Après son échec à former une coalition gouvernementale, Benyamin Netanyahou jouera-t-il son avenir politique lors des nouvelles élections législatives israéliennes qui se tiendront le 17 septembre prochain ?
Nous avons posé la question au politologue israélien Emmanuel Navon.
Né en France en 1971, Emmanuel Navon a fait son Aliya en 1993. Il est diplômé de Sciences Po Paris et détenteur d’un doctorat en relations internationales de l’Université hébraïque de Jérusalem. Il est actuellement professeur de relations internationales à l’Université de Tel Aviv et à l’Université IDC Herzliya, chercheur senior au Kohelet Policy Forum — un centre de recherches et d’études spécialisé dans l’analyse des politiques gouvernementales israéliennes — et analyste politique senior à la chaîne d’information en continu israélienne i24News.
En 2012, Emmanuel Navon a brigué un siège à la Knesset sous la bannière du Likoud. Une expérience politique infructueuse qui l’a incité à prendre ses distances vis-à-vis de la politique active. Il se considère plutôt aujourd’hui comme un “membre critique” du Likoud.
Vous attendiez-vous à ce que les plans politiques concoctés par Benyamin Netanyahou soient ruinés par son ancien allié, Avigdor Lieberman?
Il fallait s’y attendre dans la mesure où les relations entre Avigdor Lieberman et Benyamin Netanyahou sont exécrables depuis plusieurs années. À la lumière de ce dont on avait déjà été témoin en 2015, ce nouvel affrontement était prévisible. En 2015, Lieberman avait décidé, au dernier moment, de ne pas rejoindre la coalition gouvernementale mise sur pied par Netanyahou. Il avait laissé ce dernier avec seulement 61 députés, c’est-à-dire avec une coalition très étroite. Il vient de récidiver. Sauf que cette fois-ci, Netanyahou, sans l’appui de Lieberman, ne pouvait compter qu’avec 60 députés au lieu de 61. Résultat: il n’a pas pu former une coalition.
Benyamin Netanyahou tente désespérément de ne pas céder son fauteuil de premier ministre.
C’est clair. C’est la raison pour laquelle il a poussé ses députés à voter pour l’autodissolution de la Knesset alors qu’ils venaient d’être élus. D’après la loi, si le candidat désigné par le président d’Israël ne parvient à former une coalition, ce dernier doit alors confier cette tâche à un autre candidat. C’est pour empêcher le président Reuven Rivlin de faire usage de son pouvoir que Netanyahou a forcé ses députés à voter pour l’autodissolution de la Knesset, contre leur volonté.
Qui pourrait succéder à Benyamin Netanyahou? Dans le contexte politique israélien actuel, cette question est loin d’être évidente.
Reuven Rivlin aurait pu demander à un autre membre du Likoud de former un gouvernement. Le mieux positionné pour mener à terme cette tâche ardue est indéniablement Gideon Sa’ar. Mais pour cela il faudrait préalablement que le Likoud organise des primaires pour élire un nouveau chef. Il est grand temps que ce parti prenne le pouls de ses membres afin de déterminer ce qu’ils souhaitent réellement. La dernière fois qu’il y a eu des élections au Likoud, c’était en décembre 2014. Ça fait un moment. En 2016, Netanyahou a organisé de fausses élections au Likoud pour empêcher tout rival de se présenter contre lui. Il a donc été réélu chef du Likoud par acclamation. Mais que veulent aujourd’hui les membres de ce parti? Continuer à s’accrocher à Netanyahou, au risque que ce dernier ne puisse pas former une coalition viable, ou le remplacer par quelqu’un comme Gideon Sa’ar et permettre ainsi la constitution d’un gouvernement d’union nationale avec le parti Bleu-Blanc. D’après les plus récentes enquêtes d’opinion, une majorité d’Israéliens souhaitent la formation d’un gouvernement d’unité nationale.
Les élections en Israël sont un véritable casse-tête arithmétique. Quels sont vos pronostics pour celles qui se tiendront le 17 septembre prochain?
La Knesset compte 120 députés. Afin de former une majorité gouvernementale, il en faut donc au moins 61. Lors des dernières élections, le 9 avril, Netanyahou n’a pu en réunir que 60, en raison du refus de Lieberman d’entrer avec ses 5 députés dans la coalition. Pour se maintenir au pouvoir, Netanyahou a donc absolument besoin d’un bloc de 61 députés. Ce scénario est difficilement réalisable dans la conjoncture politique israélienne actuelle. La seule possibilité de réunir 61 députés serait que les petits partis de droite s’unifient afin de passer le seuil d’éligibilité imposé par la Knesset. Mais même une coalition constituée de 61 députés sera ingérable. C’est la raison pour laquelle, en 2016, Netanyahou avait fini par faire entrer Lieberman dans son gouvernement. Avec 61 députés ce sera une coalition vulnérable. Il faudra que tous les députés qui appuient Netanyahou soient constamment présents à la Knesset afin d’empêcher l’opposition de faire facilement obstruction aux résolutions et aux lois proposées par le gouvernement. Pour avoir une latitude confortable, il faudrait que Netanyahou constitue un bloc de 62 députés, sans l’appui de Lieberman. Je ne suis pas du tout sûr qu’il pourra atteindre cet objectif. À cet effet, comme je l’ai déjà dit, il suffit de jeter un coup d’œil aux plus récents sondages pour constater qu’une majorité d’Israéliens veulent un gouvernement d’union nationale entre le Likoud et le parti Bleu-Blanc. Le hic: Bleu-Blanc ne dit pas non à une coalition avec le Likoud, mais impose une condition non négociable: que Netanyahou s’en aille.
Les trois inculpations judiciaires — fraude, corruption et abus de confiance — qui pèsent sur Benyamin Netanyahou auront-elles des incidences sur l’élection du 17 septembre ?
Je ne le crois pas car ces trois dossiers judiciaires n’ont pas influencé les électeurs de Netanyahou lors du scrutin du 9 avril dernier. Ces dossiers ne devraient pas connaître de développements majeurs avant le 17 septembre, date des prochaines élections. En effet, l’audience en présence des avocats de Netanyahou est prévue début octobre, soit à peu près deux semaines après les élections. Je ne pense pas que ces inculpations judiciaires contre Netanyahou auront un grand impact lors du scrutin du 17 septembre, à moins qu’il y ait de nouvelles révélations par les médias sur la teneur de ces dossiers ou que l’opposition décide d’en faire un sujet central de l’élection.
S’il arrive à former une coalition, Benyamin Netanyahou parviendra-t-il à faire adopter par la Knesset une loi lui garantissant l’immunité parlementaire, qui lui permettra, tant qu’il sera premier ministre, d’échapper à la justice?
Ce type de loi, en vigueur dans certains pays d’Afrique ou en Turquie, est un réel affront pour une démocratie vibrante comme Israël. Beaucoup de gens de droite, comme moi, sont vigoureusement opposés à l’adoption d’une telle législation. Même si Netanyahou remporte les prochaines élections, je ne pense pas qu’il parviendra à faire passer à la Knesset une telle loi digne d’une république bananière. Ce n’est pas sûr du tout qu’il aura le temps de légiférer avant son audience et son éventuelle mise en examen par le procureur général de l’État. D’après la loi, qui est très claire sur ce point, Netanyahou ne sera pas contraint de démissionner s’il est mis en examen. Il ne devra le faire que s’il est condamné par la justice.
Les partis religieux sont-ils de plus en plus influents dans l’arène politique israélienne?
Leur poids électoral n’a pas beaucoup augmenté ces dernières années. En revanche, les partis orthodoxes se sont de plus en plus droitisés. On les voit difficilement dans une coalition autre qu’avec le Likoud. Également, le parti Bleu-Blanc ne pourra pas forger une coalition sans le soutien des partis orthodoxes. Les Haredim ne sont pas totalement opposés à l’idée d’intégrer une coalition dirigée par Bleu-Blanc. Mais ils formuleront à ce sujet une demande inflexible: que Yair Lapid, qu’ils considèrent comme un virulent détracteur des orthodoxes, renonce à la prérogative que lui conférera un gouvernement de rotation. C’est-à-dire, ne pas assumer la fonction de premier ministre comme le prévoit l’accord qu’il a paraphé avec Benny Gantz. Les orthodoxes sont prêts à discuter avec Gantz, mais jamais avec Lapid. Évidemment, Lapid récuse ce scénario qu’il a qualifié de “loufoque”.
Les négociations israélo-palestiniennes sont au point mort depuis quelque temps. Quelle place occupera ce thème dans la campagne électorale qui s’amorce?
Les négociations avec les Palestiniens sont un sujet qui n’intéresse que les chefs d’État étrangers et les médias internationaux. Elles indiffèrent au plus haut point les Israéliens, qui sont complètement blasés de ce sempiternel problème. En Israël, c’est un non-issue, comme disent les Anglo-Saxons.
Donc, vous n’êtes pas optimiste pour ce qui est d’une prochaine relance des pourparlers israélo-palestiniens.
Ne nous leurrons pas! Même quand il y avait des négociations entre Israël et les Palestiniens, celles-ci ne menaient nulle part. Au dernier moment, les négociations bloquaient toujours à cause des grandes questions de fond: les réfugiés palestiniens, Jérusalem… Les dirigeants palestiniens préfèrent tabler sur le statu quo: Mahmoud Abbas maintient son pouvoir en Cisjordanie et le Hamas continue à contrôler la bande de Gaza. Toutes les tentatives de réconciliation entre le Hamas et le Fatah ont échoué. Les Palestiniens n’ont pas été appelés aux urnes depuis 2005. Comme modèle démocratique, nous avons déjà vu mieux! Dans la rue palestinienne, il y a une grande frustration vis-à-vis de Mahmoud Abbas parce qu’il est perçu comme l’homme du statu quo qui veut à tout prix se maintenir au pouvoir pour préserver ses intérêts économiques et ceux de sa famille.
Avec la tenue de nouvelles élections législatives en Israël, qu’en sera-t-il du plan de paix que Donald Trump s’apprête à dévoiler?
Donald Trump avait repoussé le dévoilement de son plan de paix pour que Netanyahou n’ait pas à se prononcer sur celui-ci avant les élections du 9 avril. Le président américain est très frustré car il va devoir de nouveau reporter, après le 17 septembre, la présentation de son plan de paix.