Israël bouge, Israël change… Loin de l’image réductrice d’un pays paralysé par le conflit sans fin avec les Palestiniens, la société israélienne vit, depuis quelques années, des mutations profondes. Pour le meilleur et pour le pire.
La privatisation du kibboutz, symbole du Sio-nisme fondateur, l’apparition d’une classe de travailleurs pauvres recourant à des “soupes populaires” au coeur de Tel-Aviv alors que prospèrent, à quelques kilomètres de là, des entreprises de high-tech connectées au “vil-lage mondial”, l’éclosion d’un nouveau cinéma prometteur ancré dans le réel, un com-mu-nau-tarisme croissant et un fossé qui se creuse entre des Russes de mieux en mieux intégrés et des Éthiopiens de moins en moins bien acceptés, des colons juifs qui veulent venger le retrait de Gaza par une occupation renforcée de la Cisjordanie… Sans oublier la “barrière de sécurité”, devenue un véritable mur de séparation d’avec le voisin palestinien, l’Autre, l’ennemi…
Après une enquête de terrain de près de deux ans, le journaliste Emmanuel Faux, correspondant permanent à Jéru-sa-lem de la chaîne de radio française Europe 1, nous offre un kaléidoscope vivant de la société israélienne dans un essai-enquête fascinant, Le Nouvel Israël. Un pays en quête de repères, publié récemment aux Éditions du Seuil.
Au moment où l’État hébreu célèbre ses soixante ans d’existence, Emmanuel Faux nous fait découvrir ces hommes et ces femmes, médecins, artistes, Rabbins, volontaires… Des citoyens “différents” qui forment aujourd’hui le “Nouvel Israël”.
Au cours de ce grand voyage, Emmanuel Faux a rencontré plusieurs Israël. Il a découvert mille et une façons de vivre Israël. Il a pu mesurer l’incroyable diversité de ces trajectoires humaines qui ont convergé un jour pour bâtir l’État d’Israël. Il lui a semblé que la notion de “Nouvel Israël” était, pour les uns, la réalité d’une société, pour les autres, le rêve d’un pays différent. Que les conséquences d’un conflit toujours non résolu n’épargnent ni cette réalité ni ce rêve. Et qu’en définitive la grande question que se posent beaucoup d’Israéliens au présent et au pluriel est: “Où allons-nous? Quel est notre avenir?”
“Un mot est souvent revenu dans la bouche de mes interlocuteurs ou sous la plume de certains analystes des questions sociopolitiques israéliennes: “normalité”. La grande aspiration de la société israélienne d’aujourd’hui serait une aspiration à devenir un pays “normal”. On l’a vu dans bien des domaines, l’État hébreu n’a pu que con-sta-ter l’extinction de son exception fondatrice”, explique Emmanuel Faux.
En économie, ajoute-t-il, l’aventure sioniste avait commencé par le triomphe d’un modèle égalitariste inédit. Elle se poursuit aujourd’hui avec des kib-bou-tzim totalement privatisés et une échelle sociale aux barreaux de plus en plus espacés, entre ceux d’en bas, qui ont pris l’habitude de fréquenter les “soupes populaires” des grandes villes, et ceux d’en haut, qui ont appris à s’enrichir dans les gratte-ciel de la hight-tech et sont les principaux bénéficiaires d’une croissance dynamique. Selon l’ADVA (Centre pour l’égalité et la justice sociale en Israël), 60% des Israéliens aujourd’hui devraient travailler au moins douze ans pour atteindre l’équivalent du salaire d’un directeur de société cotée à la Bourse de Tel-Aviv.
En politique, poursuit Emmanuel Faux, Israël a suivi le chemin désabusé de bien d’autres démocraties: un débat de moins en moins passionné, des frontières partisanes de plus en plus indétectables, le tout orchestré par des di-rigeants toujours moins vision-naires et toujours plus sensibles aux avantages des positions de pouvoir.
“En revanche, l’échec des multiples tentatives de paix avec leurs voisins palestiniens a conduit les Israéliens à cultiver une exception peu enviable, certes partagée avec d’autres régions “chaudes” de la planète: la culture du conflit, constate Emmanuel Faux. Dans un pays en guerre, c’est bien connu, les normes, les priorités, les rites sociaux sont bouleversés et la vie de ses habitants s’organise selon un modèle de crise qui impose ses règles et ses contraintes.”
Ces dernières années, la société israélienne a vécu un “sécuritarisme” dévorant, c’est-à-dire dans un système où, comme l’explique le sociologue Daniel Bar Tal, “les militaires sont tout à la fois des grands prêtres et des prophètes”.
D’après Emmanuel Faux, l’état actuel de la société israélienne, plus émiettée et plus communautarisée que jamais, ne facilite pas la recherche d’un idéal collectif.
“Israël ressemble de plus en plus à une juxtaposition de groupes socio-ethniques ou socio-professionnels qui sont autant de “bulles” étanches les unes aux autres. L’avenir d’Israël dépend donc aussi de sa capacité à se remettre en cause, à recoudre son tissu social et à intégrer tous ses “enfants”… bref à se refonder! Deux voies s’ouvrent désormais à l’État hébreu: la voie du repli natio-na-liste ou la voie de la paix sincère et négociée avec tous ses voisins. S’il choisit la deuxième option, et dans ce cas seulement, alors peut-être le “Nouvel Israël” pourra-t-il aspirer à devenir un pays “normal””.
In his latest book, Le Nouvel Israël, journalist Emmanuel Faux talks about Israeli society and the challenges faced by the country.