À la recherche de la Ménorah disparue…

Bernard Benyamin (à droite) et Yohan Perez. (Éditions First photo)

Disparue en l’an 70 après Jésus-Christ, la Ménorah, le chandelier à sept branches, devenu le plus vieux symbole du peuple juif, se trouve-t-elle dans les caves du Vatican ou cette hypothèse relève-t-elle de la légende ?

C’est l’énigme, l’une des plus vieilles du judaïsme, que tentent d’élucider Bernard Benyamin et Yohan Perez dans leur livre Le secret de la Ménorah, paru récemment aux Éditions First.

Une enquête haletante, qui se lit comme un thriller, menée tambour battant de Paris jusqu’aux portes du Vatican, à Rome, en passant par les milieux orthodoxes de Jérusalem.

Un récit théologico-historique enlevant qui nous happe dès les premières pages.

Bernard Benyamin et Yohan Perez sont les coauteurs d’un autre livre-enquête passionnant qui a connu un grand succès international —il a été traduit en une dizaine de langues—: Le Code d’Esther (Éditions First, 2012).

Journaliste, producteur et animateur, Bernard Benyamin est l’un des pionniers du journalisme d’enquête en France. Il est le créateur, avec Paul Nahon, de la populaire émission hebdomadaire Envoyé spécial, diffusée sur la chaîne de télévision France 2.

Yohan Perez est réalisateur de programmes pour la télévision et consultant en conseil et stratégies pour des entreprises.

Bernard Benyamin nous a accordé une entrevue depuis Paris.

 

 

Comment est née l’idée de cette nouvelle enquête ?

Étonnamment, le thème de ce livre nous a été suggéré par un lecteur de notre ouvrage précédent, Le Code d’Esther, que nous avons surnommé “Mr Nobody”. Il nous avait envoyé un message: “Votre livre est en train de changer ma vie”. Un jour, en rentrant chez moi, j’ai trouvé sous la porte une enveloppe contenant la moitié d’une photo qui avait été déchirée en deux. Quelques mots étaient inscrits: “J’espère que vous êtes à présent en paix avec vos morts… Il serait temps que vous repreniez votre enquête parmi les vivants…” Yohan Perez a trouvé aussi en entrant chez lui une enveloppe recelant l’autre moitié de la photo. Quand nous avons collé les deux morceaux, nous avons constaté que c’était une photo d’un bas-relief de l’arc de triomphe édifié à la mémoire de l’empereur Titus, à Rome, dans laquelle figurait l’un des objets les plus sacrés de la religion juive: la Ménorah, le chandelier à sept branches porté par des esclaves juifs. Depuis que cette Ménorah a été ramenée par Titus à Rome en l’an 70 après Jésus-Christ, après la destruction du second Temple de Jérusalem, on n’a jamais pu retrouver la moindre trace de celle-ci. C’est “Mr Nobody” qui nous a mis sur la voie de la Ménorah. Nous ne savions pas alors s’il nous manipulait ou s’il voulait au contraire nous aider dans notre enquête. La suite nous confirmera qu’il était là pour nous simplifier le travail.

Dans quelle catégorie littéraire doit-on classer ce livre : récit historique, roman… ?

C’est une enquête et un récit basés sur des faits historiques authentiques. Tous les personnages de ce livre sont réels. Nous les avons rencontrés à Paris, à Jérusalem, à Rome… Ce sont d’éminents Rabbins, des spécialistes reconnus du judaïsme et de l’histoire du peuple juif, des guides chevronnés, comme Marco Misano, avec lequel nous avons visité la chapelle Sixtine, sise dans l’un des palais pontificaux du Vatican.

Dans votre enquête, on croise des personnages hors du commun, comme l’ancien Grand Rabbin de Tripoli, le Rav Itzhak Haïm Bokobza. Cette figure rabbinique a joué un rôle de premier plan dans les tentatives de recherche de la Ménorah.

J’ai toujours un pincement au cœur en pensant au Rabbin Itzhak Haïm Bokobza. Son histoire incroyable et tragique est bouleversante. Grand Rabbin de Tripoli et président du Tribunal rabbinique de cette ville dans les années 30, à l’époque où la Libye faisait partie de la colonie italienne appelée la Tripolitaine, le Grand Rabbin Bokobza s’était lié d’amitié avec le roi Victor-Emmanuel III d’Italie. Le monarque l’invita au mariage de son fils, à Rome. Toutes les têtes couronnées d’Europe, ainsi que Benito Mussolini, étaint présents à ce grand événement. À la fin de la somptueuse réception qu’il offrit en l’honneur des nouveaux mariés, le roi demanda au Rav Bokobza: “Si tu as un vœu à formuler, si je peux l’exaucer, je le ferai”. Ce dernier lui demanda quelque chose de précis. Les choses vont mal se passer… Je laisse aux lecteurs le soin de découvrir la suite de cette histoire sidérante. Récemment, lors d’une présentation du livre à la mairie du XVIe arrondissement de Paris, une femme octogénaire de petite taille s’est approchée de nous et nous a dit : “Je confirme tout ce que vous venez de raconter sur le Grand Rabbin Bokobza. Je suis son arrière-petite-fille”.

Avant d’amorcer votre enquête, vous, Bernard Benyamin, aviez une perception plutôt négative des Juifs orthodoxes. Pourquoi ?

C’est vrai. Je considérais tous ces hommes en noir, que j’appelais “Men in Black“, comme faisant partie d’une secte. Je les percevais comme des Juifs sectaires, très rigoristes sur le plan de l’observance des lois talmudiques, pas drôles du tout, très refermés sur eux-mêmes. Mais, je dois vous avouer qu’au cours de l’écriture de ce livre avec mon camarade, Yohan Perez, nous avons rencontré des Juifs ultra-orthodoxes brillants, très cultivés, qui savent de quoi ils parlent, extrêmement drôles, ayant un sens inouï de l’autodérision. Ces hommes sont des puits de science qui, tout en n’ayant pas des réponses à tout, sont d’authentiques éclaireurs dans notre monde brumeux.

Vous avez rencontré à Jérusalem un éminent spécialiste de l’histoire de la Ménorah, un Rabbin épatant, David Ménaché. Ce fut une rencontre qui vous a beaucoup marqués.

Enfant surdoué et génie des mathématiques, le Rabbin David Ménaché est l’héritier d’une histoire inouïe. Il a fait ses études universitaires à l’Universita Sacre-Cuore, institution académique sous la houlette du Vatican. Ses camarades de classe catholiques —il était le seul étudiant juif parmi 17 000 étudiants chrétiens— étaient exaspérés de voir ce jeune Juif remettre constamment en cause tous les principes fondateurs de la religion chrétienne. Ils lui ont alors proposé un marché: qu’il se convertisse au christianisme et, en contrepartie, il pourrait avoir accès aux caves du Vatican afin de vérifier de ses propres yeux si la Ménorah s’y trouvait. Le Rav Ménaché décida alors de narguer ses compagnons d’étude en leur faisant croire qu’il acceptait leur proposition. Mais, avant de se rendre au Vatican, il tenait absolument à recueillir l’avis de l’un des ses maîtres, à Bnei Brak, en Israël. L’illustre Rabbin lui dit: “Ne va pas au Vatican et, surtout, ne t’approche jamais de la Ménorah parce que l’histoire de celle-ci ne relève pas des hommes mais de Dieu”. Comme dans la quête du Graal, j’ai souvent tendance à dire qu’il y a surtout dans cette histoire le mot “quête”, avec tout ce qu’il comporte. Toutes les personnalités rabbiniques que nous avons rencontrées au cours de notre enquête nous ont dit aussi unanimement : “Ne vous approchez pas de la Ménorah. Ce n’est pas une question humaine, c’est une question qui relève du divin. Tenez-vous éloignés de celle-ci.”

Quand vous avez amorcé votre enquête, aviez-vous bon espoir de retrouver un jour la Ménorah?

Pas vraiment. En revanche, nous étions sûrs d’une chose : que nous allions entamer un périple extraordinaire au cours duquel nous allions rencontrer des personnages fascinants, apprendre des histoires passionnantes et replonger dans des textes qui font partie des écrits sacrés fondateurs de la religion juive.

Bernard Benyamin (à gauche) et Yohan Perez aux côtés d’une Ménorah à Jérusalem. (Éditions First photo)

Votre visite guidée de la chapelle Sixtine à Rome a été indéniablement l’un des moments forts de votre enquête.

Ça a été une découverte effarante. Généralement, quand on pense à la chapelle Sixtine, on espère voir dans la somptueuse fresque du plafond peinte par Michel-Ange: la vierge Marie, le Christ, les apôtres… Mais, en fait, n’apparaissent dans celle-ci que des prophètes juifs. Marco Misano, le guide qui nous a accompagnés lors de cette visite, nous a expliqué qu’au millimètre près, la chapelle Sixtine a été édifiée sur le modèle du premier Temple de Jérusalem.

Nombreux sont les experts qui affirment que la Ménorah se trouve dans les caves du Vatican. Cette hypothèse est-elle plausible ?

C’est certainement l’hypothèse la plus plausible. Tous les Juifs sont résolument convaincus que la Ménorah est cachée dans les caves du Vatican. À tel point que chaque fois qu’un nouveau pape est élu, le président de la communauté juive de Rome lui demande: “Quand-est-ce que nous pourrons voir la Ménorah?” Et, à chaque fois, la réponse du Saint-Père est la même: “Il n’y a aucune Ménorah au Vatican”. Cette hypothèse a la vie dure. Évidemment, le Vatican ne pourra jamais admettre que la Ménorah se trouve dans ses caves car ce serait l’aveu de 2000 ans de mensonges.

Quelles sont les autres hypothèses crédibles ?

Que la Ménorah aurait été enterrée sous le premier Temple de Jérusalem. Le roi Salomon a construit ce Temple après que son père, le roi David, ait fait un rêve dans lequel on l’intimait de construire un Temple à Jérusalem. Comme il n’a pas pu réaliser ce voeu, c’est son fils, le roi Salomon, qui édifiera le Temple à Jérusalem. Le roi David a eu ensuite une seconde vision: le Temple sera détruit par les Romains. Il fallait donc construire une cachette, une pièce secrète, afin de protéger tous les ustensiles religieux: l’Arche de l’Alliance, la Ménorah, le bâton de Moïse… Il y a une possibilité que la Ménorah soit enfouie sous le site où le premier Temple fut construit. Le problème, c’est qu’aujourd’hui la mosquée Al-Aqsa a remplacé le Temple. Et, pour le moment, il est hors de question de mener des fouilles archéologiques dans ce lieu sacré. Donc, on ne pourra pas savoir si cette pièce secrète existe ou non. Si elle existe, elle pourrait renfermer l’Arche de l’Alliance et la première Ménorah, celle d’inspiration divine qui est à l’origine de toutes les autres Ménoroth que le roi Salomon avait commandées pour l’inauguration du Temple de Jérusalem.

La Ménorah était considérée par les ennemis du peuple juif, notamment les Romains, comme un objet de culte symbolisant la puissance et la pérennité des Juifs. Est-ce pour cette raison que les Romains se sont escrimés à effacer la moindre trace de ce chandelier sacré?

Le Midrash raconte une histoire à ce sujet qui est assez étonnante. Quand l’empereur Titus décide de raser Jérusalem, le Temple est incendié. Pendant que ce lieu sacré du judaïsme est en flammes, un légionnaire romain interpelle un Juif qui se trouvait aux abords, que le Midrash décrit comme un Juif qui n’observait aucune loi religieuse, un mécréant, et lui dit : “Entre dans le Temple et prends tout ce que tu voudras. Mais tu devras par contre nous restituer un certain nombre d’objets”. On sent à ce moment-là que les Romains ont peur de pénétrer à l’intérieur du Temple. Le Juif acquiesce. Il ressort du Temple uniquement avec la Ménorah qu’il souhaite garder en sa possession. Les Romains refusent. Ils tenaient absolument à mettre la main sur ce chandelier. Ils disent alors au Juif : “La Ménorah est à nous. Par contre, si tu veux prendre d’autres objets, retourne au Temple”. Il refusa catégoriquement. Qu’est-ce qu’il a vu à l’intérieur du Temple qui lui a fait peur ? Pourquoi les Romains craignaient-ils de pénétrer dans l’enceinte du Temple ? Ce sont des questions qui nous font penser qu’il y a une crainte liée à la Ménorah et au Saint des Saints du Temple de Jérusalem.

Cette enquête a-t-elle ébranlé vos convictions sur le judaïsme  ?

J’ai habitude de dire que Yohan Perez, qui a cent fois plus de connaissances religieuses que moi, est le sachant et moi le doutant. Je ressens le même sentiment que j’ai éprouvé après l’écriture du Code d’Esther. Je suis un Juif traditionaliste attaché à l’observance de la religion juive par tradition et par coutume familiale plus que par foi profonde. Je sors de cette enquête un peu troublé. Je ne vais pas me faire pousser les papillotes, ni m’habiller en noir, ni porter la Kippa, ni manger casher tout le temps… Mais je suis un peu troublé, un peu ébranlé, dans mes convictions de doutant.

Quel a été votre apport et celui de Yohan Perez à cette enquête ?

Yohan Perez a apporté ses larges connaissances du judaïsme et de l’histoire juive. Quant à moi, j’ai essayé d’apporter les lois de l’investigation du journalisme et la pratique de l’enquête appliquée à des textes religieux, c’est-à-dire, essayer de poser beaucoup de questions, ne pas avoir peut-être toutes les réponses à celles-ci et nous approcher au plus près sinon de la vérité, du moins de certaines convictions. Je pense que c’est cette démarche que les lecteurs, juifs et non juifs, apprécient de trouver dans notre livre.

Des non-Juifs assistent-ils aussi aux conférences que vous donnez sur ce livre ?

Dans nos dernières conférences, il y avait aussi des non-Juifs, notamment des évangélistes et des prêtres catholiques. Ils étaient très intéressés par notre enquête. Nous avons aussi présenté le livre à Casablanca, au Maroc. Regrettablement, le public était constitué uniquement de membres de la communauté juive de Casablanca. Il n’y avait pas de Musulmans, ni aucun imam.