Jean-Jacques Fraenkel, survivant de la Shoah dont la famille a été déportée et assassinée au camp d’Auschwitz-Birkenau pendant la Deuxième Guerre mondiale, mène depuis de nombreuses années un combat ardu et des plus admirables: défendre les droits des victimes et des rescapés de la Shoah dont les avoirs ont été spoliés pendant l’occupation de la France par les nazis.
En 1999, Jean-Jacques Fraenkel, citoyen canadien, a fondé la Coordination off shore des enfants juifs survivants de la Shoah ayant vécu en France.
Cette association s’est fixé comme mission de défendre l’honneur, la mémoire et les droits de tous les survivants de la Shoah dépossédés de leurs biens par la France de Vichy.
Le principal objectif de la Coordination off shore des enfants juifs survivants de la Shoah ayant vécu en France: que les rescapés de cette effroyable tragédie, spoliés et persécutés en France pendant la dernière Grande Guerre, ou leurs descendants, soient indemnisés par le gouvernement français.
Un profond différend oppose actuellement Jean-Jacques Fraenkel aux membres de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) au sujet du dossier d’indemnisation de son grand-oncle, le Dr Marcus Fraenkel, et d’un incident survenu lors d’une des séances de la Commission.
Jean-Jacques Fraenkel nous a donné son point de vue sur ce démêlé avec la CIVS. Il a répondu à nos questions par écrit.
Par souci d’éthique journalistique, le 9 février dernier, nous avons adressé une lettre à M. Michel Jeannoutot, président de la CIVS, pour lui demander les raisons pour lesquelles son organisation refuse de réexaminer le dossier du Dr Marcus Fraenkel et sa version des faits au sujet de l’incident qui nous a été rapporté par Jean-Jacques Fraenkel. Nous n’avons reçu à ce jour aucune réponse.
Ce n’est pas la première fois que vous soumettez un dossier d’indemnisation à la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS). Combien de fois avez-vous obtenu gain de cause auprès de cette commission ?
Depuis sa création, en 1999, la Coordination off shore des enfants juifs survivants de la Shoah ayant vécu en France a défendu auprès de la CIVS environ 122 dossiers, y compris ceux sous-traités par nos avocats. Le taux de réussite a été d’environ de 95 %, mais le taux de satisfaction de nos requêtes n’a été que d’environ 22 %. Malgré notre détermination acharnée à faire respecter les droits légaux des survivants de la Shoah que notre association défend avec opiniâtreté, la CIVS a souvent, avec la plus mauvaise foi, refusé d’indemniser équitablement les ayants droit. Les victoires que nous avons remportées ont eu des répercussions positives sur un grand nombre des quelque 28 000 demandes d’indemnisation traitées par la CIVS. Je tiens à rappeler que notre association a été la première et la seule à proposer ses services gratuitement pour défendre l’honneur des survivants de la Shoah spoliés en France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Présentez-nous le cas de votre grand-oncle, le Dr Marcus Fraenkel, pour lequel vous réclamez aujourd’hui une indemnisation auprès du CIVS.
Mon grand-oncle, le Dr Marcus Fraenkel, est né à Kamenetz-Podolsky, en Russie, le 13 Avril 1864. Naturalisé français en 1895, il était médecin attitré auprès du ministère français de l’Intérieur. Il a obtenu son Doctorat de médecine en France en 1894. Officier d’Académie (1908) et Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur (1929), le Dr Marcus Fraenkel s’est notoirement distingué par ses nombreux services qu’il a rendus à la France, particulièrement pendant la Grande Guerre de 1914-1918. Il a été l’inventeur d’un gaz qui permettait d’anesthésier les patients en salle d’opération avant leur intervention chirurgicale. Il est mort en 1945 dans le plus grand dénuement. Il a été enterré dans une fosse commune en tant qu’indigent. Il m’a fallu trois ans de recherches intensives pour retrouver le lieu de sa sépulture. La totalité de ses biens matériels et incorporels ont été spoliés pendant la guerre.
Quels sont les biens et les avoirs que l’État français a saisis au Dr Marcus Fraenkel pendant la Seconde Guerre mondiale ?
La totalité de ses biens qui meublaient un appartement bourgeois situé dans le 17ème arrondissement de Paris; son cabinet médical; sa bibliothèque, qui comprenait des livres anciens de médecine d’une grande valeur scientifique; sa voiture; son compte en banque et ses avoirs; ses brevets d’invention et les droits s’y rattachant à ceux-ci, également ses droits sur son livre traitant d’une nouvelle technologie novatrice d’anesthésie qu’il a inventée…
Que réclamez-vous aujourd’hui à la CIVS ?
J’ai déposé le dossier d’indemnisation de mon grand-oncle, le Dr Marcus Fraenkel, auprès de la CIVS le 25 septembre 2014. Sur ma demande et celle de mon avocat, ce dossier a été présenté à la CIVS à quatre reprises. Mon grand-oncle a été partiellement indemnisé pour ses biens matériels. Mais la CIVS refuse de revoir les montants des spoliations matérielles et incorporelles auxquels il a eu droit. Ceux-ci ne correspondent pas, et de très loin, à la valeur réelle des biens qui lui ont été volés. La CIVS refuse aussi de reconnaître, malgré les preuves que nous avons présentées, que le Dr Marcus Fraenkel était médecin agréé du ministère français de l’Intérieur et de verser à ses ayants droit la rente de sa retraite que ni lui ni son épouse, survivante de la Shoah, n’ont jamais perçue de leur vivant. À cela s’ajoute la confiscation de ses “parts réservées” qui sont dues à sa descendance. Pour justifier ce refus, un rapporteur de la CIVS a présenté une généalogie très étrange du Dr Marcus Fraenkel qui a été rejetée, car inexacte, par plusieurs institutions de généalogie françaises reconnues.
Quelles raisons ont invoqué les membres du CIVS pour ne pas réexaminer le dossier du Dr Marcus Fraenkel et vous opposer une fin de non-recevoir catégorique ?
La raison principale du refus de la CIVS: sa grande crainte d’être obligée de faire bénéficier les héritiers de mon grand-oncle de l’amendement de 1945 voté à la Libération de la France qui prévoit que : tous les Juifs fonctionnaires de l’État de France qui ont été exclus de la fonction publique seront réintégrés dans leurs fonctions avec une qualification supérieure et recevront tous les salaires et avantages sociaux dont ils ont été privés. Tous leurs droits à la retraite leur seront aussi restitués.
Si la CIVS reconnaît qu’effectivement le Dr Marcus Fraenkel était bien un médecin agréé du ministère de l’Intérieur, tous les fonctionnaires de France, ou leurs héritiers, devraient alors recevoir aussi des indemnisations importantes du gouvernement français car celui-ci sera forcé par la loi d’appliquer les dispositions de l’amendement datant de 1945 que j’ai découvert dans les archives il y a environ dix ans.
Si je gagnais mon combat contre la CIVS, ce serait certes une grande victoire pour tous les enfants des fonctionnaires juifs expulsés de la fonction publique française et morts dans les chambres à gaz nazies. Ce serait aussi une grande victoire contre l’antisémitisme passé et présent.
Relatez-nous l’incident dont vous avez été l’objet de la part d’un membre de la CIVS.
Le 14 juin 2019, lors de la quatrième Commission appelée à statuer sur le dossier du Dr Marcus Fraenkel, mon avocat, Maître Christian Roth, sa juriste et moi avons été violemment agressés par un membre de la CIVS pendant environ une heure sans qu’aucun des onze membres de celle-ci n’intervienne pour que cette provocation haineuse cesse.
Quand nous sommes entrés dans la salle, l’un des membres de la CIVS avait déjà tourné sa chaise vers le mur auquel il faisait face. J’étais assis de l’autre côté de la table, face à son dos. Je n’ai eu aucun échange verbal avec ce Monsieur, même quand, environ une heure après le début de la séance, il s’est mis à hurler “c’est faux, c’est faux” quand j’ai demandé aux membres de la Commission, au moment de clôturer la séance, de bien vouloir considérer la demande de réexamen du dossier du Dr Marcus Fraenkel formulée par mon avocat. Ce Monsieur, toujours tourné vers le mur, s’est mis alors à hurler : “Pas moi, pas moi”. Ce à quoi je lui ai répondu : “Cela ne me surprend pas venant de vous”. Pendant la tenue de cette Commission, qui a duré environ une heure, pas une seule fois l’un de ses membres, ni son président, ni son vice-président, ni son rapporteur général… n’est intervenu pour faire cesser cette agression manifeste contre moi principalement, mais aussi contre mon avocat et sa juriste.
Avez-vous toujours confiance en la CIVS ?
Nous n’avons jamais eu l’occasion d’accorder notre confiance à la CIVS, car dès le traitement des premiers dossiers, en janvier 2000, soixante-cinq ans après les vols et les spoliations des biens appartenant aux Juifs vivant en France, cette Commission s’est efforcée d’inciter les requérants à abandonner leurs requêtes en les culpabilisant, en les accusant d’être de mauvais Français qui demandaient des indemnisations alors que les autres Français ayant subi aussi la guerre ne réclamaient rien, en contestant nos demandes de réparation ou en refusant les indemnisations au prétexte qu’elles n’entraient pas dans le cadre du Décret datant 19 septembre 1999. Or force est de rappeler que lors de sa promulgation, ce Décret n’était assujetti à aucune limite ou exclusion applicable aux biens matériels ou incorporels appartenant aux Juifs dépouillés sous la contrainte par la violence, par la fraude ou par un abus de pouvoir.