Gilbert Sinoué raconte 100 ans de Guerres au Moyen-Orient

Gilbert Sinoué lit régulièrement le Coran, la Torah et le Nouveau Testament. Ce brillant écrivain décrypte les écritures sacrées pour essayer de trouver une réponse à une éternelle question qui le taraude depuis très longtemps: pourquoi les fidèles des trois grandes religions s’entretuent-ils depuis la nuit des temps?

Gilbert Sinoué

“Je n’ai pas encore trouvé la réponse à cette question grave. Mes lectures assidues des Textes fondateurs du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam ont nourri au fil des années mon imagination romanesque et m’ont motivé à écrire des romans regorgeant d’Histoire. Pour moi, la Mémoire historique, c’est plus important que l’intelligence”, confie-t-il attablé dans le Café du hall d’un Hôtel du quartier chinois de Montréal, où s’est déroulé le dernier Festival littéraire international Metropolis Bleu, dont il a été l’un des invités de marque.

Gilbert Kassab -Sinoué est son pseudonyme d’écrivain- est né en 1947 au Caire dans une “famille mixte”. Son père était un Égyptien melkite, c’est-à-dire un Chrétien d’Orient de rite grec catholique, et sa mère était une Juive sépharade. Gilbert Sinoué a été éduqué par les Jésuites. La famille Kassab a quitté l’Égypte en 1965 pour s’établir en France. Avant de se lancer dans l’écriture, Gilbert Sinoué a pratiqué plusieurs métiers, dont celui de musicien-compositeur -il a écrit des chansons pour des chanteurs et des chanteuses français très célèbres, Dalida, Claude François, Marie Laforêt…-. Ses multiples racines identitaires sont “un grand cadeau du ciel” qui lui ont permis de “pérenniser” à travers les personnages de ses romans historiques les “valeurs de vie fondamentales” que ses parents lui ont transmises: la tolérance, l’importance du dialogue intercommunautaire, le respect des autres cultures et religions…

“Mes parents m’ont élevé dans un cadre familial laïc où l’amour d’autrui n’était pas un voeu chimérique mais un impératif quotidien”, dit-il.

Gilbert Sinoué est l’auteur d’une oeuvre romanesque imposante, hétéroclite et très originale. Plusieurs de ses romans historiques ont connu un grand succès, notamment L’enfant de Bruges (Éditions Gallimard); L’Égyptienne (Éditions Denoël); La Fille du Nil (Éditions Denoël); Le Livre de Saphir (Éditions Denoël), qui lui valut en 1996 le prestigieux Prix des Libraires de France; Un bateau pour l’enfer (Éditions Calmann-Lévy), un récit historique bouleversant relatant la destinée funeste des 550 passagers Juifs du SS Saint-Louis, un paquebot battant pavillon nazi que le gouvernement cubain contraint à rebrousser chemin vers l’Allemagne en 1939; Moi, Jésus (Éditions Albin Michel); Erevan (Éditions Flammarion), un roman historique retraçant l’effroyable génocide du peuple arménien…

Son dernier livre est un véritable tour de force littéraire: une vaste fresque romanesque en deux volumes relatant un siècle d’Histoire tumultueuse du Moyen-Orient: Inch’Allah, Tome 1: Le souffle du Jasmin et Inch’Allah, Tome 2: Le cri des pierres, publiés aux Éditions Flammarion, 2010.

La première partie de cette fresque somptueuse et passionnante, Le Souffle du Jasmin, couvre la période allant de 1916 à 1956. La seconde partie, Le cri des pierres, plonge le lecteur dans la tourmente de la Guerre israélo-arabe de 1967, de la Guerre du Liban de 1982, de la premier Intifada palestinienne, en 1987, de l’assassinat de Yitzhak Rabin, en 1996, et s’achève avec les sinistres attentats du 11 septembre 2001 contre le deux Tours du World Trade Center de New York.

Les destins de cinq familles imaginaires -une Égyptienne, une Irakienne, une Juive et deux Palestiniennes – se mêlent avec brio à ceux de nombreux personnages historiques, de Ben Gourion à Nasser en passant par Churchill et Roosevelt. La grande et la petite histoire s’entremêlent dans une même vérité, celle d’une région qui semble à jamais vouée à des conflits meurtriers.

Écrire aujourd’hui un roman historique sur le conflit centenaire israélo-arabe n’est-ce pas une immense gageure? Un écrivain ayant des origines juives -c’est le cas de Gilbert Sinoué- peut-il réellement faire preuve d’objectivité lorsqu’il narre la tragédie israélo-palestinienne?

“Avant de commencer à écrire ce roman historique, j’étais bien conscient du grand défi qui m’attendait. Je savais que les écueils allaient être nombreux, dit-il. Dans ce type de roman, le réel et la fiction s’imbriquent tellement qu’il est impossible de différencier le vrai du faux. Le véritable enjeu quand on écrit un roman historique, ce n’est pas l’objectivité, mais faire preuve d’une grande rigueur quand on forge le cadre historique dans lequel se déroulera le récit. Il faut absolument que l’aspect historique soit irréprochable. J’ai fait relire mon manuscrit à un ami Israélien et à un ami Palestinien. Les deux étaient furieux! Je me suis dit alors que j’étais dans le vrai!”

Gilbert Sinoué a restitué les principaux épisodes du conflit israélo-arabe non pas par le biais de la Géopolitique ou de l’Histoire avec un grand “H” mais par le truchement des principaux personnages de son roman.

“On saisit beaucoup mieux les attentes et les revendications des Palestiniens, des Israéliens, des Arabes… par le biais des sentiments et des états d’âme des personnages de mon récit qu’à travers la narration historique officielle ou des discours politiques creux.”

Pour Gilbert Sinoué, le conflit israélo-arabe est “une litanie de rendez-vous manqués” par les deux protagonistes de ce “grand drame humain”: Israël et le monde arabe.

“D’après moi, les deux cataclysmes majeurs qui ont révulsé le Moyen-Orient et changé radicalement l’Histoire de cette région dévastée par une kyrielle de conflits sont l’assassinat du Président égyptien Anouar el-Sadate, en 1981, et l’assassinat du Premier ministre d’Israël, Yitzhak Rabin, en 1996. Je suis résolument convaincu que si ces deux géants de l’Histoire du Moyen-Orient s’étaient donné rendez-vous, Israël, la Palestine et le Moyen-Orient ne seraient pas aujourd’hui dans un état aussi piteux. Au lieu du face-à-face Sadate-Begin et du face-à-face Rabin-Arafat, la rencontre entre Yitzhak Rabin et Anouar el-Sadate aurait certainement insufflé un vrai élan de paix à la dynamique des négociations israélo-arabes, aujourd’hui au point mort.”

Gilbert Sinoué est-il optimiste en ce qui a trait aux perspectives futures des négociations entre Israéliens et Palestiniens?

“Je suis un grand optimiste inquiet, répond-il sur un ton posé. En arabe, Inch’Allah signifie fatalité et aussi espoir. Le conflit israélo-palestinien, qui est le plus vieil contentieux de l’Histoire contemporaine, est devenu le point de convergence de tous les fanatismes. Il est de plus en plus difficile de dialoguer sereinement avec ces hystériques d’un point de vue psychiatrique et historique que sont devenus les Arabes et ces grands paranoïas que sont devenus les Israéliens. En écrivant ce roman, je me suis retrouvé entre le marteau et l’enclume!”

Quel regard Gilbert Sinoué l’enfant d’Égypte porte-t-il sur la Révolution démocratique en cours dans le pays des Pharaons?

“Il est indéniable qu’il y a aujourd’hui en Égypte un danger islamiste. Quelle place occuperont les Frères Musulmans dans le nouveau gouvernement égyptien qui sortira prochainement des urnes? Personne ne le sait encore. Cependant, ce qui me rend très optimiste, c’est cette jeunesse égyptienne assoiffée de liberté et de démocratie qui a surpris le monde entier avec sa détermination inébranlable et son vibrant espoir en des lendemains meilleurs. L’Égypte est sunnite et pas chiite. La jeunesse égyptienne, qui est profondément attachée aux valeurs de l’islam, rejette massivement le khomeynisme à l’iranienne. Chose certaine, plus personne ne pourra confisquer aux jeunes Égyptiens leur Révolution démocratique.”

Le débat sur l’islam lancé il y a quelques mois par le Président de la France, Nicolas Sarkozy, l’a beaucoup irrité.

“C’est un débat triste et désastreux. Que signifie ce pathétique débat? Qu’il y a des vrais et des faux Français? Tout cela me rappelle les heures les plus sombres de la France, quand on a commencé à stigmatiser les Juifs en colportant des préjugés antisémites ignominieux. À une époque où le métissage, le multiculturalisme et les mariages mixtes sont les voies de l’avenir, ce débat sectaire est une grande régression. Même les Musulmans français modérés se sentent agressés.”

Gilbert Sinoué est un partisan invétéré du “respect absolu de la laïcité”.

“Je suis farouchement opposé au port du Niqab dans les lieux publics, dit-il. Quand on vient vivre dans un pays, on doit respecter les lois en vigueur dans celui-ci.  Par exemple, je suis bien conscient qu’en Égypte, une femme étrangère ne peut pas se promener dans la rue en short parce qu’une telle tenue vestimentaire offusquerait les Égyptiens. Il faut être très respectueux des valeurs et des traditions nationales.”


French author and musician Gilbert Sinoué was a guest at the recent Blue Metropolis Literary Festival in Montreal.