Patricia Rimok est la première, et la seule, femme juive à occuper un poste de direction dans l’appareil politique québécois.
Nommée en 2003 présidente du Conseil des relations interculturelles du Québec par le gouvernement libéral de Jean Charest, elle vient d’être reconduite dans cette fonction pour un nouveau mandat de deux ans.
Patricia Rimok a une feuille de route politique très marquante. Avant sa nomination au Conseil des relations interculturelles du Québec, elle a occupé plusieurs fonctions politiques importantes: directrice de cabinet de l’ancienne ministre de l’Immigration et des Relations avec les Citoyens, Michelle Courchesne; directrice de la Commission des Communautés culturelles et du Département des Affaires interculturelles du Parti libéral du Québec; conseillère politique de l’ancien maire de Montréal, Pierre Bourque…
Patricia Rimok nous a accordé une entrevue récemment.
Canadian Jewish News: Quels sont les principaux mandats du Conseil des relations interculturelles du Québec?
Patricia Rimok: Créé en 1984, le principal mandat du Conseil des relations interculturelles est de faire des recommandations au gouvernement du Québec sur des questions interculturelles prioritaires et, parfois, épineuses. Ces recommandations débouchent souvent sur l’adoption de politiques publiques qui ont pour but de favoriser l’insertion des nouveaux immigrants dans leur société d’accueil et dans le marché de l’emploi. Ces politiques visent aussi à favoriser la participation des Néo-Québécois à la vie civique. Nous essayons par le biais des relations interculturelles d’améliorer les perceptions négatives sur les immigrants qui ont pignon sur rue dans certains milieux de la société québécoise et de lutter contre les discriminations dont ces derniers peuvent être l’objet dans le marché du travail.
C.J.N.: Comment le Conseil des relations interculturelles du Québec a-t-il perçu les travaux de consultation menés l’année dernière par la Commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d’Accommodements raisonnables au Québec?
P. Rimok: Pour le Conseil des relations interculturelles, les audiences tenues par la Commission Bouchard-Taylor ont été un moment à la fois fort et difficile. Fort, parce que c’était la première fois au Québec que le sujet de l’immigration était débattu très ouvertement sur la place publique. Ces débats ont eu un impact considérable en termes médiatiques. Difficile, parce qu’on a eu droit aussi au revers de la médaille, c’est-à-dire à des opinions peu reluisantes qui ont renforcé des stéréotypes et des a priori pernicieux sur les immigrants. Des propos frôlant souvent le racisme qui ont profondément choqué des groupes minoritaires, qui se sentaient déjà particulièrement ostracisés.
C.J.N.: Les principales recommandations formulées par la Commission Bouchard-Taylor ont-elles été mises en oeuvre par le gouvernement Charest ou sont-elles demeurées lettre morte?
P. Rimok: Il est évident que les recommandations formulées dans le rapport final de la Commission Bouchard-Taylor ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd! Le programme politique du gouvernement de Jean Charest, dont les grandes lignes ont été explicitées au cours de la dernière campagne électorale, a intégré plusieurs des recommandations faites par Gérard Bouchard et Charles Taylor dans leur rapport final, notamment celles ayant trait à la question de la discrimination et du racisme. Ce qui est intéressant, c’est que la mise en oeuvre de ces recommandations ne sera pas l’apanage exclusif du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec. Celles-ci auront une portée transversale. L’ensemble des ministères et des organismes de l’État québécois seront amenés à prendre en compte ces recommandations spécifiques et à essayer de les appliquer en fonction de leur potentiel d’action. Ça, c’est la preuve que l’État québécois est de plus en plus sensible à la question de la pluralité culturelle.
C.J.N.: En ces temps ardus de conflit entre Israël et les Palestiniens, le Conseil des relations interculturelles a-t-il pris des initiatives ou des mesures spécifiques pour favoriser le dialogue entre la Communauté juive et la Communauté arabo-musulmane du Québec?
P. Rimok: La mission du Conseil des relations interculturelles se concentre surtout sur les politiques et les programmes que le gouvernement met en place pour favoriser l’intégration sociale des nouveaux immigrants et des minorités culturelles. Ces programmes visant à favoriser l’intégration sociale mettent beaucoup l’emphase sur les relations interculturelles. Cette approche est basée sur un rapprochement interculturel avec la société d’accueil. Celle-ci doit favoriser des tribunes pour s’assurer que ce rapprochement interculturel se fait. Donc, les relations intercommunautés sont moins claires dans les programmes et les services offerts par le gouvernement du Québec. Par contre, certaines Communautés culturelles ont établi au fil des années un dialogue assidu et développé des relations respectueuses. C’est le cas de la Communauté juive institutionnelle et de plusieurs organismes de la Communauté arabo-musulmane. La poursuite de ce dialogue est prioritaire, surtout quand il y a un conflit entre Israël et la Palestine.
C.J.N.: Vous êtes la seule femme juive et sépharade à occuper un poste de direction dans l’appareil politique québécois. Déplorez-vous que les Juifs, surtout les jeunes, s’impliquent peu au niveau politique?
P. Rimok: Bien sûr que je le déplore. Les partis politiques au Québec sont à la recherche de candidats au profil socioprofessionnel intéressant, qui ont des choses à apporter à la vie politique. Par exemple, le Parti libéral du Québec est toujours à la recherche de professionnels qui ont réussi dans leur milieu d’activité et qui peuvent apporter au parti leur expertise et leurs connaissances dans plusieurs domaines.
Si des personnes motivées veulent contribuer directement à la vie politique et ont des choses à faire valoir, c’est une très bonne tribune pour le faire. C’est là où ont lieu les grands débats de société. La Communauté juive, surtout la Sépharade, n’est pas très active dans l’arène politique. Il faudrait encourager les jeunes Juifs à s’impliquer davantage au niveau politique. Il y a des Sépharades qui viennent me voir au bureau avec des idées extraordinaires, qu’on essaye de cheminer. Je me dis que peut-être parmi ces Sépharades il y aura quelques-uns qui auront envie un jour de faire le saut en politique active.
C.J.N.: Quel est le plus grand défi que vous devez relever aujourd’hui dans le cadre de vos fonctions professionnelles?
P. Rimok: Le plus grand défi du Conseil des relations interculturelles est de trouver les outils et les mécanismes pertinents pour que les politiques et les programmes mis en oeuvre par le gouvernement favorisent le rapprochement entre les diverses Communautés culturelles qui cohabitent au Québec afin de renforcer la cohésion sociale. C’est un très grand défi pas seulement pour le Québec, mais pour tous les pays occidentaux. Les nouvelles populations immigrantes posent des défis très importants aux sociétés qui les accueillent parce que nous vivons actuellement une période de grandes turbulences et mutations au niveau économique, sociopolitique et géopolitique. Aujourd’hui, nous accueillons une diversité de cultures qui viennent d’horizons très divers. Les institutions gouvernementales et sociales doivent s’adapter à cette diversité culturelle de plus en plus importante.
C.J.N.: Comment les autres Communautés culturelles québécoises perçoivent-elles la Communauté juive?
P. Rimok: La Communauté juive du Québec est considérée comme un modèle remarquable par les Communautés qui se sont établies au Québec beaucoup plus tard que la Communauté juive. La Communauté juive a développé au fil du temps une expertise éprouvée dans le domaine de l’intégration sociale. Les nouvelles Communautés immigrantes n’ont pas les mêmes besoins, ni les mêmes objectifs, qui étaient ceux de la Communauté juive quand elle a commencé à bâtir ses premières institutions. Les temps ont beaucoup changé. Le modèle communautaire juif est un formidable cadre de référence mais, aujourd’hui, chaque Communauté culturelle doit innover et trouver de nouvelles voies pour mieux s’intégrer dans la société québécoise.
C.J.N.: Vous avez présidé récemment une table ronde interculturelle féminine, organisée par les Femmes juives francophones de Montréal. Ce type de rencontres interculturelles est fort prometteur.
P. Rimok: Absolument. Je tiens à féliciter le regroupement des Femmes juives francophones pour leur excellente et très prometteuse initiative. Il ne faudrait pas que ce type de rencontres interculturelles soient ponctuelles. Il faudrait les organiser régulièrement. Pour les femmes des Communautés culturelles, ce sont de très bonnes tribunes pour dialoguer et partager des expériences et des parcours de vie. Les itinéraires de ces femmes sont différents mais les défis et les problèmes auxquels elles font face sont souvent similaires. Les voix de ces femmes doivent se faire entendre.
In an interview, Patricia Rimok, who was recently re-appointed as president of the Conseil des relations interculturelles du Québec, talks about the role of immigrant and cultural communities in Quebec.