Pour transmettre à ses élèves sa passion pour la théorie des graphes, discipline mathématique qu’il enseigne depuis plus de vingt ans, le Professeur Alain Hertz a eu l’ingénieuse idée de concocter un polar efficace et haletant parsemé d’intrigues policières à saveur mathématique: L’Agrapheur, qui vient de paraître aux Presses internationales Polytechnique (www.polymtl.ca/pub).
Le Professeur Alain Hertz
L’héros de ce polar atypique, le très redoutable Inspecteur de police montréalais Maurice Manori, alias “L’Agrapheur” -il doit ce surnom à ses méthodes d’investigation peu conventionnelles-, dispose d’un outil implacable pour “agrafer” les coupables d’affaires criminelles rocambolesques: la théorie des graphes.
Cette théorie mathématique repose sur une structure très simple: un dessin qui permet de visualiser et de modéliser un problème.
“J’ai écrit ce polar pour vulgariser un concept mathématique fort méconnu: la théorie des graphes. C’est un outil de modélisation extrêmement puissant qui permet de représenter simplement un grand nombre de situations de la vie courante. À l’aide d’une série de graphes, on cherche le cheminement critique permettant de résoudre un problème le plus rapidement possible. Je me suis donné comme mission de faire la promotion de cette théorie mathématique en la rendant attrayante et accessible à tous”, explique en entrevue Alain Hertz.
Né en Suisse, Alain Hertz a obtenu son Diplôme et son Doctorat d’ingénieur mathématicien à l’École Polytechnique de Lausanne, institution académique où il a enseigné pendant plusieurs années. Établi au Québec depuis neuf ans, il est actuellement Professeur au Département de Mathématiques et de Génie industriel de l’École Polytechnique de Montréal.
En matière de recherche, ses domaines d’intérêt sont: l’optimisation combinatoire; la théorie des graphes; l’algorithmique liée aux sciences du vivant et le développement de systèmes d’aide à la décision pour la résolution de problèmes issus de la pratique, plus particulièrement en distributique et en productique. Son enseignement porte sur la recherche opérationnelle et l’algorithmique au Premier Cycle et l’optimisation et la théorie des graphes au Deuxième Cycle.
Alain Hertz est l’éditeur associé de deux périodiques scientifiques réputés: Journal of Heuristics et Computers & Operations Research.
Il est par ailleurs membre du Comité des groupes de travail européens en optimisation combinatoire et en confection automatique d’horaires. Il a organisé plusieurs conférences internationales sur les graphes et l’optimisation.
Considéré comme le meilleur spécialiste de la théorie des graphes au Québec, Alain Hertz a utilisé celle-ci pour concevoir un logiciel très sophistiqué qui permet désormais au Cirque du Soleil de planifier la tournée optimale pour ses nouveaux spectacles.
Alain Hertz a été “sidéré” par la théorie des graphes quand, étudiant, son professeur de mathématiques présenta un jour à ses élèves une énigme policière très intrigante posée par Claude Berge, un des fondateurs de la théorie des graphes moderne, dans son livre Qui a tué le Duc de Densmore?
“C’était une énigme policière qui paraissait insoluble. Pourtant, trouver le coupable du meurtre à l’aide d’un graphe qu’on pouvait visualiser, c’ était d’une simplicité enfantine. J’ai trouvé ça vraiment très amusant. Quand j’ai commencé à enseigner la théorie des graphes, j’ai décidé de proposer chaque année à mes étudiants une énigme policière pour les aider à comprendre la matière théorique de ce concept. Mes élèves adorent cette approche. Ça leur permet de voir les concepts mathématiques d’une manière plus imagée. J’ai eu l’idée un bon matin de colliger dans un polar les énigmes policières testées au fil des des années auprès de mes étudiants. J’ai dû bien sûr les affiner et les modifier un petit peu pour qu’elles collent à la trame du récit de mon livre”, raconte-t-il.
Un vol et un braquage, une imposture liée à un héritage, la disparition d’une souris de laboratoire d’une valeur de plusieurs milliers de dollars… sont au coeur des enquêtes très captivantes menées par l’Inspecteur Manori.
Alain Hertz est un grand passionné de polars.
“J’adore lire des polars. J’ai été très influencé par les romans palpitants d’Agatha Christie, que j’ai dévorés. Je suis aussi un très grand fan d’une excellente série télévisée policière américaine, Numb3rs, diffusée sur le réseau CBS, dont les protagonistes résolvent des intrigues policières ardues grâce aux mathématiques. Toutes les intrigues policières relatées dans L’Agrapheur sont le pur produit de mon imaginaire. Quant au personnage principal du livre, l’Inspecteur Manori, il a quelques points commun avec moi: il est né en Suisse, il baigne aussi dans la théorie des graphes… En ce qui a trait à sa physionomie -un barbu imposant pesant 120 kilos- et à ses habitudes dans sa vie quotidienne, par exemple appeler sa femme tous les soirs quand il est en déplacement, cet astucieux policier est le sosie de mon meilleur ami, qui s’appelle Marino et non Manori -j’ai juste inversé les syllabes-, Professeur à Fribourg, en Suisse. L’Inspecteur Manori lui ressemble comme deux gouttes d’eau.”
Alain Hertz a-t-il écrit L’Agrapheur uniquement pour des universitaires férus de mathématiques?
“Pas du tout. Ce polar s’adresse autant aux passionnés de sudokus et d’énigmes qu’aux étudiants et aux enseignants en sciences et en mathématiques. Ce livre est destiné à tous ceux et celles qui ont envie de raisonner. Je vise aussi les étudiants de Cégep, qui ne connaissent pas la théorie des graphes. Je présenterai bientôt mon livre aux enseignants des Cégeps dans le cadre d’un atelier organisé par l’Association pour l’Enseignement de la Technologie et des Sciences au Québec.”
Beaucoup de jeunes sont très réfractaires aux mathématiques, rappelle-t-il.
“Très nombreux sont les élèves qui ont la phobie des mathématiques. Il y a des enseignants qui présentent les concepts mathématiques sous forme de mécanismes, qu’on demande ensuite aux élèves d’utiliser. Beaucoup d’étudiants se braquent. Pour moi, ce livre de vulgarisation, c’est ma manière de réconcilier les jeunes avec les mathématiques.”
Alain Hertz préfère l’approche et les méthodes utilisées par les Européens pour enseigner les mathématiques.
“L’enseignement européen des mathématiques est très différent de l’enseignement québécois ou nord-américain. Je préfère l’enseignement européen, qui cherche à faire comprendre aux élèves les concepts mathématiques. En Amérique du Nord, on apprend aux élèves à utiliser les concepts mathématiques. On leur demade d’appliquer telle méthode mathématique pour résoudre tel problème, souvent sans qu’ils comprennent ce qu’ils font. Les étudiants européens sont moins doués lorsqu’il s’agit d’utiliser des techniques. Mais, à mes yeux, c’est plus important d’apprendre à comprendre un concept mathématique que d’apprendre à l’utiliser.”
Juif pratiquant, membre actif de la Communauté juive de Dollard-des-Ormeaux, Alain Hertz est aussi un passionné de Guématria, une discipline talmudique qui fait appel à la logique mathématique.
“Je suis féru de Guématria. La compréhension d’une page de Guémara fait appel à énormément de logique et de raisonnement. Il faut avoir un esprit très logique mathématique pour comprendre la Guémara. Des collègues me demandent parfois: “Comment peux-tu être mathématicien et croire en Dieu?” Je leur réponds alors sans détours: “Ça n’a rien à voir. On peut très bien aimer les mathématiques et croire à un axiome premier: que Dieu existe. Je n’y vois aucune contradiction!”
Y aura-t-il une suite des aventures de l’Inspecteur “Agrapheur” Manori?
“Absolument, répond-il avec entrain. Ce projet trotte dans ma tête depuis quelque temps. Mais cette fois-ci, au lieu d’élucider plusieurs intrigues policières par le truchement de la théorie des graphes, l’inspecteur Manori s’évertuera à démêler les écheveaux d’une seule intrigue, qui sera bien complexe… Faites-moi confiance! ”, conclut Alain Hertz en s’esclaffant.
Math teacher Alain Hertz recently published a detective novel in which the police use the principles of mathematical graphing to solve the mystery.