Écrivain culte, auteur d’une cinquantaine de romans traduits en soixante langues, Jean-Marie Gustave Le Clézio -plus connu sous le diminutif de J.M.G. Le Clézio-, qui vient de se voir attribuer le prix Nobel de littérature 2008, était de passage au Québec à titre de membre du Jury international du Prix littéraire des cinq continents de la Francophonie.
L’écrivain francophone J.M.G. Le Clézio (à gauche), Prix Nobel de littérature 2008, en compagnie de l’écrivain sépharade Hubert Haddad, lauréat du Prix littéraire de la Francophonie 2008, au cours d’une causerie littéraire à la Librairie Olivieri de Côte-des-Neiges.
Le Jury international de ce Prix littéraire, composé de douze écrivains représentant autant de pays francophones et présidé par l’écrivaine et intellectuelle québécoise Lise Bissonnette, présidente de la Bibliothèque Nationale du Québec, a primé cette année un écrivain Juif sépharade, natif de Tunisie, Hubert Haddad, pour son roman Palestine (Éditions Zulma).
L’excellent roman de l’écrivain juif québécois Philippe Bensimon, Tableaux maudits (Éditions Triptyque), était parmi les dix livres finalistes en lice pour ce Prix, remis au cours du dernier Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu récemment à Québec.
Accompagné par les membres du Jury de ce Prix littéraire francophone, Hubert Haddad a présenté son roman Palestine au cours d’une causerie littéraire à la Librairie Olivieri de Côte-des-Neiges.
Palestine relate l’histoire de Cham, un jeune soldat israélien amnésique et sans papiers recueilli par une famille palestinienne qui le prend pour un membre d’un commando palestinien dont il serait le seul rescapé. La mère aveugle, Asmahane, veuve d’une figure politique palestinienne abattue dans une embuscade tendue par Tsahal, vit seule avec sa fille Falastin, frêle étudiante, depuis que son fils Nessim a disparu. Elles décideront de faire passer Cham pour Nessim. Cet Israélien sans Mémoire va donc connaître les conditions de vie ardues des Palestiniens dans la Cisjordanie occupée. Ce changement d’identité, cette substitution, permet à Hubert Haddad de montrer la ressemblance entre ces deux peuples ennemis et de dénoncer l’absurdité de cette sempiternelle guerre.
J.M.G. Le Clézio a été “séduit par la beauté et la puissance” de ce roman.
“Palestine est un livre très fort qui touche à un drame contemporain qui concerne et interpelle tout le monde: le conflit israélo-palestinien. Ce qui est formidable dans le livre d’Hubert Haddad, c’est qu’il ne tranche pas. Ce livre ne donne pas une seule version des faits, mais fait vivre de l’intérieur les complications et les complexités de ce drame. Je ne vais pas vous raconter l’histoire de ce roman. Je vous dirais seulement que c’est le récit d’une substitution de personne, de quelqu’un qui prend la place d’un autre. Donc, il y a du fantastique dans ce roman”, a dit J.M.G. Le Clézio lors de son intervention dans cette causerie littéraire.
Pour l’auteur du Procès-verbal et de Désert, le drame israélo-palestinien est une question politique dont on n’est pas à la veille de trouver une solution équitable.
“C’est une question qui est très grave parce qu’elle coûte de nombreux morts dans les deux camps. Tant du côté palestinien que du côté israélien beaucoup d’horreurs et de cruautés ont été commises. Nous ne trouverons pas une solution acceptable ici, ce soir. Mais, à mon avis, le roman d’Hubert Haddad apporte un espoir. C’est pour cette raison que j’ai beaucoup aimé ce livre magnifiquement écrit. Ce récit très poignant apporte l’espoir que cet échange d’identité suscite. Le fait de changer de personne, de se mettre à la place de l’autre, c’est peut-être un début de solution, non politique, mais simplement humaine et philosophique.”
Pour J.M.G. Le Clézio, le roman d’Hubert Haddad touche vraiment au coeur du problème qui se pose en Palestine depuis plus d’un siècle: “deux peuples presque frères, deux peuples sémitiques, qui vivent sur la même terre et qui doivent trouver un moyen de s’entendre”.
“Mais, le seul moyen pour que ces deux peuples antagonistes puissent s’entendre, c’est que l’un prenne la place de l’autre. Il n’y a pas une autre alternative. Il faut échanger la personnalité. À partir d’un thème fantastique, Hubert Haddad aborde avec brio une problématique humaine et philosophique, note-t-il. Je partage entièrement le point de vue de Lyonel Trouillot -écrivain haïtien membre du Jury international de ce Prix littéraire de la Francophonie- sur ce roman. La grande littérature, c’est toujours une proposition formelle basée sur une réflexion sur le langage et sur une réflexion sur les éléments de la vie et du monde. Ce livre a réussi cette adéquation entre cette proposition formelle et l’inquiétude humaine. C’est ça la grande litérature. Les trames narratives de tous les grands livres sont nourries par un besoin de vérité. C’est pourquoi je crois que Palestine est un livre qui marquera, qui laissera une trace durable.”
En 1992, J.M.G. Le Clézio a publié Étoile errante, un roman superbement écrit où s’entremêlent deux récits de vie, celui d’Esther, une jeune Juive qui échappe durant la Deuxième Guerre mondiale aux persécutions des nazis et qui émigrera après la guerre en Israël, et celui de Nejma, une jeune réfugiée Palestinienne qui quitte son pays en 1948, quand l’État d’Israël est fondé.
Ce roman historique a été très mal accueilli dans les milieux juifs prosionistes, qui reprochèrent à l’auteur d’avoir établi un parallèle fallacieux entre cette hécatombe indicible qu’a été la Shoah et l’exode du peuple palestinien de sa terre natale.
En 1988, J.M.G. Le Clézio publia dans la très militante Revue d’Études palestiniennes -édition de l’automne 1988, no. 29- une nouvelle intitulée “Camp de Nour Shams, été 1948”, dans laquelle l’écrivain laissait clairement transparaître ses sympathies propalestiniennes. Cette nouvelle suscita l’ire de plusieurs intellectuels juifs, dont Bernard-Henri Lévy, qui accusa sans détours J.M.G. Le Clézio d’être “un anti-sioniste déchaîné” dans un article vitriolique que B.H.L. signa dans le magazine intellectuel défunt Globe (cf. l’édition du Nouvel Observateur du 16 octobre 2008).
Au cours de cette soirée-causerie à la Librairie Olivieri, J.M.G. Le Clézio expliqua ce qui l’a motivé à écrire Étoile errante et livra quelques réflexions personnelles sur le conflit israélo-palestinien.
Pendant l’été 1943, un petit village de l’arrière-pays niçois fut transformé en ghetto par les occupants italiens. Quelques semaines plus tard, les Allemands regroupèrent dans cette enclave étanche la population juive, raconta-t-il.
“Ma mère l’a su. Moi, j’étais un petit enfant. Elle m’en a parlé longuement des années plus tard. Elle m’a même relaté des événements qui ne sont pas narrés dans les livres d’Histoire, dit-il. La population juive de ce petit village fut sauvagement persécutée et fusillée ensuite dans un champ par l’armée allemande. Je suis allé voir ce champ. J’ai eu alors envie d’écrire cette histoire funeste parce qu’il m’a semblé que le drame des Palestiniens avait ses racines beaucoup plus loin. En effet, j’ai réalisé en arpentant ce champ de mémoire sinistre que la mort de ces Juifs lâchement fusillés par les Allemands dans ce terroir niçois allait en quelque sorte préparer tout ce qui allait suivre…”
Pendant l’écriture d’Étoile Errante, J.M.G. Le Clézio découvrit “l’ampleur du drame des réfugiés palestiniens” en lisant des journaux de la période de la première guerre israélo-arabe.
“J’ai lu dans des journaux de cette époque tout ce qui s’était passé en Palestine durant les années 1947 et 1948. J’ai appris comment s’étaient déroulées les déportations de la population palestinienne: les gens sur les routes, la prise de Saint-Jean d’Acre, comment les gens attendaient sur la plage, ne sachant pas où aller, les rumeurs qui couraient de règlements de comptes, de massacres, d’exactions… Tout cela a fait que la population arabe palestinienne a fui peu à peu. Quand j’écrivais Étoile errante, la première Intifada palestinienne battait son plein. Depuis, la situation en Palestine s’est beaucoup détériorée.”
J.M.G. Le Clézio est assez pessimiste en ce qui a trait à la possibilité d’un règlement dans un futur proche du contentieux israélo-palestinien.
“À l’époque où j’écrivais Étoile errante, je pensais qu’il y aurait, tôt ou tard, un accord politique entre Israéliens et Palestiniens, que Jérusalem deviendrait peut-être une ville sous mandat international, c’est-à-dire une ville qui serait présentée au monde comme un modèle de coexistence et une possibilité de réconciliation. Ça n’a pas eu lieu. Je ne sais pas si ça aura lieu un jour. Dans l’état actuel des choses, on peut craindre qu’il n’y ait jamais de solution à ce drame. Je crains que cet éternel conflit ne se transforme en une guerre à outrance, qui se poursuivra jusqu’à ce que les deux peuples n’aient pratiquement plus d’existence. Il y a un dicton péruvien que je trouve très fort: “Dans la guerre, le vaincu est vaincu et le vainqueur perdu”. J’ai peur qu’en Palestine et en Israël ce dicton des Indiens de l’époque de l’arrivée des Espagnols en Amérique latine ne se matérialise.”
Au cours d’une séance de dédicaces, l’auteur de cet article a eu le privilège de converser brièvement avec le Prix Nobel de littérature 2008. Il lui a démandé si ses livres, et particulièrement Étoile Errante, ont été traduits en hébreu et publiés en Israël. Sa réponse:
“Non, Étoile errante n’a pas été traduit en hébreu. Je le regrette car je suis convaincu que ce livre intéresserait beaucoup les lecteurs israéliens. Par contre, ce roman a été traduit et largement diffusé dans le monde arabe. Seulement deux de mes livres ont été traduits jusqu’ici en hébreu. Mais je sais que de nombreux lecteurs francophones israéliens lisent mes romans dans leur version originale. C’est l’un des atouts de la Francophonie culturelle.”
French author Jean-Marie Gustave Le Clézio, winner of the 2008 Nobel Prize for literature, was in Quebec recently to serve on the jury that chose the Francophonie literary prize. The recipient of that prize was Jewish French novelist Hubert Haddad.