PARIS — Depuis l’automne 2000, date du début de la deuxième Intifada palestinienne, le journaliste Charles Enderlin, correspondant permanent à Jérusalem de la chaîne de télévision publique française France 2, n’a pas la cote auprès des Juifs français sionistes. La sinistre Affaire “Mohammed Aldura” a sensiblement terni sa réputation auprès des franges pro-Israël de la Communauté juive de France.
Diffusées le 30 septembre 2000 sur France 2, les images très bouleversantes montrant un enfant palestinien de 12 ans, Mohammed Aldura, tué dans les bras de son père lors d’affrontements entre l’armée israélienne et des Palestiniens, au lendemain de la controversée visite d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, et commentées par Charles Enderlin, avaient fait le tour du monde.
Cette scène odieuse est rapidement devenue dans les Territoires palestiniens et dans le monde arabo-musulman l’un des principaux symboles de la deuxième Intifada.
Ces images funestes montraient un homme tentant de protéger son jeune fils avant qu’une rafale de mitraillette n’atteigne l’enfant.
“Jamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs venus des positions israéliennes”, indiquait Charles Enderlin dans son commentaire -cf. article du journal Le Monde, édition du 20 octobre 2006.
Ce reportage avait suscité, deux ans plus tard, une polémique, alimentée par l’Agence de presse francophone israélienne Metula News Agency (MENA), qui dénonçait une “mise en scène”, puis relayée par le Site Internet Media-Ratings en novembre 2004.
En octobre 2006, Charles Enderlin et France 2 ont obtenu auprès de la 17e Chambre du Tribunal correctionnel de Paris la condamnation pour “diffamation publique” de Philippe Karsenty, directeur du Site Internet Media-Ratings, qui avait affirmé que le reportage montrant le petit Mohammed Aldura tué dans les bras de son père par des tirs israéliens était un “faux”.
Philippe Karsenty a fait Appel de cette décision judiciaire. Le 21 mai, la Cour d’Appel de Paris a débouté Charles Enderlin et France 2 et relaxé Philippe Karsenty. La Cour a estimé que “M. Karsenty a exercé sa libre critique face à un pouvoir, celui de la presse” -rapporté dans le Site Internet du Nouvel Observateur, 21 mai 2008-.
Charles Enderlin a participé à une table ronde ayant pour thème: “Proche-Orient: la nouvelle donne géopolitique en 2008”, qui a eu lieu dans le cadre du dernier Salon du Livre de Paris. Les autres panélistes invités étaient: l’islamologue Gilles Kepel, le géopolitologue Frédéric Encel et l’essayiste Théo Klein, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France (C.R.I.F.) Ce panel a été animé par un spécialiste réputé des questions moyen-orientales, le politologue franco-libanais Antoine Sfeir.
Charles Enderlin vient de publier aux Éditions Albin Michel un excellent essai historique, Par le feu et par le sang, relatant les fougueux combats clandestins menés par des groupes militaires sionistes antagonistes, le LEHI de Stern, l’Irgoun de Begin et la Hagana de Ben Gourion, contre l’occupant britannique et l’establishment politique arabe de Palestine. Une page capitale de la fondation de l’État d’Israël.
Charles Enderlin a livré au cours de ce panel-débat ses analyses sur le conflit israélo-palestinien.
D’après lui, le Hamas ne reconnaîtra jamais Israël.
“Le problème, c’est que le Hamas ne veut pas négocier avec Israël. Lorsque des amis israéliens me disent que le gouvernement d’Ehoud Olmert doit négocier avec le Hamas, je suis décontenancé. Moi, ce que j’ai toujours entendu à Gaza, vu à la télévision du Hamas, entendu dans les mosquées sous la houlette du Hamas, lu dans les publications du Hamas, c’est qu’il n’est absolument pas question pour cette organisation islamiste de reconnaître l’État d’Israël. L’objectif du Hamas, c’est la Palestine islamique. C’est vrai que le Hamas a parfois des attitudes qui peuvent paraître pragmatiques, notamment à l’endroit des journalistes en poste à Gaza ou d’hommes politiques étrangers. Mais, il ne faut pas se leurrer.”
Sur le fond, ajouta Charles Enderlin, le Hamas a remporté sa grande victoire à Gaza, où il a créé “un État totalitaire”.
“À Gaza, le Fatah ne peut pas lever le bout de son nez. Ça fait bientôt quarante ans que j’habite à Jérusalem et que je couvre ce conflit. J’ai vu grandir deux générations de Palestiniens. La nouvelle génération de jeunes Palestiniens est différente. Aujourd’hui, plus de 50% des Palestiniens ont moins de 15 ans. Ce sont des gosses qui n’ont aucun avenir, aucun destin. Ils sont bouclés dans leur village. La seule chose qu’ils voient d’Israël, ils le voient sur les télés arabes, qu’il s’agisse d’Al-Jazira, d’Almanar -la télévision du Hezbollah- ou de la télévision du Hamas. Les seuls Israéliens que ces jeunes Palestiniens connaissent, ce sont les soldats de Tsahal postés au bout de la rue aux barrages, qui les empêchent de sortir de chez eux. Ces jeunes aux abois n’ont connu ces dernières années que l’Intifada, la répression de l’Intifada par l’Armée israélienne, le chômage de leurs parents, les difficultés quotidiennes… C’est une génération qu’on est en train d’élever dans la haine et dans la folie.”
La stratégie idéologique des islamistes radicaux du Hamas table sur le long terme, rappela-t-il.
“Les islamistes que je rencontrais il y a quinze ou vingt ans me disaient: “Nous on pense dans le temps. Si ce n’est pas cette génération qui vaincra Israël, ce sera la génération suivante ou celle d’après”. L’idée profonde du Hamas, c’est de poser des pierres, des jalons, qui serviront plus tard.”
D’après Charles Enderlin, les opérations militaires menées par Israël dans la bande de Gaza pour essayer de neutraliser le Hamas sont “des plus improductives”.
“Comment la région peut-elle vaincre les islamistes, notamment du Hamas? Certainement pas avec des opérations militaires qui produisent en général le résultat opposé: encore des morts et des blessés. La seule manière de vaincre le Hamas, c’est un accord politique. Les seuls qui peuvent conclure aujourd’hui cet accord, ce sont Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert. Pourquoi ils ne le font pas, pourquoi ça traîne? Ça c’est une autre question.”
Selon le correspondant de France 2 à Jérusalem, Israël a commis “une grande erreur stratégique” en se retirant unilatéralement du Sud-Liban, en 2000, et de la bande de Gaza, en 2005, “sans avoir rien obtenu en contrepartie”.
“Les retraits du Sud-Liban et de Gaza, je les ai couverts autant du point de vue politique que sur le terrain. La grande critique qui a été formulée à l’endroit d’Ehoud Barak, lors du retrait du Sud-Liban en 2000, et à l’endroit d’Ariel Sharon, lors du retrait de Gaza en 2005, c’est que ces retraits unilatéraux se sont déroulés sans aucune négociation avec la partie adverse. Les leaders de l’extrême droite israélienne, que j’ai interviewés, disaient alors: “Pourquoi allons-nous partir en jetant la clé?” Benny Élon, un député religieux du parti d’extrême droite Moledet, m’a même dit sans ambages: “Yossi Beilin, qui est à la gauche du Parti Travailliste, aurait obtenu quelque chose”.”
Se retirer de Gaza sans avoir conclu préalablement un accord avec l’Autorité Palestinienne, c’était “donner les clés de Gaza au Hamas”.
“L’ Autorité Palestinienne n’a pas eu la possibilité de déployer des forces supplémentaires à Gaza alors que le rapport de forces entre le Fatah, les services de sécurité de Mahmoud Abbas et le Hamas était absolument tangent. On savait que ça allait arriver. D’ailleurs, dès que les soldats israéliens sont partis, le Hamas a présenté ce retrait unilatéral comme une victoire éclatante des islamistes palestiniens contre Israël. Dans les cas du Liban en 2000 et de Gaza en 2005, je considère que ces retraits unilatéraux sans aucun accord préalablement négocié ont été des erreurs fondamentales de la part d’Israël.”
Pour se convaincre, ajoute Charles Enderlin, il faut lire le rapport de la Commission Winograd, qui a mis à jour les échecs de Tsahal au cours de la dernière guerre au Liban.
“Une des principales conclusions de la Commission Winograd est que les dirigeants israéliens ont décidé qu’ils pouvaient poursuivre leur politique sans conclure un accord avec les Palestiniens. Ehoud Olmert et ses proches collaborateurs estimaient que la force militaire d’Israël serait suffisante pour venir à bout du Hezbollah ou, le cas échéant, pour imposer des accords aux pays arabes. On a vu le résultat désastreux au cours de la guerre au Liban de l’été 2006. Trois divisions de Tsahal ne sont pas arrivées à vaincre quelques centaines de miliciens du Hezbollah.”
D’après Charles Enderlin, les Palestiniens sont “très peu optimistes” en ce qui a trait à la possibilité qu’Israël et l’Autorité Palestinienne concluent un accord de paix viable avant la date butoir de novembre 2008, arrêtée lors des négociations d’Annapolis, à laquelle George Bush terminera son mandat présidentiel.
“Le public palestinien de Cisjordanie ne croit absolument pas que ces négociations aboutiront. Personne n’y croit. Il faut négocier rapidement. Donner douze mois à un processus de négociation pour qu’il aboutisse, c’est donner douze mois à tous les extrémistes de la région pour torpiller le processus de paix. Dès la minute où Israéliens et Palestiniens annonceront la conclusion d’un accord, il y aura un gigantesque attentat”, prédit Charles Enderlin.
Et, poursuit-il, comme le gouvernement israélien n’est pas dans l’optique “il faut lutter contre le terrorisme comme s’il n’y avait pas de négociation et négocier comme s’il n’y avait pas de terrorisme”, il y a peu de chances que les engagements pris à Annapolis par les deux parties se concrétisent sur le terrain.
“Les islamistes palestiniens vont redoubler d’ardeur pour annihiler le moindre accord embryonnaire de paix. Une action terroriste pourrait aussi être perpétrée par des Israéliens extrémistes. En 1994, Baruch Goldstein a commis un massacre dans le Caveau des Patriarches, à Hébron. En 1995, Igal Amir a assassiné le Premier ministre, Yitzhak Rabin, et changé le cours de l’histoire d’Israël. Dans l’état actuel des choses, donner douze mois pour négocier, c’est s’acheminer vers un autre grand échec.”
France 2 Jerusalem correspondent Charles Enderlin talks about the Israeli-Palestinian conflict as part of a panel discussion at the Paris book fair earlier this year.