‘Le discours islamiste est très antisémite’

L’antisémitisme est l’un des principaux credos de la doctrine islamiste, rappelle le politologue et essayiste musulman marocain Fouad Laroui dans un essai brillant et très audacieux, De l’islamisme. Une réfutation personnelle du totalitarisme religieux (Éditions Robert Laffont).

Né à Oujda en 1958, Fouad Laroui est l’un des plus importants intellectuels marocains. Il est l’auteur de plusieurs essais politiques et romans encensés par la critique, dont Tu n’as rien compris à Hassan II (Éditions Julliard).Il vit depuis 1990 en Hollande. Docteur en Sciences économiques, il enseigne l’Économétrie et les Sciences de l’Environnement à l’Université d’Amsterdam. Entretien.

Canadian Jewish News: Vous rappelez dans votre livre, nombreux exemples à l’appui, que l’antisémitisme est l’une des composantes majeures de la doctrine des islamistes.

Fouad Laroui: C’est vrai. Le discours fondamentaliste islamiste est extrêmement déplaisant, agressif et très antisémite. L’antisémitisme est au cœur du fondamentalisme islamique. C’est n’est pas un secret de polichinelle! La judéophobie débridée des islamistes est la résultante d’une lecture récurrente de l’histoire de l’islam.

Les islamistes ne font aucune différence entre des événements historiques qui ont eu lieu il y a 1400 ans et ceux qui sont en cours aujourd’hui.

Quand le Coran est apparu au VIIe siècle, il y avait dans la péninsule arabique beaucoup de tribus juives, en particulier à Médine. Quand le Prophète Mahomet s’est établi à Médine en l’an 622, après avoir quitté la Mecque, il a trouvé trois tribus juives. Au début, il s’entendait très bien avec elles, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les grands thèmes de l’islam sont exactement les mêmes thèmes que ceux de la religion juive, en l’occurrence de l’Ancien Testament. Mais, à un certain moment, il y a eu un problème politique entre Mahomet et les leaders de ces tribus juives. Ce différend a été traduit dans le Coran par des versets très amers envers les Juifs. Le Coran parle d’événements qui ont eu lieu il y a 1400 ans, quand trois tribus juives de Médine ont refusé d’aider Mahomet durant les conflits qui l’ont opposé à la tribu de Koreich de la Mecque.

Ce que je reproche aux islamistes, c’est qu’ils ne voient pas que des événements qui se sont produits il y a 1400 ans, même s’ils ont été consignés par écrit dans le Coran, ne devraient pas être utilisés pour “contextualiser” les événements qui ont lieu en ce début du XXIe siècle. Or, ces fous d’Allah continuent à citer les mêmes versets du Coran, relatant la situation qui prévalait à Médine il y a 1400 ans, à l’époque où il y avait trois tribus juives dans cette ville. Aujourd’hui, il n’y a plus de Juifs à Médine. On peut donc considérer que ces versets coraniques appartiennent à l’Histoire. Les islamistes ont un problème avec l’Histoire. Pour eux, hier c’était demain, demain c’est aujourd’hui. Ils considèrent que ce qui s’est passé il y a 1400 ans, c’est encore pertinent aujourd’hui. Le discours antisémite est au cœur de leur pensée parce qu’ils n’arrivent pas à se libérer de l’emprise de l’Histoire.

C.J.N.: Selon vous, le discours des fondamentalistes islamistes et le discours des fondamentalistes juifs ont le même but: “diviniser” un conflit politique et territorial.

F. Laroui: Il faut voir qu’on est en présence d’un discours religieux contre un autre discours religieux. Les leaders des colonies de peuplement juives sises en Cisjordanie et les leaders du Hamas claironnent le même discours maximaliste: “Cette Terre nous appartient parce que Dieu nous l’a attribuée.” À mes yeux, ce discours n’a aucun sens parce que c’est une rhétorique inepte où on met Dieu contre Dieu. Ce n’est pas avec ce dialecte regorgeant de religiosité qu’on résoudra le problème israélo-arabe. Ce vieux contentieux ne pourra être résolu que quand il y aura des gens, aussi bien en Israël qu’en Palestine, qui laisseront de côté l’aspect religieux de cet imbroglio.

Quand dans les deux camps antagonistes des gens sérieux et réalistes ont laissé de côté Dieu pour s’occuper sérieusement des problèmes politiques, les choses ont progressé. Par exemple, quand des Israéliens et des Palestiniens, défendant une idéologie séculaire, ont concocté la Déclaration de Genève, les espoirs de paix ont marqué des points. Dès qu’on laisse la parole à ceux qui basent tout sur le Coran ou sur l’Ancien Testament, on ne peut pas s’en sortir. Nous devons être réalistes. Ce n’est pas avec les discours extrémistes du Hamas et du Goush Émounim que ce conflit sera réglé. Tous ceux qui en Palestine et en Israël utilisent Dieu à mauvais escient et à tout propos sabordent tous les espoirs de parvenir un jour à une paix juste. Ce n’est qu’en laissant Dieu hors de ce problème, qu’on pourra un jour le résoudre.

C.J.N.: D’après vous, le discours des fondamentalistes islamistes est une imposture qui dénature l’essence de l’islam.

F. Laroui: Absolument, c’est une imposture parce que c’est un discours extrêmement simpliste. Malheureusement, il est plus facile d’entendre un discours simpliste que d’entendre un discours plus nuancé, plus difficile à comprendre, qu’on n’entend plus aujourd’hui parce que beaucoup de Musulmans préfèrent écouter un discours simpliste. Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a beaucoup d’ignorance dans le monde arabo-musulman. Il suffit de jeter un coup d’oeil au classement annuel établi par les Nations Unies sur l’indice du Développement humain pour constater que c’est dans le monde arabo-islamique que l’on retrouve le plus haut taux d’analphabétisme de la planète. C’est aussi dans le monde arabo-musulman que les sciences fondamentales, les sciences sociales, la philosophie, la sociologie… sont le moins enseignées. Donc, dans cette espèce de désert intellectuel, un discours très simpliste, comme celui qui est martelé inlassablement par les islamistes, est beaucoup plus facile à entendre qu’un discours plus élaboré.

C.J.N.: Dans le monde arabo-musulman, l’islamisme ne se nourrit-il pas du terreau de la misère et des inégalités socio-économiques, qui ne cessent de s’aggraver dans ces contrées?

F. Laroui: Vous avez entièrement raison. L’islamisme est une réaction à une situation dans laquelle les citoyens dans le monde arabe ne sont pas satisfaits. Or, quand on regarde les problèmes du monde arabe, ce ne sont pas des problèmes ponctuels qui peuvent être résolus à court terme. Il sévit aujourd’hui dans cette région du monde un grave problème de développement humain. Dans les pays arabes, il y a des centaines de millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Même en Arabie Saoudite, qui génère pourtant quotidiennement des milliards de dollars grâce à la rente pétrolière, on n’arrive pas à trouver du travail à tous les jeunes. Alors que dans la majorité des pays arabes il y a une pénurie d’eau potable et des carences alimentaires, la démographie est galopante. On continue à faire des enfants sans se soucier de ces contraintes socio-économiques. C’est une aberration! Aujourd’hui, les Arabes paient le prix de cette insouciance ou de cette volonté de ne pas voir les problèmes. Ils continuent à se dire: “Bof, on s’en fout, Dieu arrangera tout ça!” Il y a dans les monde arabe un problème économique de fond, un problème d’éducation de fond, un problème de travail de fond, un problème de ressources de fond… Ce qui veut dire que pendant encore dix, vingt, trente, quarante ans… il y aura dans ces pays des millions d’insatisfaits. Le problème des insatisfaits, c’est que quand on leur donne clé en main une idéologie aussi simpliste que l’islamisme, qui consiste à dire: “C’est la faute à tout le monde sauf à moi!”, une idéologie qui “explique” leurs échecs, leur manque de perspective, malheureusement, ces derniers s’agrippent désespérément à cette idéologie trompeuse.

C. J.N.: Plusieurs intellectuels musulmans résidant en Occident croient résolument à l’émergence d’un islam des Lumières. Un islam progressiste et tolérant n’est-il pas un voeu chimérique dans un monde arabo-musulman où l’islamisme radical ne cesse de gagner du terrain?

F. Laroui: Je vous répondrais avec ma devise préférée, celle du célèbre théoricien politique italien Antonio Gramsci: “Pessimisme de l’intellect, mais optimisme de la volonté.”

Effectivement, je suis pessimiste quand je regarde le fond des choses, mais je reste optimiste parce qu’en réalité ce qu’on appelle l’islam des Lumières a déjà existé. La tradition de cohabitation entre les Juifs et les Musulmans au Moyen-Âge est la preuve la plus patente de l’existence de cet islam porteur de promesses et d’avenir. On avait Maïmonide, Ibn Maimoun, Averroès, Ibn Rushd… Ces grands esprits avaient une vision des Lumières à l’échelle de leur époque. Ils avaient une vision éclairée de la religion, de sa place dans la vie. On a déjà eu dans l’islam plusieurs phases de Lumière, toujours en relation avec l’époque. À Bagdad au 9e siècle, en Andalousie à l’époque de l’Âge d’Or… Donc, un islam des Lumières, ce n’est pas quelque chose d’impossible. Un islam sécularisé n’est pas impossible non plus.

Personnellement, je préfère un islam des individus, c’est-à-dire un islam où la religion n’est pas sur la place publique. Dans l’espace public, il ne doit y avoir que des rapports citoyens. Ça, c’est ma vision de l’islam. Cette vision a existé en Turquie dans les années 40, 50, 60 et même 70. L’islam était une question individuelle, sur la place publique il n’y avait que des citoyens Turcs. Donc, l’islam des Lumières n’est pas un projet chimérique. Mais, au vu des problèmes économiques, sociaux et culturels qui sévissent aujourd’hui dans le monde arabe, il est difficile d’imaginer pour l’instant l’avènement d’un tel islam. Tant que ces problèmes majeurs ne seront pas résolus, ou tout du moins atténués, on ne pourra sérieusement envisager, tout du moins à court terme, l’apparition dans le monde arabo-musulman d’un islam de l’individu, des Lumières. Mais, il ne faut pas désespérer!

In an interview, Moroccan Muslim intellectual Fouad Laroui, who is a professor at the University of Amsterdam, explains what he sees as the problems with Islamist thought.