Brun rend un vibrant hommage à sa mère Perla

Elle s’appelait Perla. Née en Pologne, elle vivait à Paris. Elle était une jeune fille lorsqu’en juillet 1944, arrêtée dans une rafle, elle fut contrainte de monter dans un wagon à bestiaux en direction d’Auschwitz-Birkenau.

Elle s’appelait Perla. Née en Pologne, elle vivait à Paris. Elle était une jeune fille lorsqu’en juillet 1944, arrêtée dans une rafle, elle fut contrainte de monter dans un wagon à bestiaux en direction d’Auschwitz-Birkenau.

À son retour de cet enfer, Perla se cantonna dans un mutisme abyssal. Elle s’est bâtie une nouvelle vie tout en affrontant farouchement les fantômes hideux du passé, qui ne cessèrent de la hanter jusqu’au jour de sa mort.

Après son décès, son fils, Frédéric Brun, éditeur de musique, décida de raconter la vie de cette femme vaillante et opiniâtre dans un livre lumineux et très bouleversant, Perla (Éditions Stock). Un magnifique récit familial de transmission, de continuité entre la naissance d’un enfant, la mort d’une mère et la beauté poétique du monde. Un vibrant hommage à une mère disparue et à la vie.

Perla a été couronné en 2007 par le Prix littéraire du Goncourt du premier roman. Frédéric Brun a été aussi avec ce livre le lauréat de l’édition 2009 du Prix littéraire Marie-Claire-Blais, décerné par l’Association Québec-France.

Nous l’avons rencontré lors de son passage à Montréal, où il est venu recevoir le Prix littéraire Marie-Claire-Blais.

Canadian Jewish News: Votre mère Perla fut tuée par les nazis dans son pays natal, la Pologne, que sa famille avait fui au début des années 20 pour se réfugier en  France. L’Histoire est souvent cruelle et ironique.

Frédéric Brun: Perla, ma mère, est née à Olkusz, près de Cracovie, en Pologne. Quand ses parent quittèrent la Pologne pour s’établir à Paris au début des années 20, elle n’avait que 2 ans. À 22 ans, elle a revu son pays natal, mais dans des circonstances funestes. Par une belle journée de 1944, elle tenta de fuir une horde de SS qui la poursuivait. Une fois arrêtée, elle se retrouva entassée avec des femmes, des hommes et des enfants dans un wagon à bestiaux à destination d’Auschwitz. À peine arrivée dans ce camp de la mort nazi, elle se présenta devant le Dr Josef Mengele. Ce médecin élégant et diabolique décidait en un instant du destin de milliers de Juifs. Il lui suffisait de tendre sa main dans une direction. À droite, c’était la chambre à gaz et le four crématoire, à gauche, le droit de vivre, l’espoir.

Mengele la regarda rapidement. Après un examen express de sa santé, le sort d’un déporté était réglé. Ma mère ne souffrait de rien, mais un petit bouton avait surgi sur son visage. Il hésita, tendit négligemment sa main vers la droite. Elle était belle. Il changea d’avis. Il y a tant d’indulgence pour la beauté. Mengele pointa alors son doigt vers la gauche. La sélection, ça se passait en une seconde. Perla a eu de la chance. Des témoignages rapportent que des femmes juives très belles n’ont pas eu cette chance. Leur beauté ne leur a servi à rien. La part du hasard était énorme.   

C.J.N.: Est-ce le Devoir de Mémoire qui vous a motivé à écrire ce livre sur la vie de votre mère?

Frédéric Brun: En ce qui a trait au Devoir de Mémoire dans ma famille, il s’agit plutôt d’une Mémoire silencieuse.  C’est-à-dire, essayer de perpétuer une Mémoire qui est restée dans le secret. En effet, ma mère m’a très peu parlé de son expérience concentrationnaire à Auschwitz. C’est vrai que je l’ai peu questionnée sur cet épisode sinistre de sa vie. Parfois, je me demande pourquoi je ne lui ai pas posé plus de questions sur cette effroyable hécatombe qui décima les Juifs d’Europe, dont elle porta les stigmates morbides jusqu’à la fin de ses jours? J’ai appris récemment que sa soeur -c’est une amie de cette dernière qui me l’a dit- la questionnait sans arrêt, mais elle refusait de lui répondre. Ça ne sert à rien de vivre avec des regrets.

C.J.N.: Le silence de votre mère vous taraudait-il?

Frédéric Brun: Je ne pense pas que ce silence soit une particularité dans ma famille. La lecture de nombreux livres collectifs de témoignages d’enfants de survivants m’ont permis de m’apercevoir que ce silence profond est commun à toutes les familles de survivants. Les parents qui sont revenus des camps de la mort ont rarement parlé de cette expérience à leurs enfants. Je pense que la principale raison de ce mutisme est, comme l’explique si bien Joseph Bialot dans ses Mémoires, que cette expérience est inexprimable et intransmissible. On ne peut pas la communiquer. Quelqu’un qui a vécu une épreuve existentielle aussi noire et aussi atroce n’a pas envie d’en parler. Il a plutôt envie de l’évacuer définitivement de sa vie.

C.J.N.: Tout en étant un être tourmenté et par moments dépressif, Perla a quand même eu une vie familiale heureuse.

Frédéric Brun: Oui. Malgré ses épisodes dépressifs, Perla a eu une très belle vie, une vie très réussie. Elle a eu de la chance. Après son retour d’Auschwitz, elle s’est bien intégrée dans la société française.  Elle a bien réussi dans les affaires. Elle a eu aussi une vie d’amour bien remplie puisqu’elle a eu un mariage très heureux avec mon père, qui a duré 40 ans. Notre vie familiale était heureuse. Pour mes parents, l’enfant que j’étais représentait avec force l’avenir. Ils n’avaient pas envie d’évoquer le passé.

C.J.N.: Réussir son intégration sur le plan social, c’était un impératif qui obsédait Perla?

Frédéric Brun: À son retour d’Auschwitz, ma mère souhaitait ardemment s’intégrer totalement à la société française. Sa judéité était pour elle très secondaire. Elle a épousé un Catholique non-observant. J’ai grandi dans une famille non-pratiquante, ni du côté chrétien, ni du côté juif. Le seul souci de ma mère était de s’intégrer socialement. Son prénom en France était Paulette et non Perla -un prénom juif originaire de Pologne. J’ai appris sur le tard qu’elle a décidé de porter le prénom de Paulette pour prouver son irrésistible désir d’intégration dans le tissu sociétal français. En France, on autorisait les Juifs à prendre un prénom très français.  Chaque prénom juif avait son équivalent en français. Les Perla devaient prendre le prénom de Paulette. Son intégration sociale fut totale, à tel point qu’elle décida de couper définitivement les ponts avec ses racines identitaires juives.  

C.J.N.: Votre mère est retournée en Pologne et au camp d’Auschwitz au début des années 80. Pourquoi ne l’avez-vous pas accompagnée?

Frédéric Brun: J’irai un jour visiter Auschwitz. Mais, je ne suis pas encore prêt psychologiquement. Je suis quelqu’un de très sensible. Le choc émotif de cette visite pourrait profondément m’ébranler. On a tous des mauvais a priori qui nous empêchent, pour des raisons personnelles, de faire certains projets dans notre vie. J’ai du mal à aller visiter Auschwitz car je sais que dans ce terroir de la mort on a érigé un Musée. Or, j’ai de la difficulté à accepter qu’on puisse visiter ce lieu morbide où les Juifs furent exterminés sauvagement comme on visite un Musée. Pour l’instant,  je ne suis pas capable de franchir ce cap. Peut-être que j’irai un jour visiter Auschwitz avec mes enfants.

C.J.N.: Après le décès de Perla, vous êtes allé en Pologne visiter son village natal. Ce périple à travers les terroirs où a vécu votre famille maternelle vous a-t-il marqué?

Frédéric Brun: Je suis allé récemment en Pologne visiter Olkusz, le village natal de ma mère. C’est une petite bourgade où les Juifs cohabitaient avec les Chrétiens. Je crois que ma mère n’aurait jamais pu faire ce voyage de son vivant car à cette époque -c’était le régime communiste qui était au pouvoir- l’antisémitisme en Pologne était très virulent. Depuis la chute du Mur du Berlin et l’effondrement du communisme, les gouvernements polonais qui se sont succédé au pouvoir ont fait beaucoup de gestes symboliques pour remémorer le passé juif dans leur pays. À Cracovie, on rénove les Synagogues et on ouvre des Musées sur le Judaïsme.  Il y a un regain important de la vie juive en Pologne, mais c’est un regain un peu particulier, sans Juifs. L’antisémitisme est sûrement toujours présent en Pologne, mais les nouvelles générations de Polonais cherchent à comprendre ce qui s’est passé dans leur pays et sont beaucoup plus ouvertes à l’endroit des Juifs que ne l’étaient leurs parents et grands-parents.

C.J.N.: Ce livre est plus qu’un hommage à votre mère. Celui-ci est aussi un questionnement, que vous reformulez sans la moindre acrimonie envers le peuple allemand: comment l’Allemagne a-t-elle pu produire le pire de l’homme et les plus belles manifestations de l’intelligence humaine?

Frédéric Brun: Je ne pense pas que la rancoeur et la haine puissent servir à améliorer les choses.  Ma mère était plus sévère avec l’Allemagne que moi. Aujourd’hui, les jeunes Allemands continuent à questionner leurs aînés sur les crimes qu’ils ont perpétrés contre les Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. Je pense que tout en n’oubliant jamais le passé, il faut aller vers l’avant.

Mon livre est un livre de questionnement. Comment l’Allemagne a-t-elle pu engendrer la poésie la plus pure et la barbarie la plus totale? Dans mon livre, je m’intéresse beaucoup à la vie culturelle en Allemagne. Il y a eu un Âge d’Or en Allemagne -fin du XVIIIe siècle-début du XIXe siècle- pour la poésie, la peinture, où sont apparus des poètes et des artistes majeurs. Tout le monde connaît Goethe, mais il y a eu aussi tout un mouvement, le “préromantisme”, incarné par  des grands poètes, comme Novalis, Hölderlin et Schlegel, et un peintre mondialement connu, Caspar David Friedrich. Ces ingénieux créateurs culturels, qui désiraient attraper l’âme du monde, avaient une très belle vision du monde, basée sur une manière d’exister très pure.

Je suis stupéfait que leur éblouissante poésie, que j’apprécie particulièrement, soit née en Allemagne, pays où a été perpétrée la plus grande barbarie dans l’Histoire de l’humanité. Dans son très beau livre L’Écriture ou la Vie, le grand écrivain espagnol Jorge Semprun s’étonne que le camp de Buchenwald soit si près de Weimar. C’est une interrogation à laquelle on ne peut pas trouver de réponse: comment des êtres ordinaires ont pu commettre de telles atrocités?

C.J.N.: La figure du bébé que vous et votre épouse attendiez quand vous avez écrit ce livre est omniprésente dans ce récit familial.

Frédéric Brun: La figure de la mort et la figure de la vie sont les deux aspects les plus importants de mon livre. Avant d’être un livre sur la déportation et l’expérience concentrationnaire à Auschwitz, Perla est un livre autobiographique sur le mort d’une mère. C’est surtout un livre de questionnement sur les rapports qu’il peut y avoir entre la mort, la naissance et les différentes correspondances entre ces deux moments cardinaux dans l’existence d’un être humain. Je cite en exergue une phrase du poète allemand Novalis: “Chaque mort est une naissance”. Les poètes allemands ne voyaient pas la mort  comme une fin mais au contraire comme un renouveau. On peut trouver ainsi toutes les correspondances dans le monde qui peuvent nous permettre de rester en relation avec le passé tout en célébrant la beauté de l’univers. J’ai bâti ce livre comme un puzzle. Il n’y a pas vraiment de narration, ni de fiction. C’est un livre de correspondances, sur l’amour, la naissance, la Mémoire et la transmission. C’est surtout un livre d’espoir. Ce bébé qui va naître, mon fils, symbolise cet espoir. Ce bébé est la plus belle revanche de Perla sur une Histoire impitoyable qui a fauché la vie aux siens.

C.J.N.: La rhétorique négationniste du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, vous inquiète-t-elle?

Frédéric Brun: Je ne sais pas comment on va continuer à témoigner de cette tragédie indicible quand les vrais témoins auront tous disparu? La rhétorique abjecte du président iranien ne m’exaspère pas particulièrement car l’effort de Mémoire fait aujourd’hui par de nombreuses institutions à vocation historique et des gouvernements occidentaux pour que la Shoah ne soit jamais oubliée ou banalisée amoindrit et discrédite le discours révisionniste et antisémite d’Ahmadinejad. Pour l’instant, c’est le travail de Mémoire qui l’emporte. L’Histoire de l’humanité, c’est long. Dans 100 ans, on pourra peut-être se poser cette question. Mais aujourd’hui, des efforts considérables sont faits pour enseigner aux jeunes ce que fut cette horrible tache noire dans l’histoire de l’humanité: la Shoah. Je ne crois pas qu’aujourd’hui le révisionnisme de la Shoah soit dangereux.


In an interview when he was in Montreal, French author and music editor Frédéric Brun discusses his book Perla, which is about his mother, who survived Auschwitz.

 

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