‘Israël se prépare au pire contre l’Iran’

Une attaque militaire d’Israël contre les installations nucléaires iraniennes, c’est un scénario très plausible, estime un spécialiste des question moyen-orientales, le journaliste Patrick Anidjar.

Ancien correspondant de l’Agence France Presse (A.F.P.) en Europe et aux États-Unis, Patrick Anidjar est depuis 2004 le directeur de l’A.F.P. à Jérusalem.

Il vient de publier aux Éditions du Seuil La Bombe iranienne. Israël face à la menace nucléaire. Une brillante analyse sur les enjeux du dossier nucléaire iranien et ses conséquences sur le conflit israélo-palestinien. Une vaste enquête sur le bouleversement géopolitique majeure qui se produira au Moyen-Orient si l’Iran parvient à se doter de l’arme nucléaire.

Patrick Anidjar sera l’un des conférenciers invités de marque de la Quinzaine Sépharade 2008, manifestation culturelle organisée par la Communauté sépharade unifiée du Québec, qui aura lieu du 1 au 26 juin prochain.

Nous l’avons joint à son bureau, à Jérusalem.

Canadian Jewish News: Le dernier rapport de synthèse sur l’Iran élaboré par les seize plus importantes agences de renseignement américaines -rapport dans lequel ces dernières affirment que “Téhéran a gelé son programme nucléaire militaire clandestin depuis 2003”- a-t-il eu des répercussions sur la position d’Israël à l’endroit du sulfureux dossier nucléaire iranien?

Patrick Anidjar: C’est un rapport important, qui a évidemment beaucoup surpris les autorités israéliennes, mais qui ne change pas grand-chose parce qu’il s’inscrit dans un contexte qui n’est ni israélien ni iranien, mais qui est plutôt le contexte du conflit qui oppose la Maison Blanche et les services de renseignement américains depuis le fiasco de la guerre en Irak. On sait que ce sont ces agences de renseignement qui ont produit et fabriqué tout le dossier des fameuses armes non conventionnelles irakiennes. Des armes qu’on cherche toujours! La Maison Blanche n’a pas pardonné à ses agences de renseignement cette erreur, ou peut-être cette manipulation énorme, qui a eu les conséquences que l’on voit aujourd’hui en Irak.

Le gouvernement Bush a été pris de court par ce rapport très surprenant, qui conclut que l’Iran ne cherche plus à se doter de la bombe atomique depuis 2003. Mais il a suffi d’entendre le président George Bush répéter à plusieurs reprises, notamment lors de sa récente visite en Israël, que ce rapport ne change rien car il est convaincu que l’Iran continue à oeuvrer pour se doter d’une capacité nucléaire militaire, pour comprendre qu’il y a un conflit entre la Maison Blanche et les agences de renseignement américaines.

C’est un rapport de plus, publié à la suite d’un autre rapport, rendu public il y a deux ans, qui affirmait exactement le contraire. Je pense que ce rapport n’aura pas des incidences sur la perception que les Israéliens ont de la menace que constitue un Iran nucléaire.

C.J.N.: Y a-t-il une corrélation entre le dossier nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien?

P. Anidjar: Il faut comprendre le contexte. L’idée d’une bombe nucléaire iranienne n’émane pas du contexte palestinien ou libanais. Cet ambitieux dessein a été forgé par les Iraniens après le bombardement des villes iraniennes par l’Irak de Saddam Hussein pendant la guerre irano-irakienne, qui éclata en 1980. Une guerre très meurtrière qui dura huit ans. C’est au cours de ce conflit dévastateur que les Iraniens développèrent l’idée qu’ils ne pouvaient plus être exposés à la menace d’armes non conventionnelles. Ils décidèrent alors de développer leurs propres armes non conventionnelles, pas seulement la bombe atomique, mais aussi des armes chimiques et biologiques.

L’idée que la capacité nucléaire iranienne pourrait influencer le conflit israélo-palestinien ou le conflit israélo-libanais est apparue bien plus tard. C’est vrai que le régime d’Ahmadinejad exploite aujourd’hui toute cette problématique nucléaire dans le conflit entre Israël et les Palestiniens et le conflit opposant Israël et le Hezbollah libanais. Mais, pour l’instant, on n’en est qu’au stade verbal. L’Iran peut toujours parler, mais il n’a pas encore une influence majeure sur ces deux conflits, en tout cas pas pour les Israéliens. Mais si l’Iran accède à la capacité nucléaire, la donne changera sensiblement. Le gouvernement de Jérusalem devra alors réfléchir à deux fois avant de lancer des opérations meurtrières dans la bande de Gaza ou attaquer le Hezbollah au Liban-Sud.

C.J.N.: La menace, de plus en plus tangible, d’un Iran possédant la bombe nucléaire est-elle en train de créer une atmosphère de panique en Israël?

P. Anidjar: Non, on est très loin de la panique. Je dirais qu’il y a actuellement en Israël une atmosphère plutôt studieuse. Les Israéliens écoutent très attentivement ce qui se passe à 1500 kilomètres de leur frontière Est. Des satellites israéliens se promènent au-dessus de l’espace iranien. On sait que les services de renseignement israéliens essaient de glaner le maximum d’information en Iran. Ils se tiennent informés de l’évolution du régime d’Ahmadinejad, de la situation socioéconomique en Iran -il y a actuellement un grand mécontentement social dans le pays, les prix augmentent, le chômage ne cesse de croître, l’inflation est à deux chiffres… Le bilan économique d’Ahmadinejad n’est pas fameux. Tout ça est suivi de très près par les Israéliens. Mais, il n’y a pas de panique en Israël. Si c’était le cas, les Israéliens construiraient des abris antiatomiques, les gens quitteraient le pays en masse… Ce n’est pas du tout le cas. Panique, certainement pas. En revanche, c’est vrai que Tsahal se prépare, et se prépare au pire.

C.J.N.: Une attaque militaire d’Israël contre les installations nucléaires iraniennes, est-ce un scénario plausible dans la conjoncture moyen-orientale actuelle?

P. Anidjar: Oui, ce scénario est très plausible. En tout cas, beaucoup plus plausible qu’une attaque américaine contre l’Iran. En pleine année électorale et après le fiasco irakien, les États-Unis ne sont pas prêts à se lancer dans une nouvelle aventure en Iran, aux conséquences totalement indéterminées. En revanche, les Israéliens se préparent au pire des scénarios. Ce n’est pas qu’ils se préparent à partir en guerre demain contre Téhéran, mais si les Iraniens franchissent un certain point dans le développement de leur capacité nucléaire, par exemple si Téhéran procède à un essai d’une bombe nucléaire dans un désert d’Iran ou dans l’Océan indien -ce serait la confirmation que les Iraniens ont des intentions qui ne sont pas très pacifiques-, l’option militaire israélienne deviendra alors un scénario très plausible.

C.J.N.: Lancer une attaque préventive militaire contre les installations nucléaires iranienne, est-ce une option envisageable pour les Israéliens?

P. Anidjar: Non. Une attaque préventive, c’est très problématique parce que si jamais il existe un doute sur le degré de développement de l’arme nucléaire iranienne, Israël ne peut pas se permettre dans le contexte international actuel de se lancer dans une telle opération, parce que l’opinion publique internationale reprochera alors aux Israéliens d’avoir agressé les Iraniens sans raisons apparentes. Je ne pense pas que les Israéliens fassent l’erreur de se lancer dans ce genre d’aventure. Je pense que ce type d’opération ne peut se justifier qu’à la condition qu’il y ait un  consensus international, donc qu’Israël ait préalablement le feu vert de la communauté internationale pour agir.

C.J.N.: Les Israéliens prennent très au sérieux la rhétorique foncièrement antisémite du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad.

P. Anidjar: Oui. Ahmadinejad est considéré en Israël comme un personnage qui hait profondément Israël et qui n’hésite pas à marteler une rhétorique très antisémite, que personne ne peut nier. Le président iranien a récemment utilisé les termes de “microbe” et “vermine” pour qualifier Israël. Ce n’est pas un langage très humaniste!

Les Israéliens considèrent aussi Ahmadinejad comme un provocateur très rusé. Si on s’attarde quelque peu sur l’évolution du régime iranien, on s’aperçoit qu’à l’époque de l’Ayatollah Khomeini, ce dernier était le guide suprême, le numéro un de l’État iranien. Depuis le début de révolution islamique, on disait l’Iran de Khomeini. Aujourd’hui, on dit l’Iran d’Ahmadinejad. Pourtant, celui-ci n’est que le président, c’est-à-dire le deuxième personnage du régime.

Ahmadinejad a très astucieusement renversé la vapeur à son avantage au sein du régime iranien pour devenir la vitrine de son pays. Ce précédent en dit long sur l’habileté du personnage, sur ses ambitions et sur le système qui le porte, celui des Gardiens de la révolution -lui-même est un ancien Gardien de la révolution.

L’emprise qu’Ahmadinejad exerce sur le régime en dit long aussi sur l’omniprésence des Gardiens de la révolution dans toute l’industrie du nucléaire. Ces derniers ont la charge de la sécurité du pays et du bon déroulement du programme nucléaire iranien.

Ahmadinejad est un personnage que les Israéliens prennent très au sérieux car ils croient résolument à ce que le président iranien dit, surtout quand il claironne qu’il veut détruire l’État d’Israël. L’instinct des Israéliens, c’est de croire ce qu’Ahmadinejad dit.

C.J.N.: La position ferme du président français, Nicolas Sarkozy, à l’endroit de l’Iran, qui contraste fortement avec celle de son prédécesseur, Jacques Chirac, aura-t-elle une incidence sur la position européenne envers l’Iran d’Ahmadinejad, jusqu’ici assez mièvre?

P. Anidjar: La position actuelle de la France pourrait peut-être donner une autre tournure à cette affaire. Il y a quand même un consensus de plus en plus généralisé contre l’Iran et contre un Iran nucléaire. Je pense qu’effectivement le discours plus net de la France renforce cette attitude. C’est vrai que plus nombreux seront les pays à contester un Iran nucléaire, moins les chances de l’Iran d’y accéder rapidement existeront. Cependant, ce n’est pas ce consensus international qui empêchera les Iraniens de se doter de l’arme nucléaire, mais une position ferme peut ralentir le processus devant permettre aux Iraniens d’acquérir un potentiel nucléaire.

C.J.N.: Jusqu’ici, les sanctions économiques adoptées par la communauté internationale contre l’Iran ne semblent pas avoir eu de grands effets. Une confrontation militaire avec Téhéran est-elle inévitable?

P. Anidjar: Pour l’instant, le bras de fer est économique. Mais, si les sanctions économiques s’avèrent inefficaces et que l’Iran continue sur sa lancée, alors là tout est possible, notamment l’option militaire. Si l’Iran continue à narguer la communauté internationale, et plus particulièrement l’Occident, oui, ce bras de fer pourrait déboucher sur un grave conflit militaire, qui pourrait embraser tout le Moyen-Orient.

 

Patrick Anidjar, Agence France Press bureau chief in Jerusalem, recently published a book on the threat to Israel of Iran’s developing a nuclear bomb. In an interview, he talks about the situation in Iran.