Le grand retour sur scène de Gerineldo

Les membres de l’ensemble musical Gerineldo. De gauche à droite: Demetrios Petsalakis, Judith Cohen, Oro Anahory-Librowicz, Solly Levy, Tamar Ilana et Matan Boker MANISH POTHEN PHOTO
Les membres de l’ensemble musical Gerineldo. De gauche à droite: Demetrios Petsalakis, Judith Cohen, Oro Anahory-Librowicz, Solly Levy, Tamar Ilana et Matan Boker MANISH POTHEN PHOTO

Après vingt ans d’absence des scènes artistiques montréalaises, l’ensemble Gerineldo consacré à l’interprétation de la musique judéo-espagnole du Maroc sera de retour dans le cadre du Festival Séfarad de Montréal.

Les six chanteurs et musiciens de Gerineldo convient le public montréalais à un voyage musical fascinant à la découverte des mélodies onctueuses du riche répertoire musical judéo-espagnol des communautés sépharades natives des villes du nord du Maroc.

Une soirée musicale exceptionnelle qui aura lieu le 8 décembre, à 19h 30, au Petit Outremont -1248 avenue Bernard Ouest, Outremont.

Gerineldo est un romance sépharade populaire datant du Moyen-Âge qui relate l’itinéraire insolite d’un jeune homme amoureux choyé par la vie.

Oro Anahory-Librowicz, fondatrice de Gerineldo, et ses deux fidèles compagnons des tout premiers débuts de l’aventure de ce remarquable ensemble musical, Solly Levy et Judith Cohen, sont ravis d’être de retour sur une scène montréalaise après une longue parenthèse.

“Ce retour sur scène à Montréal sera un moment très émouvant pour les membres de Gerineldo. On ne peut pas nier la charge émotionnelle qu’il y a dans ces retrouvailles, qui ne sont pas banales”, nous a confié Solly Levy.

Fondé en 1981 par Oro Anahory-Librowicz, Gerineldo est un ensemble vocal et instrumental dont la vocation première est d’illustrer la tradition musicale judéo-espagnole du Maroc en interprétant les chansons et les romances que les Juifs du nord du Maroc ont conservés depuis leur expulsion d’Espagne en 1492.

Native de Tétouan (ville du nord du Maroc), Docteure en études hispaniques de la prestigieuse Columbia University de New York et spécialiste chevronnée des traditions musicales judéo-espagnoles sépharades, Oro Anahory-Librowicz a légué dernièrement à la Bibliothèque Nationale d’Israël les enregistrements et les textes explicatifs de centaines de chansons sépharades en judéo-espagnol qu’elle a recueillies depuis le début des années 80 auprès de communautés sépharades établies dans les quatre coins du monde. Un imposant projet musico-historique qui a été entièrement numérisé par la Bibliothèque Nationale d’Israël.

“À l’époque où le Groupe Gerineldo fut créé, le répertoire musical judéo-espagnol sépharade était fort peu connu. Tous les regards et toutes les oreilles étaient alors tournés vers l’Orient, c’est-à-dire vers la Turquie, la Grèce (en particulier la ville de Salonique), la Bulgarie, la Bosnie… Bref, vers tous les pays ayant appartenu à l’Empire Ottoman”, explique Solly Levy.

Éminent spécialiste de la Hakétia, judéo-langue vernaculaire parlée jadis par les Communautés juives qui vivaient dans les localités du nord du Maroc, Solly Levy est un brillant créateur culturel et un fervent ambassadeur de la culture sépharade. Il a consacré plusieurs livres à la Hakétia. Il a aussi adapté en judéo-arabe et mis en scène plusieurs grands classiques de Molière. Des pièces de théâtre hilarantes qui ont connu un grand succès.

Deux autres grandes passionnées de la musique judéo-espagnole se sont ensuite jointes à Gerineldo: Judith Cohen, Ashkénaze montréalaise, Docteure en ethnomusicologie de l’Université de Montréal, grande spécialiste de la musique traditionnelle judéo-espagnole orientale et marocaine, aujourd’hui professeure à l’Université York de Toronto, et Kelly Amar, l’une des meilleures solistes de la Chorale Kinor du Centre Communautaire Juif de Montréal.

De 1981 à 1994, Gerineldo donna de nombreux récitals à Montréal, dans le cadre de la Quinzaine Sépharade, dans d’autres villes du Canada, en Israël, en Espagne, aux États-Unis, au Venezuela… Des tournées musicales qui ont connu un grand succès.

En 1994, Gerineldo cessa de se produire sur scène après le décès de David Amar Z.’L’., l’époux de Kelly Amar. Depuis ce jour-là, cette brillante soliste n’a plus eu le cœur à chanter sur scène. Par amitié et solidarité avec Kelly Amar, les autres membres de Gerineldo décidèrent de mettre fin aux activités artistiques du Groupe.

La dispersion de Gerineldo dura 20 ans.

Au printemps 2014, Gerineldo fit un retour très remarqué au Centre Communautaire Juif de Paris. D’autres spectacles acclamés par le public dans des salles combles suivirent, organisés par l’Association judéo-espagnole Aki Estamos à Paris, l’Alliance française de Toronto

Le spectacle que Gerineldo présentera à Montréal le 8 décembre est-il destiné principalement à un public hispanisant familier avec la langue judéo-espagnole ?

“Pas du tout. Ce concert s’adresse à tous les amateurs de musiques du monde. Ce n’est pas un spectacle théâtral, mais un récital de chansons”, précise Oro Anahory-Librowicz.

Une quinzaine de chansons issues du patrimoine musical judéo-espagnol marocain -des cantiques de mariage, des romances sépharades, des piyoutim…- seront interprétées. À tour de rôle, Oro Anahory-Librowicz et Judith Cohen expliqueront les origines de ces mélopées et leur évolution au fil des siècles.

Les membres de Gerineldo préfèrent parler de “renaissance” plutôt que de “retour”.

Les voix vibrantes et lumineuses de deux jeunes chanteurs très talentueux, qui se sont joints à Gerineldo lors du retour sur scène du Groupe en 2014, Tamar Ilana et Matan Boker, ont redonné un souffle nouveau à cet ensemble musical entièrement dévoué à la perpétuation du merveilleux patrimoine musical judéo-espagnol marocain.

Tamar Ilana, 29 ans, est la fille de Judith Cohen. Durant son enfance et son adolescence, elle accompagna sa mère lors des tournées effectuées par Gerineldo dans plusieurs pays. Elle connaît parfaitement tout le répertoire de Gerineldo. Aujourd’hui, Tamar Ilana est une artiste célèbre excellant dans le chant flamenco. Elle donne des spectacles dans de nombreux pays. Lors du récital du 8 décembre, elle interprétera la version flamenco du romance judéo-espagnol intitulé Gerineldo.

Matan Boker, 21 ans, est le petit-fils de Solly Levy. À l’âge de 7 ans, son grand-père l’initia à la liturgie sépharade en lui enseignant des piyoutim de la tradition judéo-espagnole marocaine.

“La présence de ces deux jeunes chanteurs extraordinaires au sein de Gerineldo est une chance inouïe et un signe de renouveau très encouragent pour l’avenir de la tradition musicale que notre Groupe s’escrime à préserver et à transmettre”, dit Oro Anahory-Librowicz.

La principale priorité artistique du Groupe Gerineldo a toujours été de  réhabiliter l’“authenticité” du patrimoine musical judéo-espagnol marocain, rappelle Oro Anahory-Librowicz.

“Nous avons créé Gerineldo pour faire connaître à différents publics, et pas seulement au public juif, une riche tradition qui, malheureusement, est en train de disparaître, dit-elle. Notre souci majeur a toujours été de préserver l’“authenticité” musical des mélodies judéo-espagnoles marocaines que nous interprétons. Depuis 1992, le Séphardisme est très à la mode en Espagne. On a vu alors apparaître sur la scène artistique espagnole de nombreux groupes musicaux se réclamant de la tradition sépharade mais qui n’ont jamais entendu une femme sépharade chanter les chansons qu’ils interprètent. Ils ont appris ces chansons d’autres personnes peu familières avec la vraie tradition musicale sépharade. Cette tradition est passée par tellement d’arrangements musicaux qu’on ne la reconnaît plus. Un travail de retour aux sources originelles était nécessaire. C’est ce que Gerineldo a fait depuis sa fondation il y a trente-cinq ans. Les versions des chansons que nous interprétons sont basées sur des chants que j’ai moi-même recueillis à Montréal, en Israël, en Espagne, au Venezuela… auprès de membres des communautés sépharades vivant dans ces pays.”

La musique judéo-espagnole sépharade interprétée par Gerineldo remonte-t-elle à l’époque médiévale?

“Non. Cette musique a évolué au cours des siècles, explique Judith Cohen. Le même romance a une mélodie différente selon qu’il est chanté à Istanbul, à Salonique, à Tanger, à Larache… Il faut établir une distinction entre le répertoire musical et le style musical. Le répertoire musical judéo-espagnol se perpétue. Aujourd’hui, beaucoup de personnes continuent à chanter des chansons appartenant à ce répertoire. Cependant, le répertoire musical judéo-espagnol marocain est moins populaire que le répertoire musical sépharade turc ou grec.  Mais, regrettablement, le style musical traditionnel judéo-espagnol sépharade a presque disparu. Celui-ci a complètement changé au fil du temps. Gerineldo s’est donné pour mission de maintenir vivace ce style musical traditionnel.”

Un jeune musicien d’origine grecque, Demetrios Petsalakis, virtuose du oud, accompagne Gerineldo sur scène.

Judith Cohen joue avec aisance la vielle à archet médiéval et des instruments de percussion à main.