Les principales organisations communautaires juives du Maroc ont condamné l’opération militaire menée récemment par Israël dans la bande de Gaza.
Serge Berdugo
Simon Lévy, secrétaire général de la Fondation du Patrimoine culturel judéo-marocain, a déclaré le 14 janvier dernier à l’Agence France Presse: “Nous exprimons notre horreur devant cette tuerie sans perspective ni justification, qui a fait près de 1000 morts à Gaza. La situation à Gaza est plus que déplorable. C’est horrible. Ce n’est pas comme ça que je vois le Judaïsme. J’espère que ce massacre prendra fin au plus vite”.
Deux semaines après le début de l’opération militaire “Plomb durci”, l’instance représentative officielle des quelque 4000 Juifs vivant au Maroc, le Conseil des communautés israélites du Maroc, a émis un communiqué officiel condamnant aussi l’intervention militaire de Tsahal à Gaza.
Ce communiqué a été diffusé par les principaux organes de presse marocains.
Voici le texte de ce communiqué:
“Le peuple marocain, y compris sa communauté juive, souffre profondément en prenant connaissance des nouvelles qui nous parviennent de Gaza. L’embrasement perdure depuis plus de deux semaines avec son horrible cortège de victimes civiles. Les images de ces enfants Palestiniens arrachés à la vie sont insoutenables. Cela est inadmissible et incompatible avec nos préceptes religieux. Depuis plus de deux semaines, les habitants de Gaza, cibles captives, croulent sous les bombes, les destructions multiples, le manque d’eau, de vivres et la mort.
L’énormité des moyens mis en œuvre par l’offensive israélienne sur la bande de Gaza ôte sa signification aux tirs de roquettes. Aucune solution juste et viable ne sera trouvée par la force.
Nous, Juifs marocains, sommes solidaires des victimes innocentes qui souffrent à Gaza et ailleurs. Nous sommes également inquiets pour la suite du processus indispensable qui devait depuis des années mener à la paix entre les enfants d’Abraham.
La communauté internationale réclame l’arrêt des hostilités et le retrait des troupes israéliennes. Le monde entier est parcouru de manifestations contre la guerre. Nous aussi disons: Non à la guerre!
Nous, Juifs marocains, participons des deux identités aujourd’hui en guerre. Au nom de ces identités soeurs, de notre histoire commune, nous lançons un appel, celui de l’espoir, aussi ténu soit-il, pour donner une chance à la paix.
Jusqu’à quand devrons-nous attendre l’avènement d’une paix dont le rêve a été brisé voici 15 ans par l’assassin de Yitzhak Rabin?”
Au cours d’une brève entrevue qu’il nous a accordée depuis Casablanca, Serge Berdugo, président du Conseil des communautés israélites du Maroc, nommé l’année dernière Ambassadeur itinérant du Maroc par le roi Mohammed VI, nous a expliqué les raisons qui ont motivé l’organisation qu’il préside à émettre ce communiqué.
Canadian Jewish News: Pourquoi le Conseil des communautés israélites du Maroc a-t-il décidé d’émettre publiquement un communiqué condamnant l’opération militaire menée récemment par Israël contre le Hamas à Gaza?
Serge Berdugo: Tout d’abord, je tiens à faire une mise au point importante. Le titre accompagnant ce communiqué de presse -“La communauté juive condamne l’intervention militaire à Gaza”- est faux. En tant que président de la communauté juive du Maroc, je ne me serais jamais permis d’écrire un tel titre. La communauté israélite du Maroc ne condamne rien. Nous avons simplement émis un communiqué de presse simple et précis, sans titre. Donc, je récuse totalement le mot “condamnation”. Si on lit ce communiqué avec beaucoup d’attention, on verra que nous avons été extrêmement équilibrés. On n’a pas pris de position, ni cité quoi que ce soit. On a tout simplement essayé d’être le plus humanitaire possible en jouant le rôle qui nous incombe, celui d’une communauté juive responsable.
C.J.N.: La communauté juive institutionnelle du Maroc a-t-elle subi des pressions de la part des autorités politiques de Rabat ou de groupes de la société civile marocaine pour qu’elle émette ce communiqué?
S. Berdugo: Nous n’avons subi aucune pression. Je tiens à vous rappeler que ce communiqué de presse a été rédigé et émis quinze jours après le déclenchement de l’opération militaire israélienne. S’il y avait eu une quelconque pression, je crois que ce communiqué aurait été émis bien avant.
Le problème qui se pose est très clair: vous ne pouvez pas vivre dans un pays à 99. 99% musulman et arabe, submergé par un flot d’informations sinistres et d’images d’une violence incroyable, voir tous les jours nos concitoyens musulmans bouleversés par la tragédie de Gaza, et rester inertes. Face à cette tragédie, les Juifs du Maroc ne pouvaient pas dire: “Nous ne sommes pas partie prenante dans ce conflit. Nous voulons rester en dehors de celui-ci”. C’est impossible! Personne ne nous a rien dit, ni rien demandé. Mais, au fur et à mesure du déroulement des événements, nous, Juifs du Maroc, nous sommes aperçus qu’il fallait qu’on dise quelque chose.
C.J.N.: Dans votre communiqué, vous ne faites pas allusion au Hamas, vous ne blâmez qu’Israël. Par ailleurs, vous ne mentionnez même pas le nom des villes israéliennes sur lesquelles s’abattent quotidiennement les roquettes lancées par le Hamas.
S. Berdugo: Nous avons dit quand même quelque chose à ce sujet, peut-être que nous l’avons dit de manière allusive: que “les moyens utilisés par Israël dans cette offensive militaire sur la bande de Gaza ôtaient sa signification aux tirs de roquettes du Hamas”. Nous ne voulions pas mettre dans ce communiqué le terme “disproportionné”.
En ce qui a trait aux villes israéliennes ciblées par ces roquettes, nous avons écrit que “nous sommes solidaires des victimes innocentes qui souffrent à Gaza et ailleurs”. Cet “ailleurs”, c’est où, selon vous? Ce n’est pas dans les rues de Cablanca! C’est à Sdérot, à Ashdod… C’est vrai, nous aurions pu être un peu plus explicites et écrire dans notre communiqué les noms de ces villes du Sud d’Israël.
C.J.N.: Ce nouveau conflit à Gaza a-t-il provoqué des tensions entre les Juifs et les Musulmans marocains?
S. Berdugo: Il y a eu pendant une semaine une tension naturelle, comme partout ailleurs. Ensuite, les choses sont rentrées dans l’ordre. Les écoles juives fonctionnent, tout fonctionne normalement. Il n’y a pas eu d’incidents majeurs qui puissent nous effrayer. La seule chose qu’on m’a rapportée, c’est qu’à la sortie d’une école, des gosses de 10 ou 12 ans auraient insulté un ou deux Juifs. Il n’y a rien eu d’autre. Nos relations avec nos concitoyens musulmans sont demeurées normales.
In an interview, Serge Berdugo, president of the council of Jewish communities of Morocco, talks about a press release in which Moroccan Jewish community leaders were critical of Israel’s actions during the recent war in Gaza.