Diffusion du film ‘Shoah’ de Lanzmann en Iran

C’est indéniablement un événement culturel inattendu et très audacieux qui paraît invraisemblable dans un pays islamique fondamentaliste où le négationnisme de la Shoah a été érigé en politique d’État. Le film-documentaire Shoah de Claude Lanzmann, la plus grosse somme de témoignages filmés sur le génocide des Juifs d’Europe durant la Deuxième Guerre mondiale, vient d’être diffusé en Iran, dans une version sous-titrée en persan.

Claude Landzmann

Ce film de neuf heures et demie a été sous-titré en persan par le Projet Aladin.

Lancé sous le patronage de l’U.N.E.S.C.O. en 2009, le Projet Aladin, initié et conçu par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de France, est soutenu par de nombreux dirigeants dans le monde, des orga­ni­sa­tions internationales et plus d’un millier d’intellectuels, d’universitaires et de personnalités sur les cinq continents. Le principal objectif du Projet Aladin est de promouvoir le rapprochement interculturel, en parti­cu­lier entre Juifs et Musulmans, par le biais de l’Éducation, la connaissance de l’Histoire, le dialogue et le respect mutuel.

En février, le Projet Aladin a organisé la visite à Auschwitz d’une dé­lé­ga­tion internationale de deux cents personnalités politiques et religieuses, Juives, Chrétiennes et Musulmanes, venues de quarante pays. Ce Projet s’est d’abord consacré à la traduction en arabe, en farsi et en turc de quatre ouvrages essentiels à la Mémoire de la Shoah, dont Le Journal d’Anne Frank et Si c’est un homme de Primo Levi. Ces traductions ont été mises en libre service sur le site de la Bibliothèque numérique AladinLibrary et ont généré à ce jour 19500 téléchargements gratuits.

Les Iraniens, en Iran et dans les quatre coins du monde, ont pu voir le premier épisode du film-documentaire Shoah de Claude Lanzmann, sous-titré en persan. Des épisodes d’une heure ont été ensuite diffusés quotidiennement.

Traduit par le Projet Aladin en arabe, en farsi et en turc plus de quinze ans après sa sortie, Shoah va être diffusé pour la première fois dans le monde arabo-musulman.

L’Iran et l’Afghanistan, via des Chaînes de Télévision satellitaires basées à Los Angeles, ont été les premiers pays musulmans à visionner ce film-documentaire bouleversant dé­dié aux six millions de Juifs exterminés par les nazis dans les camps de la mort du IIIe Reich hitlérien.

“Il est évident que si les autorités iraniennes veulent couper la diffusion, elles sont en mesure de le faire. Ce sera un véritable test pour la liberté d’expression”, a indiqué avant la diffusion de ce film à l’Agence France Presse Anne-Marie Revcolevschi, présidente du Projet Aladin.

“Présenter Shoah à un public arabo-­musulman répond à une vo­lon­té d’information et d’éducation sur l’Holocauste, la mission que s’est donnée le Projet Aladin: faire comprendre la Shoah comme événement universel dont la portée s’étend bien au-delà du sort des Juifs. Le Projet Aladin a commencé sur un constat: le manque total de sources d’information disponibles dans le monde arabo-musulman, alors que ces pays sont confrontés au négationnisme. Nous savons bien que pour toucher un maximum de gens, il est indispensable de passer par l’image, le cinéma et surtout la télévision. Le but ultime est de parvenir à “enseigner” l’Holocauste dans les pays arabo-musulmans. Le choix du film Shoah a suscité beaucoup de débats entre nous, certains songeant à une grande fiction comme Le Pianiste, La Liste de Schindler ou, plus récemment, La Rafle… Mais pour nos historiens, le témoignage imparable, c’est le film de Claude Lanzmann: ni documentaire, ni fiction, c’est une pièce à conviction de neuf heures”, ajouta Anne-Marie Revcolevschi.

L’Agence de presse officielle iranienne FARS a dénoncé la diffusion de Shoah, qualifiant ce film de “tentative faite par Israël pour prendre le peuple iranien comme cible de sa propagande pour contrer les efforts déployés par l’Iran dans les Organisations internationales pour réfuter le mythe grossier de l’Holocauste.”

Des dizaines de sites pro-gouvernementaux en Iran se sont joints au choeur des protestations, at­ta­quant  avec véhémence la Chaîne de Télévision iranienne PARS, basée à Los Angeles, qui a diffusé ce film en langue farsi, et l’accusant de “lécher les bottes des Sionistes”.

Des médias en langue persane à l’étranger, qui ont un large public en Iran, comme la Télévision La Voix de l’Amérique (en persan), Manoto TV (en persan), Radio France Internationale (en persan) et la Voix d’Israël (en persan), ont diffusé de longs reportages en persan sur Shoah et interviewé des intellectuels Iraniens tout en soulignant qu’il fallait que les Iraniens puissent avoir accès à ce type de film. De nombreux sites Internet en langue persane, représentant tout un éventail d’opinions, ont aussi rapporté l’événement.

D’après le présentateur vedette de la Chaîne satellitaire iranienne PARS, qui a diffusé Shoah en persan, Alireza Meybodi, celle-ci a reçu des centaines de mails et d’appels téléphoniques “largement positifs” de téléspectateurs de Téhéran, Ispahan, Chiraz, Machad et d’autres villes iraniennes.  

Dans une interview qu’il a accordée au magazine Le Point avant la diffusion de son film en Iran, Claude Lanzmann a déclaré: “Niez la Shoah autant que vous le voulez Président Ahmadinejad. Aujourd’hui, ce n’est pas vous qui décidez, ce sont les téléspectateurs à Téhéran et Chiraz, à qui le Projet Aladin a donné l’occasion de forger leur propre jugement sur ce sujet… Je considère que le peuple iranien est un grand peuple, une haute et ancienne civilisation. Un peuple opprimé aujourd’hui par une dictature cléricale de fer, mais qui est en train de protester et de se révolter d’une certaine façon. De nombreuses manifestations ont eu lieu  en Iran, bien avant celles dont on parle aujourd’hui dans le reste du monde arabe.”

L’étape suivante sera Istanbul. En avril, Claude Lanzmann présentera  la version turque de Shoah dans le cadre du Festival de Cinéma d’Istanbul.

La diffusion de Shoah en Égypte, prévue dans la même vague, “devrait attendre encore un peu”, précise  Anne-Marie Revcolevschi.

“Nous ne nous sommes jamais lancés nulle part sans nous assurer préalablement que notre message pouvait passer”, dit-elle.

Shoah, Claude Landzmann’s 9-1/2-hour documentary on the Holocaust, was recently aired in Iran with subtitles in Persian, under the auspices of the United Nations’ Alladin Project.