Ancien conseiller spécial du président français feu François Mitterrand, Jacques Attali, qui a été l’invité d’honneur du Festival Séfarad 2016, nous a livré ses prédictions pour l’élection présidentielle française, qui aura lieu le 23 avril et le 7 mai -deuxième tour-, au cours de l’entrevue qu’il a accordée au Canadian Jewish News lors de son passage éclair à Montréal.
La gauche socialiste subira-t-elle une cuisante défaite?
“La gauche française est soumise aux mêmes enjeux que toutes les gauches et tous les partis politiques du monde, c’est-à-dire à une remise en cause très profonde. La France est un des rares pays à ne pas avoir encore remplacé sa classe politique. Mais, un jour, la classe politique française sera remplacée par de nouveaux venus.”
Aujourd’hui, en France, les figures politiques montantes on les retrouve à gauche et à l’extrême droite, rappelle Jacques Attali.
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“Je crois beaucoup que la gauche a de l’avenir parce que quand on regarde ce qui se passe aujourd’hui, c’est plus à gauche qu’à droite qu’on voit de nouvelles têtes. Mais comme les politiques déçoivent toujours, la gauche, au pouvoir depuis 2012, déçoit aussi.”
Il est probable que la gauche perde les prochaines élections présidentielles, prédit l’ancien sherpa de François Mitterrand.
“J’ai écrit récemment dans un éditorial publié dans le magazine L’Express qu’on pourrait avoir un deuxième tour qui opposerait Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Tout est possible, y compris le scénario que Marine Le Pen se retrouve au deuxième tour de la présidentielle. La majorité des sondages prédisent ce scénario.”
L’élection de Marine Le Pen à la présidence de la France n’est plus un “scénario de science fiction”, avertit Jacques Attali.
“Marine Le Pen peut gagner puisque tous, à droite comme à gauche, pensent que celui qui sera en face d’elle au second tour est élu d’avance. Leur seul programme, et ils ont tort, est donc de discréditer leurs adversaires du premier tour. Or, plus ils s’entretuent, plus ils renforcent Marine Le Pen.”
C’est Jaques Attali qui a présenté Emmanuel Macron, 39 ans, à François Hollande.
Emmanuel Macron, qui a été ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement socialiste dirigé par Manuel Valls, a été en 2008 un proche collaborateur de Jacques Attali quand ce dernier présida la Commission pour la libéralisation de la croissance française instituée par François Hollande.
À la fin des années 70, c’est Jacques Attali qui présenta aussi à François Mitterrand François Hollande et son épouse de l’époque, Ségolène Royal, deux jeunes diplômés de l’École nationale d’administration de Paris (ENA), qui allaient assumer d’importantes fonctions politiques dans les gouvernements successifs présidés par François Mitterrand.
À l’instar de ce qui se passe aussi aujourd’hui dans les autres démocraties occidentales, la classe politique française est sérieusement affaiblie par l’aversion qu’éprouve à son égard une majorité de Français, explique Jacques Attali.
“La mondialisation a affaibli énormément le pouvoir politique. En réalité, la mondialisation n’est qu’une mondialisation des marchés et non une mondialisation de l’État de droit. Donc, le pouvoir politique étant de plus en plus affaibli, il est forcément discrédité et déconsidéré. Les citoyens cherchent un autre pouvoir politique susceptible de remplacer le pouvoir politique actuel qui, à leurs yeux, est très faible.”
La vague de populisme qui déferle sur la France depuis quelques années est la résultante de l’échec des partis de droite à incarner l’identité nationale, estime Jacques Attali.
“Ce populisme se nourrit de mauvaises pensées racistes et des difficultés d’intégration des immigrants.”
La recrudescence de l’antisémitisme en France n’inquiète pas outre mesure Jacques Attali.
“C’est vrai qu’il y a toujours eu des incidents antisémites en France. Mais les statistiques montrent qu’au contraire, heureusement, les chiffres relatifs aux actes antisémites perpétrés dans l’Hexagone sont en train de décroître. On ne peut pas dire qu’il y a une recrudescence de l’antisémitisme en France, même si ce problème sévit dans certains quartiers.”
D’après Jacques Attali, on ne peut pas non plus parler d’“exode massif” des Juifs de France, particulièrement vers Israël.
“Les statistiques prouvent le contraire. On m’a dit qu’un tiers des Juifs qui partent reviennent en France au bout de deux ans.”