Quand des écrivains engagés débattent

Figure de proue de la gauche israélienne, l’écrivain Avraham B. Yehoshua a été piqué au vif par son confrère Marek Halter quand celui-ci lui a relaté sa récente rencontre à Damas avec Khaled Mechaal, un des principaux dirigeants du Hamas.

“Moi, je pars d’un principe simple. Ce n’est pas moi qui l’ait inventé! Il faut parler avec ses ennemis. Avec ses amis, tout le monde peut parler. Big deal! Il y a 40 ans, j’ai été le premier intellectuel juif à rencontrer le chef de l’O.L.P., Yasser Arafat, qui était alors considéré par la grande majorité des Israéliens et des Juifs comme un cruel assassin d’enfants juifs. Je n’ai pas inventé le Hamas. Ce sont les Israéliens qui ont créé de toutes pièces cette organisation islamiste radicale. Tout comme les Américains ont créé les Talibans en Afghanistan. Je suis allé rencontrer Khaled Mechaal à Damas parce que je crois résolument au pouvoir du verbe. À partir du moment où quelqu’un accepte de me parler, je considère qu’il a déjà perdu parce qu’il rentre dans une autre logique: il m’accepte avec mes idées à l’avance même s’il n’est pas d’accord avec moi”, raconta Marek Halter.

D’après l’auteur du best-seller mondial La Mémoire d’Abraham, au cours de leur rencontre, Khaled Mechaal, “un personnage beaucoup moins charismatique que Yasser Arafat, qui lui voulait absolument séduire son interlocuteur”, dit-il, lui a parlé plusieurs fois du soldat israélien Gilad Shalit.

“Khaled Mechaal m’a dit que le Hamas s’était trompé de soldat car Gilad Shalit a aussi la nationalité française -“je comprends la préoccupation du Raïs Sarkozy, que je respecte beaucoup”, me confia-t-il-. Il m’a aussi parlé de la ligne du 4 juin 1967. À un moment, le leader du Hamas me lança brusquement: “Rappelez à vos amis Israéliens et Occidentaux que mon organisation a été élue très démocratiquement. Il y a là une logique implacable. Vous, Occidentaux, aimez beaucoup la démocratie. Vous avez demandé au peuple palestinien d’organiser des élections très démocratiques en Palestine. Le Hamas les a gagnées haut la main. Aujourd’hui, vous déchantez. Allez comprendre quelque chose!””

Ces propos offusquèrent A.B. Yehoshua, qui rétorqua sèchement: “Marek, tu fais des erreurs d’analyse énormes. Adolf Hitler a été aussi élu démocratiquement! Ta diplomatie ne sert à rien! Arafat aussi, après avoir signé en 1993 les Accords d’Oslo, a commis des actes insensés et abominables. Il a brisé toutes les possibilités de paix avec l’État d’Israël.”

Décontenancé, Marek Halter lui répondit: “Avraham, si quelqu’un est notre ennemi, c’est qu’il n’est pas gentil. S’il était gentil, il ne serait pas notre ennemi et nous ne serions pas en guerre contre lui. Je ne veux pas dire que les militants du Hamas sont des gens adorables!”

Ulcéré, A.B. Yehoshua répliqua à son tour à l’écrivain franco-polonais: “Ce n’est pas une question d’adorable ou pas adorable! Les membres du Hamas ne cessent de claironner qu’il faut détruire l’État Israël. Ils ne veulent pas faire la guerre à l’État d’Israël, ils veulent absolument annihiler mon pays pour le rayer définitivement de la carte du Proche-Orient. Le Hamas ne veut pas qu’on m’enterre, il veut tout simplement m’exterminer physiquement!”

Marek Halter renchérit: “Que les Israéliens le veuillent ou non, les terroristes du Hamas sont des gens qui existent. Décidément, nous, Juifs, sommes en train de devenir très Chrétiens! Je n’ai jamais demandé qu’on m’aime. On peut être respecté par quelqu’un qui voulait un jour vous tuer. L’Histoire nous a maintes fois prouvé qu’on fait la paix avec des gens qui sont méchants, qui nous font la guerre et tuent nos enfants. À Belfast, Catholiques et Protestants se sont entretués et torturés mutuellement pendant cent ans d’une maison à une autre, d’une cave à une autre. Allez voir ce qui s’est passé à Belfast, comme je l’ai fait plusieurs fois. Proportionnellement, il y a à Belfast beaucoup plus d’estropiés qu’en Israël. Pourtant, les Irlandais catholiques et protestants sont des gens qui croient foncièrement en un seul Dieu et qui parlent la même langue. Quand je vais voir Khaled Mechaal, je ne lui demande pas de m’aimer en tant que Juif et pro-Israélien. Je ne lui demande même pas d’aimer Israël. Je sais qu’il a commis des actes effroyables, dont celui d’envoyer des jeunes enfants palestiniens se faire exploser dans des lieux publics d’Israël.  Je suis conscient qu’il n’est pas un être gentil. Mais, il y a une très belle phrase dans le Talmud qui dit: “Est-ce que nous voulons que les méchants meurent ou qu’ils changent d’avis?” Moi, certainement, je préfère qu’ils vivent et qu’ils changent d’avis.”

Ces échanges acérés entre A.B. Yehoshua et Marek Halter ont eu lieu sous les yeux hagards du public présent à un panel, dont le thème était “La force des mots: les écrivains engagés”, organisé dans le cadre du dernier Festival littéraire international de Montréal Métropolis Bleu.

La réputée journaliste et écrivaine française Laure Adler, biographe des philosophes Simone Weil et Hannah Arendt, participa aussi à ce panel.

Pour cette intellectuelle de gauche, en Israël, les voix des écrivains, des poètes et des cinéastes sont les seules voix qui puissent créer un espace public et une possibilité d’espérance.

“C’est un travail de longue haleine que les créateurs culturels, littéraires et artistiques israéliens mènent depuis très longtemps. Ce travail intellectuel est un travail politique au sens le plus beau et le plus pur du terme. Depuis 1967, les mots des écrivains, des poètes, des cinéastes et des artistes israéliens ont construit la possibilité d’espérer de la paix. Leurs mots nous ont fait réfléchir sur la possibilité de comprende l’Autre avec un grand “A”. Je pense que s’il y a un pays au monde où les mots ont du poids, c’est bien en Israël. Je voudrais rappeler aussi que du côté du peuple palestinien, dont les droits sont hélas bafoués tous les jours, il y a aussi un immense poète, Mahmoud Darwich, qui s’est éteint il y a un an, qui ma transpercé le coeur quand je l’ai rencontré la première fois. Mahmoud Darwich est un homme qui a construit un pont d’espérance et de paix entre le peuple palestinien et le peuple israélien. Il a aussi construit une possibilité de comprendre l’Autre. Dans cette partie du monde qui est devenue un brasier, le feu ne peut s’apaiser par moments, par intermittence, mais en même temps de manière continue, que grâce aux intellectuels, aux artistes, aux écrivains…”

Laure Adler fut très surprise quand Marek Halter lui a dit qu’une Mission humanitaire qu’il a dirigée ce printemps à Gaza, à laquelle ont participé des Rabbins, des Imams et des Prêtres catholiques, avait été largement couverte par le réseau de télévision de langue arabe Al-Jazira.

“Ça m’étonne beaucoup qu’Al-Jazira ait diffusé un reportage sur la Mission humanitaire que Marek Halter a dirigée à Gaza parce que cette chaîne de télévision est une machine de guerre et de haine qui n’est pas destinée aux adultes arabo-musulmans, qui ont déjà leur vision du monde complètement arrêtée par des médias arabes qui les encagent, les emprisonnent et les empêchent d’avoir leur propre vision personnelle. L’espoir réside dans ces enfants Gazaouis que Marek Halter a rencontrés, qui peut-être ne verront plus les images d’Al-Jazira comme ils les avaient vues le jour antérieur.”

Laure Adler est très préoccupée par la perception que des milieux intellectuels et des pans de la société française ont aujourd’hui de l’État d’Israël.

“Ce qui m’inquiète, c’est que depuis trois ou quatre ans, certains intellectuels français et dans des courants de l’opinion publique française, il y a des gens, y compris d’origine juive et fiers d’être Juifs, qui commencent à énoncer sans ambages le fait qu’il est peut-être possible et envisageable qu’Israël n’existera plus un jour prochain et qu’il sera rayé de la carte du monde. Ce type de réflexion délétère, qui commence à gangrener les esprits en France, me choque énormément.”

Cette table ronde, animée par le journaliste François Bugingo, a été commanditée par la radio de Radio-Canada et le Comité Québec-Israël.

A recent panel of authors from different countries focused on the impact a writer’s words can have on the Israeli-Palestinian conflict.