ont pas la chance de se rencontrer régulièrement mais qui, finalement, font le même métier même quand ils ont des divergences politiques.
C.J.N.: Les caricaturistes ne sont-ils pas sur la ligne de mire quand ils traitent frontalement dans leurs dessins des sujets sulfureux comme l’islam ou le conflit israélo-arabe?
Plantu: Malheureusement, oui. Comme ça a été le cas pour les dessinateurs danois qui n’ont pas fait des dessins anti-islamiques mais des dessins contre les fondamentalistes musulmans -on a fait passer ces derniers pour des gens qui méprisaient les Musulmans et l’islam-, aujourd’hui, des caricaturistes sont montrés du doigt comme des antisémites alors qu’ils ne le sont pas. Ils n’ont fait que leur métier: énerver et être insolents, dérangeants et impertinents.
C.J.N.: Redoublez-vous de prudence quand vous faites une caricature sur le conflit israélo-palestinien?
Plantu: Un caricaturiste doit être vraiment très délicat quand il traite du complexe conflit israélo-palestinien. Moi, j’ai fait attention durant le dernier conflit à Gaza, auquel j’aurais pu consacrer tous les jours un dessin. C’est vrai que, comme beaucoup de gens, j’ai été choqué par ce conflit. Mais, face à certaines situations tragiques, comme celle qui sévit à Gaza, il faut savoir doser. J’ai fait les dessins que je devais faire et j’ai dit ce que j’avais à dire sur cette intervention militaire israélienne, qui me paraît disproportionnée entre des roquettes injustifiables lancées contre des civils israéliens -je dis bien “injustifiables”- et la réaction très musclée de l’armée israélienne. Dans le cas de ce conflit à Gaza, j’ai fait mes dessins un peu différemment que quand je fais des dessins sur la Tchétchénie. Des dessinateurs dans le monde arabe me reprochent parfois de faire preuve de “retenue” quand je fais des caricatures sur Israël.
C.J.N.: Croyez-vous vraiment à la “neutralité journalistique” quand on couvre le conflit israélo-palestinien?
Plantu: Je me bats pour qu’en France, en Europe, et aussi à Jérusalem et à Ramallah, les dessins que “Cartoonist for Peace” expose puissent critiquer l’armée israélienne, quand celle-ci commet des bavures, et aussi le Hamas, le Hezbollah ou Al-Qaïda.
En juin dernier, lors de la présentation de l’exposition de “Cartooning for Peace” à Ramallah -Michel Kichka qui était présent peut en témoigner-, des dessins israéliens avaient été “oubliés” -entre guillemets- par les organisateurs locaux palestiniens. Je les ai rajoutés et scotchés au mur pour montrer que ces caricatures étaient aussi présentes à Ramallah. Ça, c’est aussi notre travail. Je me fais taper sur les doigts par tout le monde, aussi bien par les Juifs que par les Musulmans. J’ai l’habitude. Mais, je ne changerai jamais ma ligne de conduite.
C.J.N.: Les caricatures antisémites et négationnistes sont légion dans la presse arabo-musulmane. “Cartooning for Peace” dénonce-t-il ces dérives injustifiables des dessinateurs de presse arabo-musulmans?
Plantu: A mes amis dessinateurs dans le monde arabe, je leur dis souvent: “Quand vous faites des dessins pour critiquer l’armée d’Israël, c’est votre droit le plus légitime. Par contre, quand vous critiquez Tsahal en dessinant des nez crochus ou des croix gammées nazies, pour nous, Européens, ça fait référence aux affiches antisémites placardées dans les années 30 et 40 en Allemagne, en France et en Europe. Des affiches abjectes qui pour nous, Européens, sont le symbole d’une Shoah annoncée, d’un massacre annoncé. Essayez de comprendre que quand vous faites ce type de dessins antisémites, c’est anti-productif car ceux-ci seront forcément ressentis en Israël et dans les pays occidentaux comme des dessins foncièrement judéophobes. Essayez d’être plus malins afin de ne pas tomber dans ce piège. C’est votre droit de critiquer Israël et son armée, mais essayez de faire des dessins qui soient virulents et non antisémites.”
C.J.N.: Aujourd’hui, le processus de paix israélo-palestinien est agonisant. Vous qui, un an avant la signature des accords de paix d’Oslo, aviez convaincu Yasser Arafat et Shimon Peres d’apposer leur signature dans une de vos caricatures sur le conflit entre Israël et la Palestine, désespérez-vous quand vous observez le tumultueux paysage moyen-oriental s’assombrir chaque jour un peu plus?
Plantu: Je ne désespère pas du tout. Si je me suis lancé avec Kofi Annan, qui est notre président d’honneur, dans l’aventure de “Cartooning for Peace”, c’est parce que je suis persuadé que grâce à nos dessins nous pouvons essayer de combattre l’antisémitisme et l’anti-islamisme dans le monde.
Quand j’étais enfant -j’avais alors dix ans-, une partie de ma famille était outrée quand j’allais en Allemagne. Mes proches me disaient: “Tu es fou, tu vas voir les bosch, tu ne te rends pas compte qu’il n’y a rien à attendre des Allemands, ils ont tué une bonne partie de notre famille”. Moi, j’allais en Allemagne parce que mes parents m’avaient dit d’y aller. Je me suis alors rendu compte que les jeunes Allemands tenaient un autre discours. Aujourd’hui, plus personne ne se pose la question quand un Français va à Berlin.
Malheureusement, en Israël et en Palestine, nous allons assister impavides à d’autres tragédies. La paix, ce n’est pas pour demain. Mais, je suis convaincu qu’elle arrivera tôt ou tard.
Quand le président palestinien, Mahmoud Abbas, prend sa plume et écrit à la famille d’Ariel Sharon pour lui dire qu’il est désolé pour l’accident de santé qui a terrassé l’ancien Premier ministre d’Israël, c’était inimaginable il y a vingt ans.
Aujourd’hui, une forte majorité d’Israéliens est favorable à la création d’un État palestinien indépendant. Et, la majorité des Palestiniens réalisent aussi, surtout après le drame de Gaza, que la paix avec Israël est la seule option réaliste. Surtout, ne désespérons pas!
In an interview, French editorial cartoonist Plantu talks about the upcoming UN-sponsored Cartooning for Peace exhibit to be held March 12 to 22 in Montreal and the political role that can be played by cartoonists.