L’opération militaire menée par Israël dans la bande de Gaza depuis le 27 décembre dernier a-t-elle pour but de détruire les infrastructures militaires du Hamas ou d’évincer le régime politique autocratique instauré à Gaza par cette organisation islamiste terroriste?
Le politologue israélien Ilan Greilsammer, professeur à l’Université Bar-Ilan de Ramat-Gan, nous a livré au cours d’une entrevue son analyse sur ce nouveau conflit.
Canadian Jewish News: Depuis huit ans, des villes du Sud d’Israël sont la cible des roquettes lancées quasi quotidiennement à partir de Gaza par les miliciens du Hamas. De nombreux spécialistes des questions politiques moyen-orientales, dont des analystes politiques et des journalistes israéliens, affirment que le timing du déclenchement de l’opération militaire en cours à Gaza a été déterminé par des considérations purement électorales. Partagez-vous ce point de vue?
Ilan Greilsammer: L’opération militaire menée actuellement contre le Hamas dans la bande de Gaza n’a pas été une surprise pour les Israéliens. Cette opération a été rigoureusement planifiée il y a plusieurs mois. Il y a probablement un lien entre le moment choisi pour déclencher cette opération militaire et la date butoir des prochaines élections législatives israéliennes -le 10 février-, même si les protagonistes ne l’admettront pas bien sûr. Je ne pense pas que Tzipi Livni et Ehoud Barak reconnaîtront qu’il y a un lien causal entre le timing choisi pour lancer cette action militaire d’envergure et le calendrier électoral israélien.
C’est certain que cette opération militaire, fortement appuyée par une opinion publique très résolue à en découdre avec les terroristes du Hamas, donne des points à ceux qui l’ont planifiée et mise en branle. Le prestige de Tzipi Livni et d’Ehoud Barak a remonté, remonte et remontera du fait de cette opération, étant donné l’état d’esprit actuel de l’opinion publique israélienne. Chose certaine, à l’approche des élections du 10 février, cette opération militaire ne nuira ni à Kadima ni au Parti Travailliste.
C.J.N.: Cette opération militaire sera-t-elle longue?
I. Greilsammer: Le maintien du large consensus qui prévaut depuis le début de cette campagne militaire contre le Hamas ou son effritement dépendra de la suite de cette opération, de son succès ou de son échec. Nous avons encore en tête le désastreux cas de figure de la guerre au Liban de l’été 2006. Quand les Israéliens ont réalisé que l’opération militaire menée contre les milices du Hezbollah commençait à prendre une très mauvaise tournure après le pilonnage aérien intensif du Sud-Liban, on a vu apparaître des fractures au sein de l’opinion publique israélienne. Le consensus s’est très vite effiloché. Il est trop tôt pour formuler des conjectures sur l’issue de l’opération militaire en cours à Gaza.
Si Israël parvient à mettre un terme aux tirs de roquettes du Hamas, à libérer le soldat Gilad Schalit et à porter atteinte au pouvoir du Hamas à Gaza, je pense que cette offensive militaire se poursuivra au cours des prochaines semaines. Par contre, si au bout d’un certain laps de temps, qui ne sera pas très long, les Israéliens ne voient pas des résultats tangibles, je crois que le scénario délétère de la guerre du Liban de 2006 se reproduira.
C.J.N.: Est-ce réaliste de croire qu’on pourra dénouer ce conflit en tablant sur l’option militaire?
I. Greilsammer: Il n’y a pas de solution uniquement militaire, mais il n’y a pas non plus de solution uniquement diplomatique. La diplomatie est possible quand la partie d’en face sent qu’elle a intérêt à négocier car si elle ne le fait pas il risque d’y avoir des conséquences graves. En ce qui a trait à l’opération militaire menée actuellement
par Israël à Gaza, on ne pourra parler de réussite que si à un moment donné il est possible d’engager une négociation entre les deux parties et d’arriver à un résultat politique concret. La diplomatie et l’action militaire sont intimement liées. Ce sont deux types d’action qui se complètent. L’une ne peut pas exister sans l’autre.
C.J.N.: La diplomatie européenne est très active depuis le début de ce conflit. A-t-elle une chance de parvenir à convaincre Israël et le Hamas d’accepter une trêve?
I. Greilsammer: Je ne pense pas que l’Europe ait un poids politique suffisant pour imposer aux deux parties un cessez-le-feu. L’Europe peut être derrière les États-Unis pour soutenir une initiative diplomatique américaine et appuyer économiquement des solutions diplomatiques concoctées par Washington. Tout le monde est conscient que les États-Unis sont les seuls à pouvoir exercer des pression sur Israël et sur les Palestiniens. J’espère qu’une intervention diplomatique américaine aura lieu dès l’entrée en fonction de Barack Obama pour forcer les deux parties à se rapprocher.
C.J.N.: Cette campagne militaire menée par Tsahal à Gaza ne risque-t-elle pas de renforcer politiquement le Hamas et d’affaiblir considérablement l’Autorité Palestinienne?
I. Greilsammer: Oui. Depuis le début de ce nouveau conflit, l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas apparaît aux yeux de la majorité des Palestiniens comme les “collabos” d’Israël. La crédibilité de l’Autorité Palestinienne et de Mahmoud Abbas, qui était déjà très mal en point, a été nettement amoindrie par cette opération militaire. Le succès de celle-ci porterait atteinte à la force militaire de Hamas. Mais la force politique de cette organisation islamiste, dont les assises sont solidement implantées dans toute la société palestinienne, ne sera pas affaiblie pour autant. Israël ne pourra pas déloger le Hamas de l’arène politique et sociale palestinienne. Les seuls qui pourront le faire ce sont les Palestiniens. Or, pour le moment, ce scénario n’est pas très plausible.
C.J.N.: Depuis le début de ce conflit, un bon nombre d’éditorialistes, et aussi de diplomates, occidentaux, notamment européens, exhortent le gouvernement israélien à négocier avec ce qu’ils appellent “les éléments modérés” du Hamas. Parler de “frange modérée” au sein de cette organisation terroriste, n’est-ce pas une ineptie?
I. Greilsammer: En Occident, surtout en Europe, j’imagine que c’est le cas aussi au Canada, les journalistes et les opinions publiques sont enclins à trouver au sein des organisations terroristes islamistes des extrémistes et des modérés. On ne cesse de nous rabâcher qu’Ismael Aniyeh est un modéré et que Khaled Machal est un extrémiste. Dans le cas du Hamas ou du Hezbollah, je pense que ces distinctions sont tout à fait illusoires. En effet, on ne voit pas du tout aucune ligne de fracture entre les islamistes palestiniens qui seraient prêts à reconnaître Israël et ceux qui continuent à prôner la destruction de l’État juif. La ligne politique du Hamas est toujours la même depuis la fondation de cette organisation islamiste radicale: la non reconnaissance de l’État d’Israël, la non reconnaissance des accords signés par la Palestiniens avec Israël. Il n’y a eu aucun changement politique, ni idéologique, au sein du Hamas
C.J.N.: L’opération militaire menée par Tsahal à Gaza est un autre coup très dur porté au processus de paix israélo-palestinien, qui était déjà quasi moribond.
I. Greilsammer: Il faut amener les Palestiniens à la table de négociation. Il faut quand même rappeler que le Fatah, qui apparaît aujourd’hui comme l’aile modérée de la mouvance politique palestinienne, comme l’instance politique qu’Israël voudrait voir à la tête de l’Autorité Palestinienne, a, pendant de très longues années, nié l’existence de l’État d’Israël et refusé catégoriquement toute négociation avec l’“entité sioniste”. Il n’est donc pas impossible qu’une organisation terroriste résolue à annihiler l’État d’Israël évolue, comme l’a fait le Fatah. Je ne crois pas que le Hamas dans sa structure, sa direction politique et sa raideur idéologiques actuelles puisse évoluer. Mais tout est possible!
C.J.N.: Ce nouveau conflit n’est-il pas une autre preuve patente que le retrait d’Israël de Gaza en 2003 a été une grande erreur politique et stratégique?
I.Greilsammer: Ce n’est pas le désengagement par Israël de la bande Gaza qui est en cause aujourd’hui. Israël a eu tout à fait raison de se retirer entièrement de Gaza. Ce qui est en cause, c’est la façon dont ce désengagement a été mené à terme, c’est-à-dire le caractère unilatéral de ce retrait. Les Israéliens ont agi d’une manière irresponsable, comme l’individu qui s’en va et lance les clés de sa maison en l’air sans se demander qui les ramassera. Dans le cas de Gaza, c’est le Hamas qui a ramassé les clés. Israël aurait dû procéder d’une autre façon. Il fallait démanteler les colonies juives sises à Gaza. Mais avant de partir, nous devions nous assurer que l’Autorité Palestinienne serait en mesure d’exercer sa pleine autorité sur ce territoire. Israël a laissé le Hamas s’emparer entièrement de Gaza. Si à l’avenir Israël se retire, comme je l’espère, d’autres Territoires occupés, ça devra se faire en concertation, en négociation et en accord avec la partie d’en face.
C.J.N.: Comment les Israéliens composent-ils avec la myriade de critiques et de condamnations que cette opération militaire a suscitées dans le monde entier?
I. Greilsammer: Les Israéliens ne prêtent pas une grande attention aux critiques formulées par l’opinion publique internationale, surtout européenne. Par contre, ils sont très attentifs à ce que font et à ce que disent les États-Unis, et à ce que va dire et faire très bientôt Barack Obama dans l’épineux Dossier israélo-palestinien.
C.J.N.: L’opinion publique mondiale reproche sévèrement à Israël d’être indifférent à la grave crise humanitaire qui sévit à Gaza. Je suppose que ce grief moleste les Israéliens?
I. Greilsammer: Les Israéliens, et les Juifs en général, ont toujours été très sensibles à la mort de civils innocents. Mais lorsque les Juifs et Israël sentent qu’ils sont confrontés à un péril existentiel réel, où des forces comme l’Iran, un pays aux velleités nucléaires qui ne cesse de clamer qu’il faut rayer Israël de la carte du monde, le Hamas et le Hezbollah, deux organisations terroristes qui claironnent aussi que l’État juif sera détruit bientôt, les menacent à leur porte, il est certain que les considérations humanitaires et de sensibilité à la souffrance, à la faim et à la mort de l’Autre sont d’une certaine façon occultées par ce péril existentiel, que les Israéliens ressentent très fortement.
C’est la raison pour laquelle quelqu’un qui vit à Montréal ou à Paris, qui n’a strictement rien à craindre parce qu’il sait qu’il rentrera le soir sain et sauf chez lui, est profondément bouleversé quand il voit à la télévision ces images terribles en provenance de Gaza. En Israël, les gens sont aussi très touchés quand ils voient des Gazaouis déchiquetés. Mais, les Israéliens se disent que ces mêmes Palestiniens veulent la disparition d’Israël. Donc, ces considérations humanitaires sont d’une certaine façon compensées, ou occultées, par des considérations existentielles.
Israeli political scientist, Professor Ilan Greilsammer, talks about how Israel is viewed by the world community in light of the Gaza conflict.