L’écrivain Naïm Kattan avait été convié à présenter son nouveau livre, Écrire le réel (Éditions Hurtubise H.M.H.), à la Congrégation Spanish & Portuguese de Montréal, Synagogue dont il est membre depuis une trentaine d’années.
En arrivant dans la salle de conférence, il s’aperçut qu’on ne se bousculait pas à la porte d’entrée, cinq ou six personnes seulement y étaient présentes. Mais, une surprise de taille l’attendait un étage au-dessus. Ses amis et ses plus proches collègues s’étaient réunis dans une des Salles de réception de la Spanish & Portuguese pour célé-brer son 80ème anniversaire de naissance et lui transmettre leurs té-moi-gnages d’amitié et d’affection. Naïm Kattan, qui était accompagné par son épouse, Annie Goldman, tomba des nues quand il pénétra dans cette salle comble…
Le gratin du monde des lettres et de la culture québécois était là pour honorer ce grand écrivain montréalais, québécois et canadien. Parmi les person-na-lités de marque présentes: l’écrivain et ciné-aste Jacques Godbout, Jean-François Nadeau, directeur des pages littéraires du quotidien Le Devoir, où Naïm Kattan signe des chroniques et des recensions littéraires depuis quarante ans, le sociologue Marcel Fournier, le philosophe et essayiste Georges Leroux, de l’Académie des Lettres du Québec, réputée institution culturelle dont Naïm Kattan est l’un des plus éminents membres, Hervé Foulon, son éditeur… Des personnalités politiques étaient aussi de la partie, no-tam-ment son ami Bernard Landry, ancien Premier ministre du Québec, Irwin Cotler, député libéral fédéral et ancien ministre de la Justice du Canada…
Au cours de la soirée, plusieurs de ses nombreux amis prirent la parole pour lui rendre hommage.
Un des témoignages les plus émouvants fut celui de son fils, Emmanuel Kattan, venu spécialement de New York pour assister à cette soirée mémorable. Emmanuel, qui dirige l’équipe des communications d’un projet de dialogue interculturel parrainé par les Nations Unies, a fait cette année une entrée très remarquée dans le monde littéraire québécois avec la publication de son premier roman, Nous Seuls (Éditions du Boréal), encensé unanimement par la critique littéraire.
Il débuta son intervention en égrenant des réflexions très touchantes sur la fi-lia-tion paternelle.
“Papa, tu m’as dit une fois que pour vraiment comprendre ce que veut dire être un fils, il faut soi-même être un père. Moi, qui étais un fils et qui pensais tout savoir -je faisais alors des études de philosophie- je me disais toujours: “Mais non, je suis un fils, c’est ma position, je sais mieux que quiconque ce que ça signifie”. J’ai eu la chance d’avoir des enfants et, finalement, j’ai fini par comprendre ce que ça voulait dire revisiter sa propre enfance. C’est à ce moment-là qu’on se transpose soi-même dans la position de fils et qu’on revisite petit à petit les différentes étapes de sa vie. J’ai alors réalisé qu’on comprend mieux la position de fils, et la responsabilité d’être fils, quand on devient soi-même un père”.
La définition d’un écrivain que lui a transmise son père Naïm l’a profondément marqué.
“J’ai fini par comprendre une chose que tu m’avais dite une fois: “On ne naît pas écrivain et on n’est pas écrivain. C’était une chose que dans ma jeunesse je ne comprenais pas. Pour moi, être écrivain, c’était une profession. Toi, tu me disais le contraire avec insistance. Pour toi, écrivain, ce n’est pas une profession ni une définition bio-gra-phique, c’est un devenir, c’est quelque chose qui est toujours à faire, à commencer et à recommencer. Pour toi, chaque nouveau livre, chaque nouvelle entreprise littéraire est un projet qu’on entreprend comme si c’était le première fois que tu écrivais. Ce que je te souhaite en ce 80ème anniversaire, c’est qu’avec l’aide de Dieu tu continues chaque jour à devenir un écrivain”, a dit Emmanuel Kattan.
Membre de l’Académie des Lettres du Québec, le réputé philosophe et helléniste Georges Leroux, transmit à Naïm Kattan les voeux de cette institution culturelle.
“Cher Naïm, pour les membres de notre Académie tu n’es pas seulement un Académicien, nous préférons te compter désormais parmi les -Patriarches. Ta grande connaissance de la Bible m’a incité à choisir ce soir ton ancêtre de Bagdad, Naoum Delkoch, dont les malédictions résonnent dans nos oreilles quand nous entendons les fureurs qui nous arrivent encore aujourd’hui des rives du Tigre. Ton écriture est si souvent marquée du sceau des Prophètes que dans la lecture de ce livre si particulier de la Bible on pourra entendre un éloge de ta vigilance et de ton grand travail d’écrivain.
Ne sommeille pas Naïm, continue de veiller, annonce proclame et défend comme le demande ton illustre ancêtre de Bagdad. Les membres de l’Aca-dé-mie des Lettres et tous ceux qui te lisent connaissons la beauté de ton moule à briques. Nous te remercions de n’avoir cessé de le remplir et nous te souhaitons de nombreuses années parmi nous. Bénédictions.”
Son ami Alain Médam, membre aussi de l’Académie des Lettres du Québec, souligna les qualités humaines exceptionnelles de Naïm Kattan, en mettant l’emphase sur l’une de ses principales vertus: son sens de l’amitié.
“J’aime chez Naïm son amitié pour les gens qui l’entourent, cette capacité à se mettre hors de lui, à s’intéresser aux autres, à se mettre à la place des autres, à se mettre dans la peau des autres. Naïm ne s’enferme jamais sur lui. Il est toujours en projection sur le monde. À mon sens, en ne s’enfermant jamais sur lui, il ne vieillit pas. Comme Picasso qui a peint jusqu’à la fin de sa vie pour ne pas vieillir et qui avait cette phrase que je trouve admirable et que j’adresse ce soir à mon ami Naïm: “Quand on est jeune, c’est pour la vie”.
Pierre Ouellet, directeur du Centre de recherche Le Soi et l’Autre, salua “l’illustre écrivain cosmopolite, passeur de cultures”.
“Naïm n’est pas seulement un habitant du monde, il est habité par le monde. “L’ailleurs nous habite peuplé des êtres aimés”, écrit-il dans son dernier livre, Écrire le réel. C’est-à-dire, écrire le lointain comme son prochain, décrire l’ailleurs comme son ici, raconter la Mémoire la plus reculée comme l’avenir le plus incertain. “Le passé fait partie de l’avenir. Le sens du départ est dans le retour “, écrit Naïm dans Écrire le réel. Naïm est de tous les lieux et de tous les temps parce qu’il est celui qui ouvre des fenêtres et des portes sur des paysages et des histoires qui nous sortent de nous-mêmes à chaque instant. Voilà un ami qui compte. On le croise partout où on passe, en pensées comme en réalité. Naïm Kattan, l’homme au croisement de tous les chemins”.
Yehuda Lancry, ancien Ambassadeur d’Israël en France et aux Nations Unies, actuellement délégué aux Relations internationales de l’Alliance Israélite Universelle, rendit un vibrant hommage à Naïm Kattan, un “homme et un écrivain d’exception”, en rappelant qu’il est un “enfant” de l’Alliance Israélite Universelle, institution éducative, où il a été scolarisé à Bagdad, qui fêtera ses 150 ans d’existence en 2010.
“Pour fêter à Montréal le 150ème anniversaire de l’Alliance Israélite Universelle, je pense qu’on ne pourra trouver un symbole plus puissant et un porte-voix plus illustre que Naïm Kattan”, dit-il.
Pour le député libéral fédéral Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice du Canada, Naïm Kattan a toujours été un “humaniste modèle”.
“Nous somme réunis ici ce soir pour célébrer la vie d’un grand écrivain, d’un grand humaniste, d’un grand Juif de Bagdad. Quand j’étais un jeune étudiant et que je venais de commencer mon engagement dans la Communauté juive, Naïm Kattan était pour moi un modèle. Quelqu’un qui arrivait à conférer une expression tangible et à intégrer plu-sieurs identités, comme Juif de Bagdad, comme Québécois, comme Canadien, comme citoyen du monde… c’était quelque chose de très important pour un jeune étudiant à cette époque. Nous étions tous fortement inspirés par le remarquable engagement intellectuel, social et communautaire de Naïm.”
Très ému par ces témoignages d’amitié et d’affection, Naïm Kattan remercia vivement tous ses amis présents à cette soirée hommage et leur rappela que pour lui l’amitié a toujours été la chose la plus précieuse dans sa vie.
“Dans tous les pays que j’ai parcouru, je n’ai gardé que le souvenir de l’amitié, le souvenir des personnes. Le monde est rempli de tristesse et d’amertume, mais j’ai connu dans le monde des moments merveilleux de chaleur et d’amitié, même dans des circonstances graves, y compris dans ma vie. Pour moi, la vie est chaque jour un très grand don, un magnifique cadeau. Chaque conversation est pour moi un cadeau. Quand je commence à écrire, je me souviens toujours des conversations que j’ai eues la veille, ou il y a des années. La personne qui m’a raconté son histoire revit en moi. Chaque fois que j’écris, c’est pour revivre ces moments précieux où j’ai vécu avec les autres.”
Pour Naïm Kattan, l’écriture est “une maladie” dont il ne veut pas “guérir”.
“L’écrivain en moi est celui qui cherche toujours à dire la vie, à dire cette vie qui n’est jamais assez parce qu’elle se poursuit. Pour moi, le présent c’est le plus important car il inclut le passé et aussi l’avenir. Finalement, l’avenir c’est quoi? Ce n’est pas un rêve, c’est une attente et une construction. Le monde se ramasse toujours dans un lieu, dans une ville, parfois dans un visage, dans une voix.”
Fervent ambassadeur de la langue française, Naïm Kattan remercia ses amis Québécois de le considérer comme un écrivain ayant épousé avec entrain la langue et la culture françaises.
“J’ai passé une partie de ma vie à défendre la culture de ce pays, qui est le mien. C’est une culture vibrante et riche, dont je suis très fier d’en faire partie. J’ai été très bien récompensé par le Québec et le Canada, qui m’ont très bien accueilli.”
Alfred Bilboul, président de l’Association des Juifs irakiens de Mont-réal, le Rabbin Howard Joseph, leader spirituel de la Congrégation Spanish & Portuguese, Hervé Foulon, directeur des Éditions Hurtubise H.M.H. -éditeur de l’écrivain-, Jacques Allard, ancien président de l’Académie des Lettres du Québec, Simon Harel, directeur du Centre interuniversitaire d’étude des Arts, des Lettres et de Traduction de l’U.Q.A.M., lui rendirent aussi hommage. Le député du Parti Québécois Sylvain Simard et le grand écrivain et poète français Yves Bonnefoy lui ont adressé, dans des messages qui furent lus, leurs voeux.
Cette soirée hommage à Naïm Kattan a été organisée par le Comité franco-phone de la Bibliothèque Publique Juive de Montréal, la Congrégation Spanish & Portuguese, l’Association des Juifs irakiens de Montréal et les Amis canadiens de l’Alliance Israélite Universelle.
Author Naïm Kattan was recently honoured by many Montreal community members and organizations in celebration of his 80th birthday.