Annick de Souzenelle est indéniablement l’une des meilleures spécia-listes chrétiennes des textes sacrés juifs.
Auteure prolifique, connue internationalement pour sa contribution particulière à une relecture contemporaine des textes bibliques, Annick de Sou-ze-nelle, dont la recherche pour comprendre la quête de sens des individus et des collectivités l’a amenée à approfondir la source des grandes croyances de l’humanité, a produit une oeuvre très importante, traduite dans plusieurs langues -la plupart de ses livres ont été publiés aux Éditions Albin Michel. Parmi ses essais de réflexion les plus remarqués: Symbolisme du corps humain; Alliance de feu; Le Féminin de l’Être; Job sur le chemin de la Lumière; La parole au coeur du corps…
Le cheminement de cette exégète, aujourd’hui octogénaire, évoque une traversée progressive des apparences à la manière dont l’herméneutique talmu-dique, la tradition juive de l’interprétation, nous enseigne qu’aucune lecture ne saurait atteindre la signification dernière de la Torah, qu’aucune exégèse ne peut clore le travail du Midrash, l’“en-quête in-fi-nie” dont le texte est l’objet. Descendre dans le texte comme on descend dans sa vie selon soixante-dix niveaux de lecture, rien de moins, méthode que les Rabbins synthétisent à travers les quatre lettres du mot ParDèS (le verger): Pshat pour le sens littéral; Remez pour le sens allusif; Drash pour l’exégèse et Sod pour le sens secret ou mystique. Descendre dans les eaux et une fois dans les eaux, chercher les eaux intérieures et descendre plus profond encore.
Toute enquête commence par une révolte. Annick de Souzenelle rejeta le moralisme de son époque, le corset d’une tradition catholique qu’aucun enseignement ne vint adoucir. Sa foi est vivace mais ne peut s’exprimer dans aucune pratique.
“Depuis ma petite enfance, je suis à la recherche du sens. Enfant, ce qui m’a véritablement marquée, c’est l’absurde de la vie, l’absurde du monde. Née après l’effroyable guerre de 1914-1918, j’ai vite pris conscience de l’absurdité indicible qui régnait dans le monde catholique où j’ai grandi. À l’âge de 20 ans, je me suis éloignée de ma famille catholique romaine parce que le catholicisme ne m’apportait pas du tout le message que je chantais dans les Évangiles. J’ai quitté alors définitivement l’Église romaine. J’ai cherché partout une autre voie: chez les Protestants, dans le marxisme… J’ai renoué véritablement avec mes racines chrétiennes le jour où j’ai commencé à apprendre l’hébreu. Le Christ parlait l’hébreu. J’ai appris alors la langue des Prophètes d’Israël, les lettres hébraïques, un peu de Kabbale… J’ai surtout appris l’esprit des lettres hébraïques. J’ai beaucoup travaillé avec le ParDèS. J’ai compris alors qu’il y avait plusieurs niveaux de lecture dans le message biblique. Tout d’un coup, je me suis aperçue que ce que disait mon professeur de théologie et ce que disait mon professeur d’hébreu étaient dans une résonance étonnante. J’étais absolument bouleversée”, raconte en entrevue Annick de Souzenelle, que nous avons rencontrée lors de son dernier passage à Montréal.
À la fin des années 60, cette infirmière-anesthésiste de profession est fortement captivée par les commentaires des textes toraniques du Rabbin Emmanuel Levyne, auprès de qui elle apprend l’hébreu et fait l’acquisition des structures fondamentales de la Kabbale dans l’approche du symbolisme des lettres hébraïques. À cela s’ajoute sa découverte de la psychanalyse et de la psychologie des profondeurs, qui semblent venir corroborer un enseignement qui puise aux sources mêmes où les exé-gèses juive et chrétienne trouvent leur origine.
“Je crois que Jung, intuitivement, et par expérience, par une connaissance de ses propres profondeurs, a retrouvé cette connaissance de l’Homme telle qu’on peut la comprendre dans une lecture hébraïque des trois premiers chapitres de la Genèse”, dit-elle.
Mais Jung ne connaissait pas l’hébreu. Pas plus que les Pères de l’Église. Or, selon Annick de Souzenelle, c’est l’ignorance progressive de l’hébreu qui est la cause des plus grossières confusions dans la restitution du message de la Torah à travers le travail de traduction.
“Dès lors que le grec, porteur d’une logique aristotélicienne dualiste, a supplanté l’hébreu, une partie essentielle du message biblique a été perdue, dit-elle. Peut-on percevoir quelque chose encore de la “voix” de Jésus à travers les traductions que nous avons aujourd’hui des Évangiles chrétiens? Première certitude: les Évangiles nous ont été transmis en grec mais c’est en araméen que Jésus s’expri-mait et c’est sur le premier Testament, rédigé dans la langue de la Syna-gogue, c’est-à-dire l’hébreu, qu’il fondait son enseignement. Il peut paraître audacieux, voire peu scientifique, que j’aie recours à l’hébreu pour entendre les paroles évangéliques. Je ne suis pas philologue et n’ai aucune prétention à en faire oeuvre. Je m’attache seulement à l’unique esprit qui préside aux discours divins.”
Quel regard Annick de Souzenelle porte-t-elle sur l’état actuel des relations entre Juifs et Chrétiens?
“Juifs et Chrétiens doivent être avant tout fidèles à l’esprit du Verbe. Comment y parvenir? En rapprochant dans un même face-à-face nuptial les deux Testaments. Aujourd’hui, surtout en Europe, il y a beaucoup de Communautés juives et chrétiennes qui essayent vraiment de se comprendre, voire de prier ensemble. Beaucoup de Chrétiens apprennent l’hébreu pour essayer de se rapprocher de la tradition juive. Des Juifs et des Chrétiens réfléchissent ensemble sur des textes bibliques. Les Chrétiens ont la prétention d’avoir le Christ et les Juifs d’avoir la Torah. Je crois que quand les uns et les autres sortiront de l’“avoir” et iront vers l’être, Juifs et Chrétiens se retrouveront beaucoup plus. Malheureusement, on est dans des catégories qui sont uniquement extérieures, qui nous coupent les uns des autres. Mais, quand ils iront vers leurs intériorités respectives, Juifs et Chrétiens se retrouveront d’une façon un peu plus juste.”
In an interview, Annick de Souzenelle talks about how, as a Christian, she came to specialize in analysis of Jewish texts.