L’Israël de l’écrivaine Michal Govrin

“Israël doit proposer au monde un rêve. Ça a toujours été sa principale mission”.

Romancière, poétesse, dramaturge et directrice de théâtre, Michal Govrin se définit comme une “Israélienne profondément laïque, mais viscéralement attachée à l’héritage religieux juif”.

Cette écrivaine et intellectuelle Sabra, née à Tel-Aviv en 1950, qui parle impeccablement le français, croit résolument que l’État d’Israël est “un pays phare dont l’ingéniosité devrait engendrer de nouveaux rêves pour redonner espoir à une humanité morne et désarçonnée”.

Invitée d’honneur du Consulat général d’Israël à Montréal, Michal Govrin a participé au Salon du Livre, où elle a présenté la version française de son dernier roman, Sur le vif, publié ce printemps aux Éditions Sabine Wespieser. La version anglaise de ce livre, Snapshots (Riverhead Books Publisher), a été très bien accueillie par les critiques littéraires américains.

Nous avons rencontré Michal Govrin dans les nouveaux locaux abritant le Consulat général d’Israël, sis au Westmount Square.

Tous les membres de la famille de Michal Govrin quittèrent l’Ukraine en 1921, alors que les pogroms contre les Juifs se multipliaient, pour concrétiser un très vieux rêve: vivre en Eretz Israël. Son arrière-grand-père était issu d’une longue lignée de Rabbins. Cet hassid mystique s’installa à Méa Shéarim, le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Son grand-père, qui parlait déjà l’hébreu, est devenu directeur d’une école juive orthodoxe. Ses parents sont allés vivre dans un kibboutz…

“Dans le milieu laïc où j’ai grandi, j’ai eu, d’une certaine façon, une enfance hassidique. Quand j’étais petite, on allait passer le Shabbat chez mon oncle à Tel-Aviv. Ce laïc invétéré était un membre très actif du Parti travailliste. Mais, pendant le Shabbat, l’après-midi, tout ce petit monde, qui fumait, roulait en voiture… et transgressait avec joie les injonctions halakhiques, se mettait à chanter des chants hassidiques. C’était irréel et très hilarant!”, raconte-t-elle.

Au début des années 70, Michal Govrin part étudier le théâtre à Paris. Dans la ville Lumière, elle côtoie les philosophes Emmanuel Lévinas et Jacques Derrida -elle deviendra une proche amie de ce dernier-.

“Quand je suis partie faire des études à Paris, j’étais essentiellement Israélienne. J’en suis revenue Juive. Je ne suis pas retournée vivre dans ma ville natale, Tel-Aviv. J’ai décidé de m’installer définitivement à Jérusalem car cette ville trois fois sainte m’a toujours hantée.”

Ilana Tsouriel, l’héroïne de Sur le vif, est morte dans un accident de voiture -on sait donc parfaitement où elle en est. Mais où en était-elle dans sa vie? C’est en superposant divers documents retrouvés sur son personnage, lettres et fragments de notes personnelles, plans et photos de paysages, que Michal Govrin a retracé, avec une dextérité littéraire saisissante, non pas le parcours d’une femme, mais quelques moments de son chemin, quelques-unes de ses sinuosités.

Les chapitres, qui font alterner des typographies différentes en fonction de ces documents, dessinent peu à peu la silhouette d’une brillante architecte, militante de la gauche radicale, habitée par plusieurs hommes: son père, un pionnier sioniste de la première heure; son amant palestinien, un nationaliste arabe échaudé; son mari, un historien obsédé par la Shoah, traquant les ouvertures d’archives européennes sur le sort des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale; ses deux fils, en quête de repères identitaires…

Le conflit israélo-palestinien et Jérusalem occupent une place prépondérante dans la trame de ce roman foisonnant et très poignant, qui est un condensé de l’Histoire tumultueuse d’Israël.

“On ne peut pas éluder une réalité criante: Israéliens et Palestiniens vivent corps à corps dans le même espace. Il y a quelque chose de tout à fait charnel dans ce conflit idéologique et passionnel, où l’éros occupe une place très importante. À Jérusalem, Israéliens et Palestiniens revendiquent fougueusement les mêmes sites religieux, qu’ils appellent par des noms différents. Pour moi, Jérusalem a toujours été la figure de la femme désirée par le monde entier, mais qu’on ne peut pas partager.”

Il faudrait “une révolution mentale”, ajoute-t-elle, pour que dans les cultures juive et arabe on accepte l’idée que l’on puisse posséder une femme sans la posséder exclusivement, qu’elle puisse être l’objet de plusieurs désirs qui ne soient pas incompatibles.

“Ilana, l’héroïne de mon livre, qui est déchirée entre deux amours -celui qu’elle voue à son mari, dont elle s’éloigne chaque jour un peu plus, et la passion brûlante qui la rapproche de plus en plus de Saïd, son amant palestinien- propose une manière radicale, peut-être choquante, de penser la féminité et la notion de possession. Dans les écrits juifs, on trouve beaucoup de textes où l’idée de non possession est essentielle. Ilana veut construire un Monument pour la paix pendant l’année de la Shmitah, de la jachère, pendant laquelle les hommes doivent laisser reposer la terre et abattre les barrières -ce qui est une façon de leur rappeler que rien ici bas ne leur appartient. Je caresse un rêve fou: que par le truchement de la littérature, on propose une autre manière de penser, qui puisse pénétrer les convictions jusqu’à les ébranler.”

L’amour passionnel qui dévore Ilana et son amant palestinien n’est-il pas une métaphore de l’interminable conflit israélo-arabe?

“Absolument. Après la Guerre de 1967, Israéliens et Arabes ont connu des moments de paix et de joie. Des tréfonds de ce conflit a alors jailli une énergie incommensurable, qui a fini par se traduire par une haine mutuelle, dit-elle. À l’instar du contentieux israélo-arabe, l’amour fou qui ronge Ilana et son amant ne marche pas. Sur le vif n’est pas un roman idéaliste. Cette histoire d’amour finit par se heurter à la réalité. Les deux protagonistes de cet idylle sulfureux s’agrippent alors à leurs fidélités et à leurs convictions idéologiques, qui sont à l’opposé les unes des autres. Cet amour impossible, qui depuis le début est voué à l’échec, porte les ingrédients destructeurs du conflit qui oppose depuis plus d’un siècle Juifs israéliens et Arabes: l’un souhaite l’anéantissement de l’autre.”

Sioniste de gauche, Michal Govrin est exaspérée par la “naïveté” de certaines franges de la gauche pacifiste israélienne.

“Le mouvement Shalom Ahchav -La Paix maintenant- défend une idée très messianique de la Paix. On n’est pas loin du slogan “Mashiah Now” -“Le Messie maintenant”- martelé par les Loubavitch. La Paix maintenant et les Loubavitch sont tous deux des mouvements messianiques. Les militants de La Paix maintenant croient obstinément à “une solution finale” -il faut insister sur les guillemets- du conflit israélo-arabe. Ces idéalistes naïfs sont aveugles face à une réalité qui est beaucoup plus complexe et qui requiert une révolution au niveau des moeurs, des idées, de la pensée et des coeurs, beaucoup plus profonde qu’un simple partage territorial, qui de toute façon n’est pas possible.”

D’après Michal Govrin, la tragédie de la culture de la gauche israélienne, c’est “son ignorance des sources juives”.

“Cette coupure radicale de la gauche israélienne avec les sources de la tradition juive est un signe patent de pauvreté culturelle. La tradition juive est une des plus grandes sagesses de la civilisation humaine. Le désir ardent du peuple juif de retourner à Sion n’est pas une invention purement laïque. Ce désir, plusieurs fois millénaire, est articulé dans les textes et les exégèses bibliques. La tradition juive recèle une sagesse extraordinaire. Le rôle qui incombe aux Juifs aujourd’hui est de moderniser cette sagesse dans un monde de plus en plus globalisé, où les civilisations et les ethnies vivent entremêlées. La culture des médias et la culture des solutions juridiques instantanées ne sont pas des solutions viables pour dépêtrer l’humanité du chaos dans lequel elle s’est enferrée. Puisons donc des idées innovatrices dans ce réservoir de la sagesse humaine qu’est la tradition juive.”

Comment Michal Govrin envisage-t-elle l’avenir de l’État d’Israël?

“Je suis optimiste, comme tous les Juifs!, répond-elle en pouffant de rire. Je crois que l’État d’Israël est aujourd’hui dans une ère de post-post-sionisme. Le post-sionisme était à son apogée dans les années 90, avant la nouvelle vague d’antisémitisme qui allait déferler sur l’Europe et l’éclatement de la deuxième Intifada palestinienne. On croyait alors que le Messie était sur le point d’arriver. Aujourd’hui, cet idéalisme béat est révolu. Il faut que les Israéliens inventent un nouveau sionisme. C’est notre plus grand défi.”

L’Israël de cette première décade du XXIe siècle est “un pays extraordinaire et très dynamique regorgeant d’énergie et de richesses humaines”, constate-t-elle avec un brin de fierté.

“En dépit du fait que les Israéliens vivent à l’ombre d’une menace constante, ils ont appris au fil d’épreuves existentielles très ardues à relever un grand défi: savoir vivre le présent comme si rien n’était. Je suis très optimiste en ce qui a trait à l’avenir d’Israël. Mon père est arrivé en Eretz Israël en 1921. Il devait sécher les marécages dans la Vallée d’Israël. Quand je me promène dans cet endroit aux paysages magnifiques et majestueux, je me dis: “C’est incroyable ce que nous avons réalisé ces cent dernières années”. J’espère que les générations futures pourront en faire autant.”

Pour Michal Govrin, Israël est “une aventure humaine unique et inouïe”.

“Israël est un laboratoire humain bouillonnant, où des ethnies provenant des quatre coins du monde ont appris à cohabiter ensemble. À une époque où la coexistence et le dialogues interculturels sont de mise, le modèle sociétal israélien devrait être une référence pour toutes les autres nations du monde, dit-elle.  Quand les Israéliens ne réfléchissent pas d’une manière égocentrique et bornée et regardent les défis auxquels ils sont confrontés avec lucidité, c’est l’optimisme juif qui revient au galop. C’est vrai que cet optimisme ne nous aide pas le lendemain d’un attentat sanglant. Mais, tout au long de l’Histoire juive, peuple d’Israël a rimé avec espoir. Ce n’est pas le moment d’abandonner le bateau!”


In an interview when she was in Montreal this fall, Israeli author Michal Govrin talks about her latest book and offers her views on Israel today.