L’écrivain Marek Halter arbore un sourire en coin quand on lui demande s’il a été froissé par les critiques -certaines très véhémentes- formulées à son endroit par des Israéliens et des Juifs de la Diaspora ulcérés par le voyage qu’il a effectué dernièrement en Syrie.
“En 1968, j’ai organisé à mon domicile, à Paris, une première rencontre secrète entre Shimon Péres, aujourd’hui Président de l’État d’Israël, et Yasser Arafat. Je tiens à rappeler qu’à cette époque Arafat était un terroriste impitoyable, qui avait beaucoup de sang juif sur ses mains, dont celui des enfants assassinés sauvagement dans une école de Maalot. En 1993, la poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et le président de l’O.L.P. a mis en charpie les préjugés les plus tenaces sur l’“impossible” dialogue entre Israéliens et Palestiniens. L’Histoire, comme la vie, est souvent très ironique! J’ai un principe cardinal, que je défends bec et ongles depuis cinquante ans: pour faire la paix, il faut dialoguer non pas avec nos amis, mais avec nos ennemis!”, lance tout à trac cet intellectuel, né en 1936 à Varsovie, au cours de l’entrevue qu’il nous a accordée dans les bureaux montréalais des Éditions Robert Laffont.
Marek Halter vient de publier un très beau livre autobiographique, Je me suis réveillé en colère (Robert Laffont). Un dialogue à bâtons rompus avec un “sage” religieux juif, qui semble sorti des romans d’Isaac B. Singer, au cours duquel il égrène ses réflexions sur des sujets épineux, d’une brûlante actualité, qui le taraudent toujours: les perspectives du conflit israélo-palestinien; l’avenir du peuple juif; l’antisémitisme; la poussée de l’islamisme radical; le communautarisme; le nouveau discours écologique, qu’il tourne en dérision…
À Damas, dont c’était son premier voyage, Marek Halter a rencontré des membres du gouvernement de Bashar al-Assad, dont le Ministre de la Défense, le Colonel Hassan Turkmani, des intellectuels, des opposants politiques et les membres de la petite Communauté juive syrienne, constituée de quelque quatre-vingts personnes.
En décidant de se rendre en Syrie n’a-t-il pas cautionné un régime politique sous haute surveillance, qualifié par le président américain George Bush d’“élément central de l’axe du mal”?
“Que ça plaise ou déplaise à George Bush, la paix israélo-arabe passe par Damas! C’est une destination incontournable, répond-il. Je n’ai été mandaté par personne, sauf par ma conscience. Si j’étais religieux, je dirais par Dieu! Mais, je préviens toujours mes amis avant de me rendre dans des endroits chauds de la planète. Avant de m’envoler vers la Syrie, j’ai prévenu mon Président, Nicolas Sarkozy, et mon vieux copain, Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères de la France. J’ai prévenu aussi mes amis israéliens, la Ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni et le Premier ministre Ehoud Olmert. Je leur ai demandé s’ils souhaitaient transmettre un message aux autorités syriennes. Ils m’ont simplement demandé de les tenir informés du déroulement de mon voyage. Ce que j’ai fait dès mon retour.”
Après avoir longuement dialogué avec ses interlocuteurs syriens, Marek Halter est arrivé à la conclusion que les Syriens sont prêts pour signer “une vraie paix fonctionnelle” avec l’État hébreu, à condition bien sûr que les Israéliens leur restituent intégralement le plateau du Golan, occupé par Israël depuis la guerre israélo-arabe de 1967.
“Le Ministre syrien de la Défense m’a demadé de transmettre ce message à mes amis israéliens: “Avec l’Égypte on signe la paix, avec la Syrie on fait la paix!””
D’après Marek Halter, les Syriens veulent absolument mettre un terme à leur contentieux avec Israël, essentiellement pour une raison majeure: ils ont peur que la laïcité, qui a toujours prédominé dans la société syrienne, soit peu à peu supplantée par l’intégrisme islamique.
“La Syrie est aujourd’hui la seule société laïque dans le monde arabe. L’Irak, jadis laïc, s’est réislamisé depuis qu’il a été libéré du joug tyrannique de Saddam Hussein. Les Syriens tiennent énormément à la laïcité. Ils ont très peur de l’islamisation de leur société. Ils m’ont tous dit que depuis deux ans 20% des jeunes filles syriennes se sont mises à porter le voile. Ils ont une trouille bleue de la montée du fondamentalisme islamique. Ils sont conscients que leurs liens avec l’Iran ne sont qu’une amitié empoisonnée car le régime de Téhéran table sur cette coopération pour exporter en Syrie sa révolution islamique. Mais isolés sur la scène internationale, les Syriens ne peuvent se tourner que vers la Russie de Poutine et l’Iran d’Ahmadinejad”, dit Marek Halter.
L’auteur du best-seller mondial La Mémoire d’Abraham est-il conscient que la Syrie est un régime dictatorial, qui parraine et abrite sur son territoire une kyrielle d’organisations terroristes, dont le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais, qui n’ont qu’un seul objectif: détruire l’État d’Israël?
“Vous avez raison, la Syrie n’est pas une démocratie. Mais, à l’exception d’Israël, une démocratie vigoureuse et exemplaire, connaissez-vous beaucoup de démocrates dans cette partie du monde? Où? En Égypte, en Jordanie, pays qui ont paraphé un traité de paix avec Israël? Je crois qu’aujourd’hui les Syriens sont prêts à reconnaître Israël, à condition qu’ils récupèrent tout le Golan.”
En ce qui a trait aux liens étroits existant entre le régime de Damas et les principales organisations terroristes islamistes, l’écrivain est résolument convaincu que la paix avec Israël neutralisera ces groupes ultraradicaux.
“Dans le dossier syrien, les Israéliens se heurtent à un grand écueil: le président Bush veut absolument isoler la Syrie, il s’oppose à tout contact entre Jérusalem et Damas. Pourtant, la seule frontière tranquille, c’est la frontière israélo-syrienne. Les Israéliens se disent: “Pourquoi commencer à négocier avec les Syriens alors que nous avons peu de problèmes avec eux?” Au contraire, je suis persuadé que l’amorce de négociations avec la Syrie affaiblira l’Iran d’Ahmadinejad. Si on maintient le statu quo, dans deux ou trois ans, l’Iran sera à la frontière d’Israël, par Hamas et Hezbollah interposés.”
D’après Marek Halter, si la Syrie signe une paix complète avec Israël, elle sera obligée de fermer toutes les officines terroristes ayant établi leurs pénates à Damas.
“Ces organisations terroristes seront alors contraintes à s’“exiler” loin des champs de bataille, probablement à Téhéran. Le contexte géopolitique changera alors profondément.”
Des tractations secrètes entre l’État hébreu et le gouvernement syrien ont bel et bien eu lieu à l’époque où Yitzhak Rabin et Hafez al-Assad, père de l’actuel président syrien, étaient au pouvoir.
“Ce que je ne savais pas, comme quoi on apprend de nouvelles choses tous les jours, c’est que cette discussion avait déjà eu lieu entre Hafez al-Assad et Yitzhak Rabin. À l’époque, Rabin avait dans une promesse écrite pris l’engagement qu’Israël se retirerait du plateau du Golan, à un centimètre près, au bout de dix ans. L’ex-Premier ministre d’Israël souhaitait aller étape par étape, pour mettre à l’épreuve la bonne volonté des deux parties. Assad accepta sa proposition. Les deux hommes devaient se rencontrer à Genève pour signer cet accord préliminaire. Mais Rabin a été assassiné et le père de Bashar al-Assad, qui a négocié ce document, est mort lui aussi.”
À la veille de la célébration du 60ème anniversaire de la fondation d’Israël, Marek Halter est inquiet pour l’avenir de l’État juif.
“Curieusement, ce n’est pas la tournure du conflit israélo-arabe qui m’inquiète, c’est plutôt l’évolution de la société israélienne. Quand on connaît un peu l’Histoire du peuple juif depuis 4000 ans, depuis l’époque sumérienne, on arrive à la conclusion qu’aucune puissance n’a eu raison d’Israël, sauf Israël lui-même. Le prophète Isaïe avertissait déjà, en 735 avant notre ère: “Ô mon peuple, ceux qui te conduisent s’égarent et ils inversent la direction de ta route”. J’ai peur pour Israël. Pour moi, Israël fait partie de ma Mémoire, incisé dans ma chair. Sa création n’est que pure justice. Mais sans la paix, son existence n’est pas assurée. Depuis presque cinquante ans, face aux Israéliens, face aux Palestiniens, séparément et souvent réunis, je crie les mots d’Isaïe à tous les hommes engagés, dont la seule arme est le verbe: “Le fruit de la justice sera la paix. La justice produira le calme et la sécurité pour tous”.”
Marek Halter déplore que six décennies après sa fondation la légitimité nationale de l’État d’Israël soit toujours contestée par ses nombreux détracteurs.
“Israël est le seul pays au monde dont l’existence et la légitimité sont constamment remises en question. Oui, on peut critiquer Israël comme on le ferait avec n’importe quel État dont la politique nous heurterait. Mais qu’est-ce qu’un État? Un territoire, un peuple et un pouvoir. En démocratie, nous avons aussi des contre-pouvoirs. L’opposition en Israël est active et la presse très libre. Notre critique de telle ou telle action du gouvernement israélien n’égalera jamais celle des médias israéliens. Sauf qu’Israël n’est pas un État “normal”. À ma connaissance, il est le seul État reconnu que l’on conteste dans son existence même, malgré la place qu’il tient dans le concert des nations. Ce ne sont pas les habitants d’Israël qui revendiquent cette exception mais ceux qui veulent les annihiler.”
Pour Marek Halter, la “normalité” de l’État d’Israël serait une “incongruité” et un “reniement” de la mission universelle que le peuple juif assume depuis plusieurs millénaires.
“Israël ne peut pas être comme tous les autres pays du monde, car il risquerait de disparaître un jour. Chateaubriand ne cessait de se demander: “Pourquoi toutes les civilisations antiques ont-elles disparu alors que le peuple juif est toujours là?” Les Juifs ont survécu parce qu’ils ont su en dehors d’une Terre s’implanter dans autre chose, le Livre. On peut toujours arracher un peuple à une Terre, c’est comme une plante, elle finit par se faner. Mais, l’attachement au Livre assure la continuation, le mariage entre le national et l’universel.”
Pour l’écrivain, la préservation du “national” passe obligatoirement par la pacification du Moyen-Orient.
“Les Juifs ne sont pas faits pour êtres des occupants. L’occupation corrompt sur le plan moral. J’ai toujours dit aux Palestiniens: “Je me bats pour votre État non pas parce que je vous aime particulièrement, mais parce que j’aime les Israéliens. Que ce soit clair, je me bats pour un État palestinien pour libérer Israël de l’occupation.”
Marek Halter a présenté son nouveau livre au cours d’une conférence-rencontre organisée par la Communauté sépharade unifiée du Québec. Plus de deux cents personnes n’ont pas hésité à braver une tempête de neige pour écouter ce conteur hors pair.
Il était de passage à Montréal à l’invitation de l’émission hebdomadaire Une heure sur Terre, diffusée par la télévision de Radio-Canada. Animé par Jean-François Lépine, ce programme d’affaires publiques a consacré son émission du 16 janvier au conflit israélo-palestinien.
De nombreux membres de la communauté juive de Montréal n’ont pas du tout apprécié que l’on ait convié à cette émission deux leaders du PAJU -Palestiniens et Juifs Unis-, un regroupement montréalais farouchement antisioniste. Plusieurs plaintes, dénonçant “la partialité propalestinienne et le contenu anti-israélien” de cette émission, ont été déposées auprès de l’ombudsman de Radio-Canada.
Le Comité Québec-Israël de la FÉDÉRATION CJA a envoyé une lettre de protestation à Jean-François Lépine.
“Vos invités ont, à bon droit, choisi de défendre des positions palestiniennes et les reportages de vos confrères ont accordé la parole au Hamas, au Djihad islamique palestinien, à des acteurs de la société civile palestinienne et à de simples Palestiniens. Les Israéliens ont en revanche été réduits à des images de blindés et à des bulldozers. Ce silence sur les politiques déclarées, la perspective et les intérêts sécuritaires de l’État d’Israël ont eu pour conséquences un traitement déséquilibré et unilatéral du conflit israélo-palestinien, ainsi qu’une décontextualisation des mesures de sécurité adoptées par cet État pour protéger sa population civile des attaques des factions armées palestiniennes”, a écrit Luciano Del Negro, directeur général du Comité Québec-Israël, au journaliste Jean-François Lépine.
Pour le Comité Québec-Israël, la présence de deux membres du PAJU est une preuve patente du manque flagrant d’objectivité de cette émission entièrement consacrée au conflit israélo-palestinien.
“Il est pour le moins incongru de présenter un groupuscule comme le PAJU comme “un groupe très important” oeuvrant pour la paix alors qu’il s’agit d’une organisation militante et partisane qui dénonce systématiquement une seule et même partie dans le conflit israélo-palestinien dans un langage souvent incendiaire et peu susceptible de promouvoir un dialogue serein ou la recherche de solutions.”
Le Comité Québec-Israël demande aux responsables de cette émission de prendre les mesures nécessaires pour rectifier ce manque d’objectivité informationnelle.
“Dans l’intérêt du droit du public à une information équitable, exacte, complète et équilibrée que Radio-Canada, du reste, s’engage à lui fournir, nous vous invitons à redresser dans un prochain épisode d’Une heure sur Terre les erreurs factuelles, les omissions et les affirmations erronées de vos invités et vous assurer à l’avenir de la représentation du point de vue de toutes les parties dans tout conflit que votre magazine choisira d’aborder”, écrit Luciano Del Negro.
In an interview, French author Marek Halter talks about the possibilities for peace between Israel and Syria. Halter was in Montreal to launch his latest book and to appear in a Radio-Canada TV show discussing the Palestinian-Israeli conflict.