Une entrevue avec le romancier Marc Levy

Marc Levy

Une intrigue autour d’un secret de famille est au cœur du nouveau roman de Marc Levy, La dernière des Stanfield (Éditions Robert Laffont).

Une histoire regorgeant de mystères et de rebondissements, narrée à un rythme haletant, qu’on dévore de la première à la dernière page.

Un autre grand tour de force littéraire de l’écrivain français le plus lu dans le monde.

À 55 ans, Marc Levy, qui vit aujourd’hui à New York, est un véritable phénomène dans l’univers de l’édition littéraire. Ses romans, traduits en 49 langues, se sont vendus à plus de 40 millions d’exemplaires à travers le monde. Les Chinois, notamment, en raffolent : pas moins de 2,5 millions de ses livres ont été écoulés en Chine. Son premier roman, Et si c’était vrai…, publié en 2000, a été adapté au cinéma par un grand maître du 7e art, Steven Spielberg.

La dernière des Stanfield nous entraîne de la France de 1944, occupée par les nazis, à la ville de Baltimore des années 80, dans une Amérique en plein bouillonnement, en passant par le Londres et le Montréal de la première moitié du XXIe siècle.

Eleanor-Rigby, journaliste au National Geographic, vit à Londres. Quelque temps après la mort de sa mère, elle reçoit une lettre anonyme lui dévoilant que cette dernière avait un passé criminel. De l’autre côté de l’Atlantique, George-Harrison, un ébéniste vivant dans les Cantons-de-l’Est, au Québec, reçoit aussi une lettre anonyme accusant sa mère des mêmes faits. Eleanor-Rigby et George-Harrison ne se connaissent pas. L’auteur de ces missives anonymes leur donne à chacun rendez-vous dans un bar de pêcheurs sur le port de Baltimore. Après mûre réflexion, les deux décident de se rendre à cette mystérieuse rencontre. À leur arrivée, le corbeau est absent. Mais George-Harrison et Eleanor-Rigby découvrent hagards, accrochée au mur du bar, une photo de leurs mères ensemble, quand elles avaient trente ans…

En entraînant le lecteur dans un vertigineux mystère de famille, Marc Levy visite un genre littéraire dans lequel il ne s’était jamais aventuré jusqu’ici.

“Je voulais scruter les conséquences du non-dit et du non demandé sur les membres d’une famille. On est enclin à considérer la famille comme un cercle intime. Mais, en réalité, la famille n’est pas un cercle aussi intime qu’on le croit parce qu’au sein de celui-ci règne souvent une grande pudeur. Nous n’osons pas poser trop de questions relatives au passé de nos parents. Souvent, nous préférons ne pas savoir. Quand nous interrogeons à ce sujet des membres de notre famille ou des amis proches, rares sont ceux qui acceptent de nous parler de l’homme et de la femme qu’étaient nos parents avant notre naissance. Comme s’il était inconcevable que nos parents aient été, eux aussi avant nous, un jeune homme et une jeune femme avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs failles et leurs désirs. Une des choses qui nous exaspéraient le plus durant notre adolescence, c’est quand nos parents nous disaient: “Moi aussi j’ai eu ton âge”. On refusait d’entendre ce commentaire, qui nous paraissait très banal. Or, ce propos voulait tout simplement dire: “Moi aussi j’ai vécu. Avant d’être ton père ou ta mère, j’ai été aussi un homme ou une femme avec ses qualités, ses défauts, ses peines, ses grands espoirs… Parmi tous les voyages qu’on peut faire dans un roman, celui entrepris par Eleanor-Rigby et George-Harrison pour connaître l’homme et la femme qu’avaient été leurs parents avant leur naissance m’intéressait particulièrement”, explique Marc Levy en entrevue.

Le romancier dresse, avec brio, les portraits de trois femmes en quête de liberté et d’égalité qui, chacune à leur époque, vont transgresser les règles contraignantes en vigueur dans leurs sociétés respectives.

“Pourquoi j’ai eu envie d’aborder ce sujet ? Parce que, regrettablement, je considère que nous vivons toujours dans un monde régi par les hommes. Or, j’appartiens à une génération qui ne trouve pas normale cette réalité déplorable. Après avoir dominé la planète pendant des millénaires, je n’ai pas l’impression que les hommes soient plus capables que les femmes de gérer le monde très complexe dans lequel nous vivons. Les hommes continuent à régir le sort du monde. Et, dans beaucoup de sociétés, ils continuent à imposer avec machisme leurs lois aux femmes. Ils empêchent toujours ces dernières d’accéder au pouvoir. Le monde géré par les hommes est un monde ancestral rempli de violence, de corruption et d’abus du pouvoir. Si la société reconnaissait une fois pour toutes que la femme est l’égal de l’homme, le monde tournerait beaucoup mieux”, estime Marc Levy.

La dernière des Stanfield nous plonge aussi dans les tourments de la Deuxième Guerre mondiale. Une période sombre de l’histoire de l’humanité qui, d’après Marc Levy, résonne encore avec force aujourd’hui.

“Quand j’ai découvert la Shoah dans les années 70, deux questions, qui ont hanté mon enfance, me sont venues immédiatement à l’esprit: comment les hommes ont été capables de perpétrer un crime aussi abominable? Comment le monde a été capable de laisser commettre une barbarie aussi odieuse? La réponse qu’on nous donnait alors en Europe était: “On ne savait pas”. C’était un mensonge. La deuxième réponse était: “Plus jamais ça”.”

En 2017, poursuit Marc Levy, des enfants syriens sont assassinés avec des gaz chimiques. Aujourd’hui, il y a dans le monde 312 millions de réfugiés de guerre, persécutés par des dictateurs impitoyables, tels que Bachar el-Assad ou les hérauts de groupes terroristes comme l’État islamique ou Boko Haram.

“Malheureusement, il y a toujours un grand nombre d’hommes politiques qui font l’amalgame entre une victime et un bourreau et d’autres qui exploitent d’une manière éhontée la mort d’hommes, de femmes et d’enfants innocents pour faire du populisme. Ils transforment des réfugiés honnis en migrants. Évidemment qu’il y a une résonance avec les années 40. Un enfant assassiné, peu importe qu’il soit Juif, Musulman, Chrétien, Syrien, Noir… est un enfant à qui on a injustement ôté le droit de vivre. Mon père, feu Raymond Levy, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, me disait avec sa très grande sagesse: “le premier rôle du devoir de mémoire, c’est de protéger l’avenir. Être un survivant de la Shoah ne te donne pas des droits, mais des devoirs”.”

Marc Levy a-t-il déjà envisagé l’idée d’aborder sous forme romanesque le conflit israélo-palestinien?

“Ça me tente énormément, mais si je devais le faire un jour, j’irai d’abord vivre là où ce drame dantesque se joue, c’est-à-dire en Israël et en Palestine. Il y a des écrivains, plus talentueux que moi, qui ont été capables de relater cette tragédie. Quand un conflit perdure aussi longtemps, le quotidien de celui-ci finit par être peuplé d’”injustices” d’un côté comme de l’autre. Le conflit israélo-palestinien est double. Vous avez un premier conflit qui oppose les Juifs israéliens et les Palestiniens et un second conflit qui oppose des Juifs à d’autres Juifs et des Palestiniens à d’autres Palestiniens. C’est-à-dire un conflit sans merci entre ceux qui veulent la paix et ceux qui la rejettent. Quand on a le lectorat que j’ai et le nom que je porte, il faut vivre sur place avant de s’autoriser à écrire un livre sur le drame israélo-palestinien”, explique Marc Levy.

Cependant, l’écrivain a déjà abordé, de façon métaphorique, la question du contentieux israélo-palestinien dans une nouvelle qui a été mise en scène au théâtre, à Lyon, par Rachida Brakni. C’est l’histoire d’un Juif israélien et d’un Palestinien qui ne savent pas encore qu’ils viennent d’être tués au cours d’un affrontement entre leurs deux armées. Ils se retrouvent dans une pièce. Ils discutent ensemble de leur vie, de leur famille et de leurs différences jusqu’à ce qu’ils prennent conscience qu’en fait ils ont été nourris par des colères et des haines ancestrales.

La poussée du populisme en Europe et aux États-Unis est un phénomène qui inquiète Marc Levy.

“Le populisme est une recette bien connue. C’est comme si vous vous étonniez qu’en mettant du souffre dans une cheminée ça fasse “tchi” !”

La première bonne nouvelle, ajoute Marc Levy, est que, malgré qu’elle ait engrangé onze millions de voix lors de la dernière élection présidentielle française, Marine Le Pen n’a pas accédé au pouvoir.”

Parmi les onze millions de Français qui ont voté pour le Front national (FN) parce qu’ils ont trouvé en la personne de Marine Le Pen un vote contestataire, neuf millions sont tombés dans le panneau publicitaire du FN. L’autre excellente nouvelle est que cette élection présidentielle a provoqué la chute des partis traditionnels, qui sont les vrais responsables de la montée fulgurante de Marine Le Pen et du FN. Mais le plus prometteur ces jours-ci en France est le renouveau politique qui semble se dessiner avec des forces politiques jeunes et non pas avec des partis vieux et usés.”

En Amérique aussi, après une “déferlante populiste effrayante”, on se rend compte que, finalement, ce phénomène a eu pour effet de réveiller des forces démocratiques qui elles aussi se détachent de leurs partis politiques pour créer des mouvements citoyens, constate Marc Levy.

“On peut voir la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Moi, j’ai plutôt envie de la voir à moitié pleine”, dit-il.

L’étiquette d’”écrivain populaire de romans de gare” que des critiques littéraires ont accolée à Marc Levy l’exaspère-t-il ?

“Les gens qui pensent que quelqu’un qui lit dans un train est moins intelligent que quelqu’un qui lit dans son salon passent complètement à côté de ce que signifie réellement la littérature. Les gens qui prononcent le mot “populaire” avec mépris sont ceux qui rêvent d’être populaires. Un écrivain qui se prend au sérieux gâche toute la beauté de ce magnifique métier. Il n’y a rien de plus merveilleux dans la vie que faire un travail considéré comme “populaire”. Que quelqu’un vienne m’expliquer le contraire! Les écrivains qui vous racontent qu’ils écrivent pour être lus seulement par un petit nombre de personnes, je ne les crois pas. Quelle prétention et quelle tristesse! Je ne vois pas en quoi le mot “populaire” est péjoratif. Comme disait Lino Ventura: “en opposition à quoi ? À l’art ?”.”

Y a-t-il une recette littéraire “Marc Levy”?

“Oui, j’ai une seule recette: travailler, travailler, travailler… Quelques êtres humains sur cette planète sont de vrais génies. Je les admire. Ils peuvent pondre cent pages en une journée. Un virtuose ne naît jamais de la dernière pluie. Quand vous voyez un pianiste jouer une suite de Bach, c’est le résultat de milliers d’heures de travail et de répétitions. Contrairement à ce que l’on raconte, ou à ce que l’on veut nous faire croire, la fluidité en écriture est le fruit de milliers d’heures de travail, pour ne pas dire de dizaines de milliers d’heures.”