Avigdor Lieberman est-il le Le Pen israélien?

Leader de la troisième formation politique d’Israël, le parti russophone Israël Beitenou, et “faiseur de rois”, désormais incontournable, dans l’arène politique israélienne, Avigdor Lieberman, qui lorgne le poste très convoité de ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement qui sera dirigé par Benyamin Netanyahou, est un personnage atypique exécré par ses détracteurs et adulé par ses très nombreux supporters.

Avigdor Lieberman

Le slogan “Bli ne’emanout, ein ezrahout” -“Sans loyauté, pas de citoyenneté”-, martelé tout au long de la dernière campagne électorale par ce politicien populiste d’origine moldave, ancien videur de boîtes de nuit, suscite un profond malaise aussi bien dans des franges de la société israélienne que dans des Communautés juives de la Diaspora, particulièrement aux États-Unis.

Plusieurs analystes avertis des questions politiques israéliennes ont établi un parallèle entre le phénomène Lieberman et les phénomènes Le Pen en France et Haider en Autriche (Jörg Haider est le défunt chef de l’extrême droite autrichienne). Cette comparaison est-elle inepte ou fondée?

“Ne nous leurrons pas! Le slogan de Lieberman “Sans loyauté, pas de citoyenneté” appartient aux régimes politiques les plus sombres de l’Histoire! Or, le terme “fascisme” résonne très mal dans un pays chargé d’Histoire et de Mémoire comme Israël. Je crois que ceux qui ont voté pour Lieberman lors des dernières élections ne comprennent pas très bien son message raciste et dangereux, qui risque de casser la cohabitation, déjà très vulnérable, entre Juifs et Arabes israéliens. Le phénomène Lieberman rappelle indéniablement les phénomènes Le Pen en France et Haider en Autriche. C’est un phénomène ignoble et désastreux pour l’image de l’État d’Israël dans le monde. Espérons qu’il ne s’agit que d’un épiphénomène passager”, dit en entrevue Daniel Bensimon, un ancien journaliste du quotidien de gauche Ha’aretz qui vient d’être élu député de la Knesset sous la bannière du Parti Travailliste.

D’après Daniel Bensimon, la percée électorale fulgurante du parti Israël Beitenou est le résultat de la colère des Juifs israéliens contre la rhétorique intempestive et férocement antisioniste des députés arabes israéliens.

“Cette rhétorique vitriolique a permis à Lieberman d’obtenir haut la main quinze mandats dans la nouvelle Knesset. Ainsi, les Arabes israéliens les plus extrémistes et les Palestiniens appuyant le Hamas ont réussi à revigorer la droite et l’extrême droite israéliennes. La droite n’a jamais été aussi forte en Israël.”

L’ex-journaliste du Haaretz lance un appel aux Juifs du Canada, des États-Unis et de France pour qu’ils rappellent fermement à Benyamin Netanyahou qu’Avigdor Lieberman incarne des “valeurs rétrogrades et odieuses” qui sont aux antipodes des valeurs humanistes sur lesquelles le projet sioniste a été fondé.

“Il faut que les Juifs de la Diaspora ne restent pas indifférents face à l’ascension très troublante de Lieberman. Ils ont leur mot à dire là-dessus. C’est un phénomène très hideux que quiconque attaché aux valeurs démocratiques ne peut tolérer, ni avaliser. Israël ne peut pas, et ne doit pas, ressembler aux pays où des politiciens populistes et démagogues font la pluie et le beau temps. Lieberman est une insulte à l’Histoire, plusieurs fois millénaire, du peuple juif!” lance Daniel Bensimon avec une pointe de courroux.

L’image d’“extrémiste” d’Avigdor Lieberman dépeinte par des médias israéliens et étrangers est “extrêmement exagérée et distordue”, considère le politologue israélien Emmanuel Navon, professeur de Relations internationales à l’Université de Tel-Aviv.

“Même le parti Kadima, qui avait décrit Lieberman comme un extrémiste, voire comme un fasciste dangereux, pendant la campagne électorale, dès qu’il a courtisé ce dernier le lendemain des élections pour former une coalition gouvernementale, a tout d’un coup commencé à décrire ce politicien jadis fustigé véhémentement par Tzipi Livni comme une personnalité pragmatique et même extrêmement modérée. Donc, les politiciens israéliens décrivent Lieberman en fonction de ce qui les arrange”, rappelle Emmanuel Navon depuis sa résidence de Jérusalem.

Avigdor Lieberman n’est pas du tout “l’archétype de l’extrême droite”, insiste cet universitaire franco-israélien.

“C’est totalement inexact de qualifier Lieberman de leader d’extrême droite. Je crois qu’il y a eu beaucoup de diffamation à son égard aussi bien en Europe qu’en Israël, bien que personnellement Lieberman ne soit pas ma tasse de thé.”

Beaucoup de pays ont adopté une loi sur la loyauté citoyenne semblable à celle que préconise aujourd’hui Avigdor Lieberman, en particulier l’Espagne, qui exige une loyauté de tous ses citoyens à l’État espagnol, constate Emmanuel Navon.

“Je ne vois pas ce que ce type de loi a à voir avec l’extrême droite? L’Espagne, qui a adopté une législation similaire, est membre de l’Union Européenne et n’est pas pour autant un pays d’extrême droite ou fasciste. Aucun pays au monde, certainement pas aux États-Unis ou en Europe, n’accepterait que des députés rencontrent en temps de guerre des dirigeants d’États ennemis et collaborent étroitement avec eux. Je ne crois pas que le Canada accepterait que des députés du parlement d’Ottawa collaborent en temps de guerre avec l’ennemi. Les Israéliens soupçonnent l’ancien député arabe israélien à la Knesset, Azmi Bishara, d’avoir collaboré avec le Hezbollah pendant la deuxième guerre du Liban. C’est insensé de qualifier Lieberman de leader d’extrême droite à cause de son discours sur la loyauté civile.”

Détrompez-vous! Avigdor Lieberman n’est pas un idéologue intransigeant, estime Emmanuel Navon. Au contraire, le chef d’Israël Beitenou est “un politicien pragmatique” en quête de solutions réalistes.

“Si on examine ses positions sur les questions sociales, Lieberman se place plutôt au centre, si ce n’est au centre-gauche, de la carte politique israélienne puisque ses positions sont extrêmement libérales, au sens américain du terme, en ce qui a trait au mariage civil et à la conversion au Judaïsme. Ce qui le place en porte-à-faux avec les partis conservateurs sur les plans religieux et social, tel que le parti ultra-orthodoxe sépharade Shass. Sur les questions diplomatiques, il se déclare en principe favorable à un compromis sur la base de deux États pour deux nations, à condition, bien sûr, que certaines demandes fondamentales d’Israël soient exaucées, notamment que les Palestiniens renoncent au droit au retour en Israël”.

D’après l’historien et économiste Simon Epstein, professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem, le phénomène Lieberman est “très embarrassant” pour une démocratie comme Israël, mais il ne s’agit pas non plus d’un “raz-de-marée imparable”.

“Lieberman est un personnage très habile, intelligent et pragmatique qui arrivera, s’il occupe le poste de ministre des Affaires étrangères, à se fondre dans le paysage diplomatique international. Mais, sur le fond, il est vraiment représentatif d’une ligne dure -pas de la ligne la plus extrémiste. Il y a déjà eu en Israël des politiciens beaucoup plus extrémistes que lui, notamment le Rabbin Meïr Kahana-, qui n’est pas la ligne de centre-droite que représente le Likoud. Lieberman défend des positions beaucoup plus à droite que celles du Likoud. Ce sera vraiment un problème pour Netanyahou et son gouvernement et aussi pour l’État d’Israël, qui sera désormais représenté par une figure qui est assez extrémiste”, explique Simon Epstein en entrevue depuis Jérusalem.

Pour ce spécialiste de la droite israélienne, le plus inquiétant dans le cas de Lieberman, c’est que ce dernier veut qu’on confie à Israël Beitenou des ministère clés: les Affaires étrangères, la Justice et la Sécurité Intérieure -la police relève de ce ministère.

“Lieberman fait actuellement l’objet d’enquêtes très approfondies pour corruption et prévarication. Donc, en mettant le grappin sur des ministères majeurs, comme la Justice et la Sécurité Intérieure, il espère éventuellement contrôler les enquêtes menées à son sujet par des magistrats et la police. C’est très inquiétant.”

Quant au souhait de Lieberman que la Knesset promulgue une loi exigeant de tous les citoyens d’Israël, notamment des Arabes, leur allégeance à l’État hébreu, c’est “un voeu chimérique” qui ne se concrétisera pas sous la gouverne de Netanyahou, conjecture Simon Epstein.

“Le Likoud n’acceptera jamais que chaque citoyen d’Israël soit contraint à faire acte d’allégeance à l’État. Dans ce dossier sulfureux, le Likoud et Israël Beitenou sont probablement parvenus à un accord sur deux points: 1-Quand un Arabe israélien participera à un acte de terreur, il sera privé de son droit de percevoir une retraite et l’Assurance sociale; 2-L’ex-député Azmi Bishara, qui ne cesse d’afficher sans ambages des positions foncièrement anti-israéliennes, sera privé de la retraite qu’il reçoit de la Knesset. Mais, il n’y aura pas sur cette question une législation d’ensemble touchant la totalité des Arabes israéliens, ou des Israéliens, pour les forcer à faire un serment d’allégeance à l’État. Ça, le Likoud ne l’aurait jamais accepté. Je crois que Lieberman ne l’a même pas demandé au cours de ses négociations avec Netanyahou”.

D’après Simon Epstein, la nomination d’un personnage aussi controversé qu’Avigdor Lieberman au poste de ministre des Affaires étrangères va enhardir les détracteurs d’Israël, qui sont légion par les temps qui courent.

“Compte tenu du degré d’anti-israélisme qui sévit dans les médias et les chancelleries européens, l’ entrée fracassante de Lieberman dans le gouvernement de Netanyahou accentuera sans doute les campagnes anti-israéliennes en Occident, notamment en Europe. Les contempteurs d’Israël dans le monde attendent de pied ferme Lieberman s’il est nommé ministre des Affaires étrangères. Il y a des diplomates occidentaux qui ont déjà fait part de leur profond malaise quant à l’éventuelle nomination de Lieberman à la tête de la diplomatie israélienne.”

Cependant, ajoute-t-il, Avigdor Lieberman est capable aussi d’adopter des “positions assez pragmatiques” dans certains dossiers chauds, comme le conflit avec les Palestiniens.

“Sur la question des Palestiniens, autant Lieberman est virulent à l’égard des Arabes israéliens, autant il est modéré à l’endroit des Arabes palestiniens. Lieberman admet le principe de deux États, un État palestinien qui vivrait à côté de l’État d’Israël. À ce niveau-là, il y a peut être une surprise pragmatique qui nous attend”, conclut Simon Epstein.

Three Israeli political analysts comment on Avigdor Lieberman’s potential role in the government of Israel.