Daniel Mendelsohn et le Devoir de Mémoire

L’écrivain et critique littéraire juif américain Daniel Mendelsohn a sillonné pendant cinq années successives les quatre coins de la planète -Pologne, Ukraine, Israël, Australie…- pour retrouver la trace de six membres de sa famille (son grand-oncle, Shmiel Jäger, sa femme et leurs quatre filles) exterminés par les nazis quelque part en Pologne, au début des années 1940.

Cette enquête identitaire magistrale est relatée dans un livre puissant et très bouleversant, Les Disparus (Éditions Flammarion, 2007), devenu un best-seller international et récipiendaire de plusieurs Prix littéraires très prestigieux, dont, en France, le Prix Médicis étranger.

Comment réagit ce descendant de survivants de la Shoah quand le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, qui vient d’être réélu, claironne sans ambages que cette tragédie indicible, où six millions de Juifs furent sauvagement exterminés par les nazis, n’est qu’“une fable inventée de toutes pièces par les Juifs sionistes pour justifier la création de l’État d’Israël”?

“Je dis toujours en réponse à ce type sectaire qu’est l’actuel président iranien que j’admettrais volontiers que la Shoah a été complètement inventée par les Juifs à condition seulement qu’il admette que le pays de l’Iran n’existe pas! C’est celle-là ma réponse! Est-ce que vous êtes déjà allé en Iran? Comment savez-vous que ce pays existe réellement? Le pays de l’Iran ne doit propablement pas exister puisqu’on parle de lui dans des journaux qui appartiennent à des Juifs, donc des périodiques sionistes! L’Iran doit être sûrement une pure invention de la presse juive! On ne peut que répondre par une idiotie à une autre idiotie”, a rétorqué Daniel Mendelsohn au cours d’une causerie littéraire, que l’auteur de cet article a eu le privilège d’animer, qui a eu lieu dans le cadre du dernier Festival littéraire international de Montréal Métropolis Bleu.

Daniel Mendelsohn n’est pas “éton­né” ni “choqué” par “la rhétorique répu­gnante et foncièrement antisémite” marte­lée par Mahmoud Ahmadinejad et ses séides.

“Il ne faut surtout pas discuter ni répliquer à ces assassins de la Mémoire juive. Tous ceux qui nient la véracité de la Shoah agissent aussi vilement non pas parce qu’ils veulent connaître une vérité historique, mais tout simplement parce qu’ils haïssent profondément les Juifs. Leur judéphobie mala­dive et leur irrationalité nourrissent leurs arguments fallacieux et ineptes. La seule manière de répondre à leurs allégations men­son­gères, c’est de continuer à recueillir les témoignages des derniers survivants de la Shoah. C’est une urgence impérative, car les voix des derniers témoins vivants de cette hécatombe humaine, sans précédent dans l’Histoire de l’humanité, s’éteindront bientôt à tout jamais.”

Ce n’est pas le Devoir de Mémoire qui a motivé Daniel Mendelsohn à écrire Les Disparus, confie-t-il.

Cette imposante fresque sur l’histoire de sa famille n’est pas un livre sur la Shoah, bien que cette tragédie soit au coeur de ce récit, explique-t-il.

“Les Disparus est un livre qui parle surtout de la famille, de la transmission, des liens entre vieux et jeunes, de la façon dont les souvenirs s’effilochent avec le temps. En tant que spécialiste des lettres classiques -matière qu’il ­enseigne dans une université de New York-, L’Odyssée d’Homère m’a beaucoup inspiré. Mais dans son Odyssée, Homère savait où il allait. Moi, j’ignorais complètement où je m’en allais quand j’ai entamé cette enquête sur ma famille.”

Daniel Mendelsohn ne croit pas du tout à la notion de Devoir de Mémoire.

“On parle tout le temps de Mémoire et de Devoir de Mémoire. Ces deux notions, très galvaudées, sont de­venues des mots vides. C’est très important de rappeler aux gens qu’il est impossible de se souvenir de ce que vous n’avez pas expérimenté. Vous ne pouvez pas prétendre avoir une Mémoire d’événements que vous n’avez jamais vécus. Je crois qu’une fausse Mémoire, c’est plus dangereux qu’un oubli volontaire.”

L’écrivain nous met en garde contre les “utilisations abusives” de la notion de Mémoire.

“Il y a un acte très approprié et très noble pour remémorer les six millions de victimes juives innocentes qui ont péri dans la Shoah: commémorer. Nous vivons aujourd’hui dans une culture de l’instantané et de l’homogénéité où on s’escrime à globaliser des us et coutumes culturels. Il faut savoir différencier les expériences que vous avez vécues personnellement des autres expériences existen­tielles que vous ne vivrez jamais. Les expériences effroyables vécues par les victimes de la Shoah sont des expé­riences que les gens de notre génération ne connaîtront jamais.”

Daniel Mendelsohn a été profondément choqué lors de sa visite au Musée de l’Holocauste de Washington quand il a vu des adultes et des enfants péné­trer dans un wagon réel qui servit à transporter les Juifs à destination du camp d’extermination d’Auschwitz.

“Même si vous rentrez dans un des wagons pour bestiaux réservés aux Juifs,vous ne connaîtrez jamais la peur, ni la terreur, ni l’effroi que les déportés ont subis au cours de leur transport vers la mort. Vous vous trompez complètement si vous croyez que ça peut vous montrer ou apprendre quelque chose sur le calvaire que les Juifs déportés par les nazis ont vécu.”

Daniel Mendelsohn croit résolument qu’il faut commémorer les victimes de la Shoah plutôt que d’essayer d’expé­ri­menter leurs souffrances, qui, insiste-t-il, “ne seront jamais les nôtres.”

Les “fausses Mémoires” l’horripilent beaucoup.

“Chaque année, je suis abasourdi quand je vois des enfants de 9, 10 ou 11 ans dire: “Je me souviens des enfants morts dans la Shoah”. Moi, je leur réponds: “Non, tu ne te souviens pas de ces morts, tu les commémores”. Pour moi, c’est une différence de taille”.

Un projet d’adaptation des Disparus au cinéma est en train de voir le jour sous la direction du célèbre réalisateur français Jean-Luc Godard, si l’on en croit The Hollywood Reporter -information reprise par l’écrivain Pierre Assouline dans son très populaire Blogue La Répu­blique des Livres (www.passouline.blog.lemonde.fr). L’annonce de ce nouveau projet cinématographique Godardien a suscité une vive polémique car, d’après Pierre Assouline, “Jean-Luc Godard traîne de longue date une réputation d’antisémite”.

Dans le cadre du Festival littéraire international de Montréal Métropolis Bleu, Daniel Mendelsohn a présenté son dernier livre traduit en français, L’Étreinte fugitive (Éditions Flammarion, 2009). Cet essai autobiographique, premier volume d’un ­triptyque dont Les Disparus constitue le deuxième volet, est le début de la quête identitaire de l’écrivain.


American author and literary critic Daniel Mendelsohn talks about his book that describes his attempts to find out about family members who perished in the Holocaust.