Simone Veil. L’aube à Birkenau

Simone Veil à Montréal en 2007, invitée d’honneur de la Fondation Azrieli. (Elias Levy photo)

Décédée en 2017 à l’âge de 89 ans, Simone Veil était une femme d’exception.

Survivante de la Shoah, figure marquante de la scène politique, où elle a assumé les plus hautes fonctions —magistrate, ministre, première présidente du Parlement européen élue au suffrage universel, présidente du Conseil constitutionnel…—, humaniste remarquable, fervente militante en faveur de l’égalité entre femmes et hommes, cette résiliente à la destinée hors du commun incarnait l’audace et la détermination les plus inouïes.

Trois ans après sa disparition, Simone Veil demeure l’une des personnalités politiques les plus admirées des Français.

Le cinéaste et photographe David Teboul lui a dédié un livre magnifique et très poignant, Simone Veil. L’aube à Birkenau (Éditions Les Arènes, 2019).

Un témoignage de première main, fruit des nombreuses conversations, étalées sur une vingtaine d’années, que David Teboul a eues avec Simone Veil.

Elle raconte son enfance paisible au sein d’une famille juive farouchement patriote, républicaine et laïque, sa déportation à Auschwitz-Birkenau, le sort réservé aux déportés juifs dans ce sinistre lieu de la mort, l’impact de cette terrible épreuve dans sa vie…

“J’avais douze ans quand j’ai vu Simone Veil pour la première fois à la télévision. Elle participait à un débat sur la vie et la mort dans les camps nazis après la diffusion du dernier épisode de la série américaine Holocauste dans le cadre de l’émission “Les Dossiers de l’écran”. Son témoignage me sidéra. Ce soir-là, j’ai quitté l’enfance et basculé dans une adolescence précoce. Il y a vingt ans, j’ai voulu absolument la rencontrer. J’ai donc décidé de lui consacrer un documentaire. J’ai dû insister pour qu’elle m’accorde un rendez-vous. Cette première rencontre, qui dura près de trois heures, fut le début d’une amitié sincère et d’un dialogue franc qui allait poursuivre pendant presque deux décennies, jusqu’à sa mort. On s’aimait beaucoup, d’une manière pudique et légère. Je l’écoutais, je l’enregistrais. J’ai eu aussi le privilège de l’accompagner lors d’un de ses voyages à Auschwitz-Birkenau. Un périple douloureux et bouleversant pour elle. Un jour, Simone m’a demandé ce que je comptais faire de nos longues heures d’entretien. Je lui ai promis que j’en ferai un livre. Je suis heureux d’avoir tenu ma promesse”, nous a raconté David Teboul en entrevue.

David Teboul (Carole Bellaiche photo)

Le 1er juillet 2018, les dépouilles de Simone Veil et de son époux, Antoine Veil, ont été été transférées au Panthéon. David Teboul fut chargé de mettre en scène cette cérémonie de “panthéonisation”. Cette journée solennelle, il a fait entendre aux Français une dernière fois la voix de Simone Veil et aussi les silences qu’elle a connus en déportation.

“Je suis allé à Auschwitz enregistrer toute une nuit le son du camp, son silence et l’aube à Birkenau. C’est un son calme, nourri de bruits d’animaux qui habitent aujourd’hui le camp, en complète opposition avec les hurlements des déportés la nuit, les râles de ceux qui mouraient. Nous avons diffusé cet enregistrement sonore lors de la cérémonie au Panthéon. Cet instant mémorable fut la minute de silence après le discours prononcé par le président Emmanuel Macron. À la fin de la cérémonie, la voix de Simone a été entendue dans tout le quartier, jusqu’en bordure du jardin du Luxembourg, pendant neuf heures d’affilée, de la fin de la matinée jusqu’à minuit.”

Quel est le trait de caractère de Simone Veil que David Teboul admirait le plus ?

” Sa force intérieure, confie-t-il. Simone possédait un caractère très fort qui lui a permis de se reconstruire après la guerre. Ses engagements admirables en faveur de la cause des femmes: en 1975, elle a été l’instigatrice de la Loi Veil, autorisant l’avortement —l’interruption volontaire de grossesse (IVG)—, dans les années 60, elle s’est battue férocement pour améliorer les conditions carcérales des femmes… J’admirais beaucoup son humanisme profond.”

David Teboul a dédié son livre à Albert Bulka, le plus jeune des enfants d’Izieu, gazé dès son arrivée à Auschwitz-Birkenau, à l’âge de quatre ans.

Le 6 avril 1944, quarante-quatre enfants juifs de différentes nationalités réfugiés dans une colonie de vacances située dans la commune d’Izieu furent arrêtés et déportés à Auschwitz-Birkenau par la Gestapo.

“Simone Veil était horrifiée chaque fois qu’on évoquait le sort atroce réservé aux enfants juifs dans les camps de la mort nazis. Elle ne comprenait pas pourquoi les nazis s’acharnaient de la sorte sur des enfants innocents. Dans le convoi no 71 qui l’a emmenée à Auschwitz-Birkenau avec sa mère, Yvonne, et sa sœur Madeleine se trouvaient aussi trente-quatre des quarante-quatre enfants raflés à la Maison d’Izieu. Parmi eux, le petit Albert Bulka. Il sera assassiné dès son arrivée à Auschwitz-Birkenau. J’ai lui ai dédié mon livre parce que le patronyme de ce garçon symbolise la folie exterminatrice nazie qui a trucidé des centaines de milliers d’enfants juifs, dont Simone Veil s’est toujours sentie très proche jusqu’à la fin de sa vie.”

Quel regard Simone Veil portait-elle sur le regain d’antisémitisme que la France connaît depuis le début des années 2000 ?

“Elle était consciente du danger que représente le retour de l’antisémitisme. Mais force est de rappeler que la France n’est pas le pays le plus terrible en matière d’antisémitisme. Il y a en France des actes antisémites, mais pas plus qu’aux États-Unis, où l’on assiste aussi à une recrudescence inquiétante de l’antisémitisme. Personne ne niera qu’il y a de l’antisémitisme et du racisme en France. Mais méfions-nous des généralisations.”

L’année dernière, à Paris, des boîtes aux lettres ornées du portrait de Simone Veil ont été taguées avec des croix gammées. Comment expliquer ce déferlement de haine contre une figure de proue de la scène publique française ?

“Jusqu’à sa mort, Simone Veil est demeurée la femme politique la plus admirée et la la plus aimée des Français. Ce n’est pas rien. Ce n’est pas quelques exactions abjectes antisémites qui porteront atteinte à la réputation et à la popularité dont elle jouissait auprès de ses compatriotes. Il y a de l’antisémitisme en France, mais la France n’est pas un pays antisémite. C’est un pays républicain porteur de valeurs humanistes. Aujourd’hui, dans tous les pays, on assiste à une montée des populismes et des frustrations sociales. La France n’échappe pas à ce phénomène.”

Quel est le principal legs politique de Simone Veil ?

“D’abord, la loi très importante autorisant l’avortement, qui porte son nom. Son deuxième legs majeur: son combat pour la mémoire de la Shoah et la reconnaissance des Justes, les non-Juifs qui ont sauvé de nombreux enfants israélites pendant la guerre. Beaucoup de Français ont caché des Juifs pendant la dernière Grande guerre. Dans les années 70, Simone Veil était très agacée quand elle entendait dire que les Français étaient antisémites et qu’ils avaient collaboré avec les nazis pendant l’occupation de la France. Elle n’aimait pas les approximations ni les comparaisons déplacées. Simone Veil était une femme de progrès, une humaniste hors pair. Elle a toujours combattu les extrêmes peu importe d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur nature. Elle était avant tout une Française, une démocrate et une républicaine invétérée.”