Le grand dilemme des Arabes d’Israël

“Si vous connaissez bien les Arabes israéliens, vous vous rendrez vite compte qu’en réalité ce sont des gens totalement schizophrènes.

Michel Gurfinkiel 

Il y a une partie de leur être qui vit pleinement dans une société de type occidental, démocratique et développé et une autre partie de leur être qui exècre cette même société où ils jouissent de nombreux droits civiques et politiques. C’est vrai qu’autrefois, il y a fort longtemps, les Arabes israéliens ont subi un certain nombre de discriminations qui peuvent s’expliquer par un état de guerre. Mais force est de constater que ces discriminations ont été combattues et ne sont plus qu’un souvenir qui aujourd’hui s’efface devant des formes de discriminations positives.”

Spécialiste reconnu des questions politiques moyen-orientales et géopolitiques internationales, le journaliste et essayiste franco-israélien Michel Gurfinkiel, rédacteur en chef de la revue d’analyses politiques et économiques Valeurs Actuelles, ne fait pas dans la dentelle lorsqu’il livre ses réflexions sur le statut de la minorité arabe d’Israël.

Michel Gurfinkiel est l’auteur de plusieurs livres remarqués, dont un excellent essai d’analyse sur le conflit israélo-arabe, La cuisson du homard, un livre retraçant l’épopée de l’Histoire de l’État d’Israël, Le roman d’Israël, et une biographie d’Ariel Sharon, Le Testament d’Ariel Sharon.

Selon cet analyste averti des questions politiques israéliennes, les Arabes israéliens sont culturellement et socialement totalement intégrés à l’État Israël. Ils constituent aujourd’hui, selon les universités, entre 15 et 25% des étudiants universitaires israéliens. Dans les principaux hôpitaux d’Israël, 20% du personnel médical sont des Arabes. Il y a un certain nombre d’écrivains Arabes israéliens qui écrivent directement en hébreu…

“Voilà donc la réalité sur le terrain”, lance à brûle-pourpoint en entrevue Michel Gurfinkiel.

Mais, ajoute-t-il, le grand drame des Communautés arabes, en Israël comme dans les contrées arabo-islamiques, c’est qu’elles vivent encore dans le le système traditionnel moyen-oriental du clan, de la tribu.

“Les Arabes israéliens vivent sous un régime d’ochlocratie -c’est-à dire que la collectivité l’emporte sur l’individu. Dans une société ochlocratique, un individu ne peut pas avoir une opinion personnelle. En Israël, à l’exception d’une minorité qui vote pour les partis traditionnels israéliens, la majorité des Arabes n’ont pas d’autre choix, comme leur collectivité le leur demande, que de voter pour des partis arabes de plus en plus extrémistes, selon la dérive du mieux disant idéologique. Cette logique a conduit à un grand drame: l’importance, qui ne cesse de croître, des partis extrémistes dans la Communauté arabe israélienne.”

D’après Michel Gurfinkiel, cette situation sociopolitique “des plus sordides” contraint les Arabes israéliens à recourir souvent à la force lorsqu’ils doivent composer avec les contentieux qui les opposent à leurs principaux adversaires, en l’occurrence l’État d’Israël.

“Dans les sociétés arabes, l’individu est obligé de se conformer aux désirs et aux voeux formulés par la famille, le clan ou la tribu auquel il appartient. Tout se joue en réalité sur des rapports de force. C’est-à-dire que quand une famille ou un clan a le sentiment d’être en situation de force, il va user de cette force jusqu’aux dernières limites possibles. Par contre, quand la famille ou le clan en question a le sentiment de ne pas avoir de force, il va alors accepter ce que lui dicte autrui, se soumettre et jouer un autre jeu. Le drame du Moyen-Orient, c’est que cette région ne raisonne qu’en termes de force.”

Selon Michel Gurfinkiel, ceux qui blâment aujourd’hui l’administration de George Bush d’avoir mené “une politique inepte et totalement improductive” au Moyen-Orient commettent “une grossière erreur de jugement”.

“On a dit que l’administration Bush a échoué dans sa guerre en Irak et dans sa guerre en Afghanistan. Ceux qui affirment ça, et qui sont généralement les gens qui ont tout fait pour contribuer à l’échec qu’ils dénoncent, ont totalement oublié que dans sa première phase, quand la politique de l’administration Bush était couronnée de succès, cela avait eu des conséquences énormes, positives et libératrices dans le monde arabo-musulman”.

Les contempteurs des politiques mises en oeuvre par George Bush au Moyen-Orient, ajoute Michel Gurfinkiel, oublient qu’après la chute des Talibans et celle de Saddam Hussein en Irak, Moammar Khadafi, de sa propre initiative, a décidé de renoncer à ses armes de destruction massive. Ils oublient aussi qu’à la même époque la Syrie s’était retirée du Liban, que l’Égypte et l’Arabie Saoudite ont commencé à s’engager dans des processus électoraux…

“Les détracteurs de George Bush -ils sont légion par les temps qui courent- ont oublié aussi complètement le résultat positif d’un rapport de force favorable à la liberté, qui a été introduit au Moyen-Orient par la politique menée par l’administration Bush” , note Michel Gurfinkiel.

Selon le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles, la position très controversée -“loyauté versus citoyenneté”- défendue par l’actuel ministre des Affaires étrangères de l’État d’Israël, Avigdor Lieberman, pour régler définitivement “le dilemme identitaire” auquel les Arabes israéliens sont confrontés est “plausible, pragmatique et très réaliste”.

“La démarche d’Avigdor Lieberman nous fait prendre conscience d’un problème grave et apporte une solution qui me paraît tout à fait normale et raisonnable. En effet, si une région d’Israël est composée à 90% d’Arabes qui ne veulent pas de l’État d’Israël, je ne vois pas au nom de quoi ces gens seraient forcés à rester Israéliens. Je ne vois pas au nom de quoi ces citoyens rebelles ne rejoindraient pas l’État palestinien dont ils se réclament ardemment. La proposition de Lieberman n’est pas du tout raciste mais reflète au contraire une volonté de trouver des solutions viables.

Ce que dit Avigdor Lieberman, explique Michel Gurfinkiel, c’est simplement que dans le Moyen-Orient tel qu’il est, c’est absurde de vouloir créer un État viable autrement que sur une nation. Ce qu’il dit, c’est qu’une fois qu’on a accepté ce pincipe, les Palestiniens ont droit aussi à un État.

“Avigdor Lieberman est partisan de la création d’un État palestinien. Ce qui le distingue très nettement et très clairement d’une grande partie de la droite israélienne. Il est beaucoup plus à gauche sur ce plan qu’une grande partie de la droite israélienne.”

Le problème tel qu’exposé par Avigdor Lieberman est simple, estime Michel Gurfinkiel: un certain nombre de citoyens israéliens sont non seulement Arabes, ce qui ne pose en soi aucun problème, mais ils affichent le refus de l’État d’Israël dont ils sont citoyens, où ils votent et élisent des députés.

“Pour Avigdor Lieberman, cette situation, qui est tout simplement inacceptable, n’est acceptée par aucun autre pays au monde, à l’exception de l’État d’Israël. Imaginez simplement, je vous pose la question en tant que Canadien, qu’un parti militant au Québec prône sans ambages la disparition de la nation canadienne. Ce parti serait-il légal? À mon avis, non. C’est une position extrémiste similaire que défendent aujourd’hui fougueusement ce qu’on appelle “les partis arabes israéliens”. C’est une mauvaise expression parce que ces partis extrémistes, qui recrutent leurs membres au sein de la Communauté arabe israélienne, ne représentent pas du tout l’ensemble des Arabes israéliens”.

La proposition formulée par Avigdor Lieberman pour résoudre ce problème identitaire, existentiel et politique est “claire comme l’eau de roche”, renchérit Michel Gurfinkiel.

Le chef d’Israël Beitenou préconise la solution suivante: il y a une population qui vit dans l’État d’Israël mais qui ne se reconnaît pas dans cet État. La seule solution logique, qui ne demande pas d’épuration ethnique, ni de transfert de population, c’est une solution extrêmement simple: que l’État d’Israël redessine ses frontières de telle manière que les gros centres où vit la population arabe qui ne veut pas de l’État d’Israël soient sous la houlette du futur État palestinien et non plus sous la juridiction de l’État d’Israël.

Par exemple, rappelle Michel Gurfinkiel, en ce qui a trait à la région de Jérusalem, Avigdor Lieberman est partisan de restituer à un futur État palestinien les zones à très forte population arabe. En Galilée, il préconise qu’une région appelée “le triangle”, constituée à 90% d’Arabes, passe sous le contrôle du futur État palestinien.

“Avigdor Lieberman demande tout simplement aux citoyens Arabes qui souhaitent vivre dans l’État  d’Israël de manifester leur loyauté vis-à-vis de cet État. C’est une demande très simple qui est implicite dans n’importe quel État démocratique. Quand on devient Canadien ne doit-on pas prêter serment de fidélité à la reine d’Angleterre? Aux États-Unis, quand on devient citoyen américain, on prête aussi serment de fidélité à la nation américaine. Les enfants qui naissent aux États-Unis n’ont pas à prêter ce serment de fidélité mais ils récitent tous les matins par coeur le texte de ce serment d’allégeance -The pledge of allegiance- dans les écoles. À partir du moment où nous sommes dans un régime démocratique, moi, je trouve qu’il n’y a absolument rien de scandaleux à ce qu’on demande aussi à tous les Israéliens de prêter serment de fidélité à l’État duquel ils sont citoyens”, conclut Michel Gurfinkiel.

In an interview, French journalist and author Michel Gurfinkiel talks about some issues that arise with regard to Arab Israelis.